«
Sort l'assassin, Entre le spectre » de
Pierre Senges (2006, Editions Verticales, 96 p.) fait évidemment référence à «
Macbeth », la pièce de
William Shakespeare.
Macbeth est le capitaine de confiance du roi Duncan, père de deux fils Malcolm et Donalbain. le roi Duncan, roi imaginaire inspiré du roi Donnchad mac Crinian d'Ecosse est une figure paternelle généreuse et gentille,
Macbeth va l'assassiner pour monter sur son trône.
Les trois sorcières dont Hécate, déesse de la lune est la reine, provoquent, maudissent, et annoncent le futur. Ce sont les seuls personnages de la pièce qui s'expriment en vers. Au tout début de la pièce, sous l'orage, elles annoncent leur prochaine rencontre avec
Macbeth et lui prédisent son avenir de roi. Informée de la prophétie des sorcières, Lady
Macbeth convainc son mari de tuer le roi le soir même. Il se laisse convaincre. En proie au doute et à des hallucinations,
Macbeth parvient tout de même à poignarder le roi endormi. C'est le début de l'acte II. Pendant les trois actes suivants,
Macbeth se souvient de ce qu'ont prédit les sorcières et entrevoit la perspective d'être démasqué. A un banquet, il voit le fantôme de son ami s'asseoir à sa place. le roi ordonne de saisir les biens de Lennox et fait assassiner sa femme et son fils. Lady
Macbeth cherche inlassablement à laver les taches de sang qu'elle imagine voir sur ses mains. L'autre fils Macduff conduit l'armée qui va affronter
Macbeth, conformément à la prophétie des sorcières.
Macbeth comprend qu'il est condamné, mais il lutte jusqu'à la mort et Macduff remonte sur scène avec la tête de
Macbeth à la main.
On voit que la pièce n'est pas une opérette. On est en plein XVIeme siècle, pour une action qui se passe au XIeme, en Ecosse.
Pierre Senges va faire de la pièce un affrontement verbal et moral entre Duncan et
Macbeth, ou du moins on suppose qu'il l'a été. « J'ai été
Macbeth – Je le sais, j'ai été
Macbeth ». Non seulement
Pierre Senges ne réécrit pas la pièce, car ce serait faire comme le singe, chimpanzé ou bonobo de
Jorge Luis Borges. D'ailleurs, il nous informe dans « Epitre aux Wisigoths » (2023, Editions Corti, 190 p.), que tapant aléatoirement sur un clavier, le primate aurait réussi, non pas à réécrire «
Hamlet », mais «
Madame Bovary ». C'est encore
Flaubert qui va payer les pots cassés.
Donc le livre n'est pas une réécriture, ce qui serait inutile et dommageable, mais un essai sur le théâtre. Un espace ou le vrai et le faux s'emmêlent. le théâtre en tant que prisme. L'assassin d'un côté, la victime et les complices de l'autre en tant que spectre.
Pendant toutes les premières pages, un personnage seul monologue. « J'ai été
Macbeth ». Ce n'est plus « l'être et le ne pas être » de «
Hamlet ». Il est vrai qu'étant seul sur scène, il ne peut que monologuer. Mais il dialogue en fait avec lui-même. C'est ce que l'on appelle le monologue intérieur. « Etre
Macbeth pour un tyran, roi héritier des rois, c'est la moindre des choses, c'est une évidence, c'est une tautologie revenant à attribuer le titre de
Macbeth à
Macbeth – et sur cette tautologie, le tyran fonde son empire ». La misère d'être roi après l'avoir tellement voulu. « Tenter de respecter les prophéties des trois vieilles folles venues de l'ancienne Ecosse ». On n'en dira jamais assez les grandeurs (parfois) et servitudes (souvent). « C'est tomber à nouveau sur lady
Macbeth, sur ses mains blanches et ses manières de tragédienne, ses mines de Sarah Bernhardt compromise dans des affaires d'état ». La pauvre actrice qui finit avec une jambe de bois bouffée aux vers. A propos, vient de sortir « Scandaleuse Sarah » de
Elizabeth Gouslan (2023, L'Archipel, 240 p.) pour le centenaire de sa mort. Comme quoi on peut faire scandale à tout âge, mais pour l'excuser, elle était fille d'une demi-mondaine, comme on disait on ces temps-là.
« Si j'ai été tyran au lieu d'être comédien », question dont on n'est pas sûr qu'elle doive, ou puisse simplement se résoudre par l'utilisation d'un passé ou d'un futur probable. « Moi je préfère rester seul en présence de mes questions non résolues, convaincu d'être encore en vie tant que j'hésite entre le pour et le contre ». C'est beau comme du
Shakespeare.
Mais il essaie de se trouver des excuses, avec en environnement délétère. « Quand on est comme moi entouré d'autant de corbeaux vivants que de corbeaux empaillés, il n'est pas si facile de se faire une raison ; je pourrais rire dans mon sommeil, rien ne me dit que le rire est plus tangible que le sommeil ». « Bref, si j'ai été le
Macbeth véritable, j'ai été un imposteur, ce qui rend encore plus difficile la distinction entre tyran réel et tyran de comédie. L'essentiel, quand j'étais
Macbeth, peu importe lequel, était de sauver ma peau en me méfiant comme de la vérole de toute forme d'authenticité ».
Et puis à 8 pages de la fin, le ton change. « Nous pouvons imaginer qu'au lieu de fuir ou d'être mis à mort,
Macbeth s‘est laissé capturer » Enfermé dans sa prison,
Macbeth lit en prison « La Tragédie du roi
Macbeth ».
« A partir de maintenant, vous ne m'entendrez plus ». C'est le silence. Silence dont
Pierre Senges fera le thème de son essais postérieur « Epitre aux Wisigoths » (2023, Editions Corti, 190 p.) et de son «
Un long silence interrompu par le cri d'un griffon » de
Pierre Senges (2023, Verticales, 172 p.) dans lequel on peut lire l'admirable « Encyclopédie du Silence ».
Pourvu que
Pierre Senges, même s'il se tait, écrive.