La lumière pâle n’était pas éteinte
Là-bas il y avait une lumière qui ne s’éteignait pas Quelque chose de doux, d’incertain comme des seins ou des fesses se reflétait vaguement et les mains prises les unes dans les autres étaient défaites puis ressaisies pour ne plus bouger On ne pouvait pas savoir si c’était le matin ou le soir Et si quelqu’un criait ou baissait la tête on l’appelait en silence et il ne revenait plus Assis à la même place on mangeait et on faisait ses besoins Fatigué on harcelait sa famille et ses voisins On se mettait facilement en colère et si quelqu’un nous marchait sur le pied on devenait son ennemi juré Un type s’est rué sur la cousine pour lui arracher sa dent en or Il l’a étranglée
La lumière devenait un peu plus claire ou un peu plus sombre Quand il faisait un peu plus clair cela s’appelait l’espoir Quand il faisait un peu plus sombre l’espoir ressemblait à la trace des excréments plâtrés sur le mur Le plafond était mouillé de sueur et des seins des jeunes filles se dégageait une odeur de pourriture Les jeunes filles riaient bruyamment Et quand il faisait de nouveau sombre les hommes baissaient leur pantalon vers les jeunes filles aux paupières baissées Entre désirs et désirs, les enfants sautaient innocemment de-ci de-là
La lumière pâle n’était pas éteinte Ah, qu’elle s’éteigne murmurais-je Elle ne s’éteignait pas
De nouveau le printemps est arrivé
En haut de la côte le terrain vague est couvert d’herbes vertes et en dessous à côté d’une flaque d’eau sur les souches fendues de trois peupliers des bourgeons verts ont poussé On dirait même que les vieux arbres ont parfois envie d’avoir l’air jeunes
Tout le monde sait que ce qu’on a tant attendu ne vient pas Même moi je sais qui aime qui et qui a tordu le cou de quelqu’un en faisant semblant de l’embrasser Elle est longue et languissante la vie du quartier où l’on égorge le cochon
Parfois nous nous interrogeons Nous nous demandons encore et encore si les bourgeons verts vont pousser sur notre dos courbé mais il n’y a que la langue douceâtre mâchée comme du lard, et notre vie a toujours été comme un paysage flou à travers les vieilles fenêtres poussiéreuses
Bercé geignant somnolant un moment et lorsqu’on se réveillait de ce sommeil on avait envie de s’élancer en se déchirant en lambeaux en hurlant en sanglotant en s’arrachant les cheveux et en se débattant comme le jet d’eau fou furieux du tuyau en caoutchouc de la station de lavage…
Rien ne s’est passé comme ça Elle est longue et languissante la vie du quartier où l’on égorge le cochon Si en retenant mon souffle je me mettais à plat ventre dans l’herbe, les couches de calcaire luisant s’amoncelaient sur ma poitrine
Le mois de Marie 1
Ce jour-là les fleurs s’épanouissaient en caressant leurs poitrines timides et leurs racines tristes Le printemps caché dans les fleurs comme un amant qui s’enfuit avait souvent envie de mourir Le printemps urinait sur le côté de la rue comme un enfant avec le bas du corps nu et il courait en soufflant une haleine brûlante vers le magasin de boissons Au gracieux mois de mai anticyclonique nous avions souvent envie de mourir sur la terre sèche Ce jour-là quand nous disions la messe avec les Samaritaines le pollen des saules entrait par les fenêtres et nous avions souvent envie de mourir, Agneau de Dieu, qui enlève le péché du monde… Les vieux moutons qui ne pensaient pas à mourir priaient de tout leur cœur et nous avions souvent envie de mourir En s’enroulant le corps dans des pétales plus longs qu’une barque blanche, en secouant la tête à cause de l’éblouissement et de l’émotion nous avions envie d’aller vers la terre où personne n’avait jamais mis les pieds Au gracieux mois de mai quand le pollen des saules couvrait les yeux la messe était finie et la sueur froide coulait sur l’autel rouge
Mère d’amour,
Chaque fois qu’avec peine j’appelle ton nom,
Tu jouis seule de la souffrance de l’agonie
Appelle
Avec ton regard, avec ta voix
Cet enfant du péché…
Et de nouveau le brouillard est tombé
Et de nouveau le brouillard est tombé Il s’est passé ici une affaire innommable Au lieu d’en parler les gens sont partis au loin en marchant à quatre pattes Et de nouveau le brouillard a brillé d’une couleur de peau et les bourgeons verts ont poussé sur les poteaux électriques Il s’est passé ici une affaire innommable ! Une affaire honteuse, même sans y être impliqué ! Depuis ce temps-là les gens hurlaient comme des chiens quand ils se rencontraient
Et de nouveau le brouillard a fait rentrer les gens dans leurs chambres Ils chuchotaient à voix basse À chaque fois qu’ils ouvraient la bouche l’écume blanche mouillait leurs lèvres et redescendait vers la gorge Il ne fallait pas se regarder Chacun repoussait l’autre du regard et le plongeait dans le brouillard De temps à autre le sifflet du train retentissait et le sol de la chambre se soulevait
Ah, pendant longtemps il s’est passé ici une affaire innommable…
Tous les matins l’humiliation
Tous les matins l’humiliation était gravée sur le dos comme sur une carapace de tortue Personne n’était au courant sauf ma sœur Je ne pouvais pas m’allonger dans la journée Je laissais passer le temps assis sur une chaise, accroupi autant que possible comme une chaise Je ne pouvais ni voir mon père ni le croire Entre temps, les plants de riz ont grandi et on les a coupés tous en même temps
Tous les matins les arbres nus étaient alignés devant et derrière Il semblait que les barbares viendraient franchir les montagnes à cheval Quand je tendais les oreilles ma sœur criait à voix basse, de plus en plus basse C’est une humiliation, mon frère, c’est une humiliation ! Quand je faisais le moindre geste ma sœur s’envolait au loin
Peu à peu, j’ai dû arracher le nid dans mon cœur
La chaleur des œufs collait au bout de mes doigts
Tous les matins le nid s’est reconstruit dans mon cœur