Une jolie petite mouette victime de la folie des hommes, voici le thème de l'histoire que Luis Sepulvada, romancier chilien, a choisi d'écrire en 1996 pour ses enfants Sebastian, Max et Léon qu'il définit comme « le meilleur équipage de ses rêves ».
Et moi, c'est la lecture de ce conte que j'ai choisi de partager avec une toute jeune fille de onze ans: minipatch. J'ai tenté d'apporter mon regard d'adulte sur ce texte . Nous le lisons chacune dans notre pré carré, à l'abri de toute zone d'influence, de toute zone de turbulence afin de nous exposer ou de nous immerger tantôt dans le rêve tantôt dans la réalité. Notre vision du monde, nos attentes, nos émotions, notre sensibilité nous serviront d'équipage.
Cette petite mouette, plombée sous une chape de mazout, sent bien que ses jours sont comptés. Son agonie est imminente. Elle tente, telle Icare, de s'approcher des rayons du soleil, là, très haut dans le ciel. Même cette chaleur ne fait pas fondre la masse noire, gluante qui s'accroche et l'empêche de respirer. C'est fichu ! « Les humains sont devenus fous », c'est exactement çà. Fous ! « la malédiction des mers, la peste noire » ont fait d'elle une victime….victime de la pollution.
Hasard ou destinée, fatalité ou manque de chance ? L'histoire aurait pu s'arrêter là si l'auteur, doué d'une imagination poétique et d'un esprit engagé, n'avait laissé courir sa plume pour « pondre » un conte plein de tendresse et de générosité tout comme cette pauvre mouette a réussi, contre toute attente, au plus creux de la vague à pondre un oeuf.
Oh ! oh ! Zorbas un chat grand, noir et gros, traîne voluptueusement sa paresse. Sa vie aurait pu s'écouler tranquillement mais Clac ! Une pauvre mouette qui vient d'on ne sait où, enfin probablement d'une forme de chaos imprévisible, s'étale épuisée devant lui.
Là l'histoire gagne en profondeur, en humanité, en tolérance. La haine et la cupidité sont représentées bien sûr, comment faire autrement pour que cette histoire soit crédible ? La mouette rassemble ce qui lui reste de force avant de mourir et pond un oeuf. Zorbas s'engage un peu malgré lui à le couver cet oeuf, à élever le poussin et à lui apprendre à voler. C'est un chat d'honneur. Il ne faillira pas. La tendresse va s'installer progressivement, Zorbas devient une maman donc il faut parler d'amour et d'attention !
L'inventaire du bazar du port (p 38,39,40) aurait pu sortir du chapeau de Jacques Prévert ou de celui de Frédéric Clément . L'auteur nous comble d'une poésie d'une fraîcheur reposante avant de nous offrir des images fortes, souples, adaptables à tous les âges, sujettes aux interprétations les plus profondes sur la responsabilité, l'engagement, le courage, la solidarité, la vie en communauté, l'entraide, la tolérance, le travail sur soi, la personnalité, la différence et le respect qui va si bien avec…..
L'histoire finit bien tant mieux… et c'est précisément parce que tous les aspects sociétaux mis en oeuvre par Luis Sepulveda s'animent autour d'un même objectif que cette histoire connait une fin heureuse et pérenne.
L'écriture de ce texte est simple et c'est à mes yeux le tour de force de l'auteur. Décrire des sentiments puissants, parfois compliqués avec des mots simples, accessibles, très certainement travaillés, et travaillés encore pour qu'ils ne perdent rien de leur intensité, de leur justesse, de leur sens. L'humour parsemé ici ou là vient ponctuer régulièrement la gravité du sujet probablement pour lui donner des ailes.
Une lecture intergénérationnelle à partager, à savourer. Un beau moment et en le lisant et en en parlant.
