Elle l'a poussé, comme on pousse un mauvais chien dans un fossé, poussé vers moi avec un sec : "Voilà, c'est lui, c'est Bernard, à ce soir !" pour partir aussitôt, me laissant avec ce petiot hurlant, affolé, perdu.
Je l'ai détestée sur-le-champ, la garce, la malvenue, la vipère mielleuse qui me susurrait au téléphone : "Il est mignon, vous savez, il mange bien, il joue bien, il dort bien, prenez-le ! " et je fus soulagée qu'elle ne manifesta aucune intention de rester. Il était là, hurlant toujours, un petit bonhomme chinois de trois ans et demi, tout rond, pas bien beau avec un air de chat mouillé, ses cheveux courts et tailladés, ses habits troués et mal ficelés. Il était là avec son chagrin, jeté chez moi comme au rebut et sans avoir été prévenu, pleurant de peur sur le tapis.
Benjamin,depuis quinze jours à la maison,commence à se trans former nettement,à devenir exubérant,à faire des farces.Il se sent bien.Un soir,il m'appelle maman,tout naturellement et je ne tique pas,comment le pourrais-je?Je suis sa maman sans l'être.Enhardi ,il appelle aussitôt Julien papa,qui ne réagit pas non plus.Qu'il est difficile les choses à un petit bonhomme de trois et demi!