Citations sur Dernières nouvelles du sud (45)
La steppe patagone invite les humains au silence car la voix puissante du vent raconte toujours d'où il vient et, chargé d'odeurs, dit tout ce qu'il a vu.
L'espagnol fonde sa richesse sur sa capacité à adopter des mots, qui ont pour origine des vocables indigènes, des difficultés phonétiques rencontrées par les immigrants, ou les problèmes auditifs des criollos face à des termes inconnus.
Il y a deux ans environ, la Real Academia de la Lengua Espanola a accepté le mot chimichurri défini comme une sauce composée d'huile, de vinaigre, d'origan, de sel et d'épices servant à accompagner les viandes.
D'après l'Académie, sa racine étymmologique serait peut-être un mot aymara mais on n'est pas sûr.
Chimichurri est né des difficultés d'un gaucho à moitié sourd au service d'un éleveur anglais qui lui aura mille fois ordonné "give me a curry"....
Le guide Forbes est une sorte de publication pornographique où sont répertoriées les plus grandes fortunes du monde, et pour cette poignée de multimilliardaires qui se sont approprié toutes les richesses de la terre, le fait de posséder quelques milliers d'hectares en Patagonie est une sorte de signe distinctif, une marque prestigieuse sur l'arrière-train de leur âme.
La Patagonie et la Terre de Feu ont toujours été considérées comme des territoires susceptibles d'être spoliés impunément. Au nom de l'élevage et du progrès on a exterminé des ethnies, des races, des forêts et, quand il n'y a plus eu un seul Indien vivant, on a cherché leurs restes, leurs momies, pour les expédier dans tous les musées du monde.
El Bolson offre l'air transparent de la "Contrée" et je me demande si Tolkien n'y a pas séjourné avant d'écrire "Le Seigneur des Anneaux". La ville se dresse au milieu d'une vallée très fertile et le tracé de ses rues lui donne un air de village de pionniers mais de pionniers vêtus en hippies des années 60 et qui affirment avec un naturel avoir des contacts fréquents avec des fées, des elfes et des lutins.
Nous savions que La Trochita partait le mardi d'El Maiten avec une ponctualité toute patagone, c'est à dire entre huit heures du matin et midi et, qu'après avoir fait le trajet jusqu'à Esquel, elle revenait le jeudi avec la même exactitude, faisant en sens inverse les trois cent cinquante kilomètres qui subsistent encore sur les mille sept cents que parcourait à l'origine le Patagonia Express, avant les privatisations et la mort des chemins de fer argentins.
Je m'y trouvais alors que le ciel explosait et qu'un orage d'été se laissait tomber sur la ville la plus dynamique d'Amérique latine. L'air avait l'odeur des jacarandas chantés par Susana Rinaldi, le ciel ouvrit sans pudeur ses écluses et l'eau prit possession des rues.
Plus tard, en 1880, quand on commença à coloniser le grand territoire austral et que la presse britannique fit remarquer non pas la fragile beauté de ce monde mais son potentiel économique qui induisait "la triste nécessité d'anéantir les barbares", les lances de quila ajoutées aux flèches et aux boleadoras affrontèrent de nouveau les envahisseurs mais, cette fois, elles furent vaincues par le plomb et les arguties juridiques des usurpateurs avides de terre qu'ils n'aimeraient jamais, de richesses qui engraisseraient les banquiers d'Europe et d'un prestige que l'histoire n'a pas encore commencé à juger.
L'air de la steppe était pur, les visages penchés aux portières souriants, la colonne de fumée crachée par la locomotive assurée, le sifflet annonçant le passage du train clair et omniprésent, souple la rigueur des bielles qui, de toute la force de l'acier, actionnaient les roues et le bercement invitait à accepter le maté de son voisin tandis que les conversations passaient en revue tous les sujets de la vie.
En 1982, la dictature militaire argentine de Galtieri s'est lancée dans l'aventure des Malouines qui a mal fini, et a signifié l'affaiblissement définitif de la puissante caste militaire et parasite qui a dominé l'histoire de l'Argentine pendant de nombreuses années.