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Tu es une mouette. (...) Nous t'aimons tous Afortunada. Et nous t'aimons parce que tu es une mouette, une jolie mouette. Nous ne te contredisons pas quand tu cries que tu es un chat, car nous sommes fiers que tu veuilles être comme nous, mais tu es différente et nous aimons que tu sois différente. Nous n'avons pas pu aider ta mère, mais toi nous le pouvons. Nous t'avons protégée depuis que tu es sortie de ton oeuf. Nous t'avons donné notre tendresse sans jamais penser à faire de toi un chat. Nous t'aimons mouette. Nous sentons que toi aussi tu nous aimes, que nous sommes tes amis, ta famille, et il faut que tu saches qu'avec toi, nous avons appris quelque chose qui nous emplit d'orgueil : nous avons appris à apprécier, à respecter et à aimer un être différent. Il est très facile d'accepter et d'aimer ceux qui nous ressemblent, mais quelqu'un de différent c'est très difficile, et tu nous as aidés à y arriver. Tu es une mouette et tu dois suivre ton destin de mouette. Tu dois voler. Quand tu y arriveras, Afortunada, je t'assure que tu seras heureuse et alors tes sentiments pour nous et nos sentiments pour toi seront plus intenses et plus beaux, car ce sera une affection entre des êtres totalement différents.
- Je vais pondre un œuf. Avec les denières forces qui me restent je vais pondre un œuf. Chat, mon ami, on voit que tu es bon, que tu as de nobles sentiments. Je vais te demander de me promettre trois choses. Tu vas le faire? demanda-t-elle en secouant maladroitement ses pattes dans un essai manqué pour se redresser.
Zorbas pensa que la pauvre mouette délirait et qu'avec un oiseau dans un état aussi lamentable on ne pouvait qu'être généreux.
- Je te promets tout ce que tu voudras. Mais maintenant repose-toi, miaula-t-il avec compassion.
( Les chats veulent entrer dans le bazar d'Harry et voient Matias, le chimpanzé qui en garde l'entrée. )
-Un instant sacs à puces! Vous oubliez de payer l'entrée! glapit Matias.
-Et depuis quand est-ce qu'on paye, nous les chats ? demanda Secrétario.
-Sur la porte il y a : entrée deux marks. Nulle part il est écrit que les chats entrent gratis. Huit marks ou vous fichez le camp ! glapit énergiquement le chimpanzé.
-Monsieur le singe, je crains que les mathématiques ne soient pas votre fort, miaula Secrétario.
-C'est exactement ce que j'allais dire. Une fois de plus et vous m'enlevez les miaulement de la bouche, protesta Colonello.
-BLABLABLA! Payez ou fichez le camp! cria Matias.
Zorbas sauta sur le comptoir et regarda le chimpanzé dans les yeux. Il soutint son regard jusqu'à ce que Matias cligne des yeux et commence à pleurer.
-Bon, en réalité ça fait six marks. Tout le monde peut se tromper, reprit timidement Matias.
Sans cesser de le regarder dans les yeux, Zorbas sortit une griffe de sa patte droite de devant.
Ça te plaît Matias ? J'en ai neuf autres pareilles.
Tu peux les imaginer plantées dans ce cul rouge que tu as toujours à l'air ? miaula-t-il tranquillement.
-Pour cette fois, je ferme les yeux. Vous pouvez passer, glapit le chimpanzé en prenant un air calme. Les trois chats, la queue orgueilleusement dressée, disparurent dans le labyrinthe de couloirs.
Le chat grand noir et gros prenait le soleil sur le balcon en ronronnant et en pensant comme c'était bon d'être là à recevoir les rayons du soleil, le ventre en l'air, les quatre pattes repliées et la queue étirée.
Car les humains sont en général incapables d'accepter qu'un être différent d'eux les comprenne et essaye de se faire comprendre. Par exemple, les chats étaient au courant du triste sort des dauphins, qui s'étaient comportés de façon intelligence avec les humains et que ceux-ci avaient condamnés à faire les clowns dans des spectacles aquatiques. Et ils savaient aussi les humiliations que les humains font subir à tout animal qui se montre intelligent et réceptif avec eux. Par exemple, les lions, les grands félins, ont été obligés de vivre derrière des grilles et d'accepter qu'un crétin mette sa tête dans leur gueule, les perroquets sont en cage et répètent des sottises.
Histoire d'une mouette et du chat qui lui apprit à voler