Effacer, un titre parlant et énigmatique à la fois, comme une porte d'entrée sur ce qui n'est plus. Ou plutôt dans ce roman, sur la personne qui n'est plus. Il nous faudra un petit moment pour savoir si l'absence de Nidhalé est définitive ou temporaire, la conséquence d'une décision ou d'un drame. Une question qui m'a tenue en haleine et qui a rendu les mots de Lamiss, dans l'attente de cette femme qu'elle aime tant, encore plus forts.
À travers des lettres touchantes et vibrantes d'un amour impossible à contenir, et encore plus à oublier, Lamiss nous dévoile son histoire, leur histoire... Une histoire d'amour entre femmes dans un pays conservateur, le Maroc, où les relations homosexuelles ne sont guère tolérées. Et pourtant, comment ne pas ressentir au plus profond de soi, la pureté et la beauté des sentiments amoureux qui nous sont dévoilés. D'une fulgurante poésie et force, ils nous assaillent et nous étreignent à mesure que défilent les pages. J'ai été très touchée par Lamiss, son besoin viscéral de retrouver Nidhalé et le poids de l'absence qui finit petit à petit par l'étioler, métaphoriquement comme littéralement. S'
effacer pour oublier, à moins que ce ne soit l'oubli imposé qui finit par
effacer…
En plus de cette forme épistolaire propice à instaurer un climat de confiance et de proximité entre Lamiss et les lecteurs,
Loubna Serraj introduit une narration plus classique dans laquelle nous apprenons à mieux connaître Lamiss, professeure de français dans un collège. Une profession qu'elle embrasse avec conviction, et dans laquelle elle semble s'épanouir malgré certaines décisions arbitraires de sa direction, prises, en autres, sous couvert de la bien-pensance religieuse. J'ai aimé la manière dont cette enseignante réussit à créer des liens forts avec certains élèves, et notamment l'un d'entre eux dont les fêlures font, dans une certaine mesure, échos à celles de son passé. Il y a des épreuves et des absences qui rapprochent…
Durant ces moments de vie, la Lamiss amoureuse des lettres laisse place à d'autres facettes d'elle-même, bien que Nidhalé ne soit jamais très loin de son esprit. Cela donne une certaine consistance et épaissit les contours de cette femme très ancrée dans ce (celle) qu'elle a perdu, quitte parfois à se laisser porter par une mélancolie qui la coupe des autres. À cet égard, j'ai, en plus de Lamiss qui m'a profondément touchée dans sa détresse et sa sensibilité, apprécié son collègue Ayden et sa femme, ainsi que leurs deux enfants. Ils lui apportent un peu de cette chaleur humaine dont nous avons tous besoin, et lui permettent de ne pas laisser ses pensées se focaliser sur l'image de l'absente qui aurait trop vite fait d'occulter les présents.
L'autrice a choisi de découper son roman en trois parties, me donnant le sentiment de suivre le fameux schéma thèse, anti-thèse, synthèse, l'émotion en plus et le manque de souplesse en moins. Un choix intéressant, le changement de point de vue et de perspective opéré ne manquant pas d'impulser une nouvelle dynamique au récit, mais je reconnais avoir préféré la densité émotionnelle de la première partie. Je n'ai pas développé le même attachement pour la protagoniste de la deuxième partie, mais je ne peux nier avoir été touchée par ce qu'elle vit et la manière dont petit à petit, elle découvre son passé dérobé et par extension, l'importance de ce qu'elle a perdu. Je n'ai pas forcément compris toutes ses réactions, mais j'ai compris que se perdre soi-même, en plus de souffrir de la morsure de la trahison, peut pousser à s'
effacer et à se replier avant, peut-être, plus tard, de prendre le risque de se (re)déployer…
Le roman est relativement court, mais l'autrice balaie un panel important de thèmes : les relations homosexuelles dans un pays où elles ne sont pas tolérées, le poids des regards dans une société traditionnelle et patriarcale, la mémoire et ses complexes mécanismes notamment de protection te de défense, les fêlures du passé, la peur de l'abandon, l'acceptation de soi, les relations familiales, le mensonge et la trahison sous couvert d'amour…
Des thèmes parfois difficiles portés par la plume pleine de délicatesse et de poésie de
Loubna Serraj, une plume qui m'a touchée et qui met en exergue les sentiments, des plus intenses à ceux anesthésiés par le poids de l'oubli et de la perte de soi. Une plume à la hauteur d'un roman émouvant qui, avec force, permet de saisir la difficulté de vivre une histoire d'amour entre deux femmes dans une société qui voit l'homosexualité comme un péché.
Effacer,
effacer,
effacer comme un mantra mais aussi comme une lumière au bout du tunnel, car si on ne peut pas tout
effacer sans se perdre au passage, on peut tenter d'
effacer la douleur pour se reconstruire une forme de bonheur.
Beau, fort et poignant, un roman marquant qui allie la puissance du style à l'importance du propos !
Je remercie les éditions Au diable Vauvert et Babelio de m'avoir envoyé ce roman, dans le cadre d'une masse critique, en échange de mon avis.
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