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Pierre Leyris (Traducteur)John Davies Jump (Préfacier, etc.)F. N. Lees (Auteur du commentaire)
EAN : 9782080706683
282 pages
Flammarion (07/01/1993)
3.98/5   584 notes
Résumé :
Au retour du mariage de la princesse Claribel avec le roi de Tunis, le vaisseau du roi de Naples, Alonso, qu'accompagne son fils Ferdinand, est pris dans une tempête et s'échoue sur une île habitée par un monstre, Caliban, et par un esprit aérien, Ariel. L'ancien duc de Milan, Prospéro, naguère évincé du trône par son frère Antonio, y vit depuis douze ans : or c'est lui qui a magiquement provoqué la tempête...

Si La Tempête, dernière pièce de Shakespe... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (58) Voir plus Ajouter une critique
3,98

sur 584 notes
Une pièce superbe. Une écriture vive et belle, malgré les altérations subies par l'anglais depuis lors et l'outrage que constitue toute tentative de traduction, quelle qu'elle soit.
Comment voulez-vous rendre en polonais, en laotien, en swahili, en hindi ou en piètre français des formules aussi sublimes que : « We are such stuff as dreams are made on ; and our little life is rounded with a sleep… »

Pour vous en convaincre, essayez donc de traduire en anglais le fameux « À vaincre sans péril, on triomphe sans gloire ». Vous obtenez des choses miteuses dans le genre : « Triumph without peril brings no glory » ou bien « In conquering without danger we triumph without glory. » ou bien alors l'indigent « To win without risk is to triumph without glory » ou encore l'horrible « If one beats without difficulty, one triumphs without glory ». Bref, des bredouillis insoutenables et incomparables en force et en beauté à l'original. (J'aurais pu choisir pour ma démonstration tout autre formule merveilleuse comme « Mais pour qui sont ces serpents qui sifflent sur vos têtes » ou « Couvrez ce sein que je ne saurais voir »)

Il ne faut pas espérer mieux en retour quand on s'immisce sur les terres anglophones, ou quelque terres que ce soit, d'ailleurs. Comme l'exprime si bien Umberto Eco, on ne peut s'efforcer que de dire « presque la même chose », avec tout l'abîme contenu dans le « presque ». Il nous faut donc nous contenter, nous autres francophones, de « presque » la même pièce, avec « presque » la même force et « presque » la même émotion.

Il n'en demeure pas moins, même en français, une belle pièce, que l'on pourrait qualifier de tragi-comédie, un peu à la façon de Lope de Vega, d'aucuns disent également qu'il s'agit d'une romance. Peu importe la case dans laquelle on la glisse, l'important est ce qu'il y a dedans.

Prospéro était, il y a des années de cela, le légitime duc de Milan. Il a été dépossédé de son titre par son frère Antonio avec la complicité du roi de Naples, Alonso. Échappant de peu à la mort, Prospéro et sa toute jeune fille Miranda échouent sur une île quasi déserte, à l'exception d'une sorcière et de son diable de rejeton Caliban.

Durant de nombreuses années, avec ses quelques livres, au fond de sa grotte, Prospéro a le temps de s'adonner à son art des sciences occultes et acquiert même une certaine dextérité en matière de magie. Il a aussi le temps de voir grandir sa fille et de constater l'échec de sa tentative d'éducation du petit sauvage Caliban.

Vient ensuite le moment où Prospéro, qui s'est rendu maître d'un certain nombre d'esprits en tout genre, décide de rentrer en possession de son bien, le duché de Milan. Pour se faire, il organise avec son esprit de main Ariel, le naufrage du bateau royal d'Alonso, lequel, avec toute sa suite s'était rendu au mariage de sa fille avec le roi de Tunis.

Le fils du roi Alonso, Ferdinand, l'un des seuls à conserver un coeur pur est l'objet des soins de Prospéro, qui souhaite une union entre sa fille Miranda et lui… Complots, machiavélisme à tout crin émaillent cette histoire, mais aussi des scènes carrément burlesques, notamment sous la houlette de Stéphano, le sommelier ivrogne et de Trinculo, le bouffon d'Alonso.

CQFD, ferments tragédiens + comédie = tragi-comédie. Et je dois reconnaître qu'elle est suffisamment riche pour donner lieu à de multiples interprétations. La première, et la plus classique, consiste à considérer chaque personnage un peu comme un symbole ou une allégorie d'un trait de la nature humaine avec ses multiples facettes, parfois noble, désintéressée et sublime, parfois fourbe, arriviste et pendable. On peut encore y voir une allégorie du colonialisme et de la nature féroce des rapports qu'entretiennent les autochtones et les colonisateurs.

Mais on peut aussi, bien que je ne rejette en rien les autres interprétations, y voir un clin d'oeil propre de William Shakespeare, dont on sait qu'il s'agit probablement de sa dernière pièce, suite à son choix de se retirer de la scène. le personnage de Prospéro prend alors une tout autre dimension et c'est alors, l'auteur lui-même que l'on voit poindre à travers lui. Prospéro, l'homme du livre et du savoir, qui règle ses vieux comptes avec ses pairs. Prospéro qui s'en retourne sur ses terres, loin de la sauvagerie. (Il faut alors entendre que c'est Londres, la terre de sauvagerie et d'empoignade, et que lui retourne dans son paisible pays natal de Statford, tout comme Milan représente le paisible âge d'or pour Prospéro.)

On peut y lire aussi que Prospéro ne se fait pas d'illusions sur la nature humaine, il sait qu'elle peut être belle et noble, mais aussi félonne et impitoyable. Lui range ses sortilèges tout comme Shakespeare plie ses gaules et quitte le théâtre, sur une note d'espoir, avec un peu d'humour, mais sans trop y croire tout de même.

Mais de tout ceci, vous aurez noté qu'il ne s'agit que de mon interprétation, c'est-à-dire, pas grand-chose, car nous sommes de la même étoffe dont sont faits les songes, et que notre petite vie est cernée de sommeil…

P. S. : la fabuleuse tirade de Prospéro de l'Acte IV, Scène 1 est un monument difficilement égalable que je vous recopie tel quel :

Like the baseless fabric of this vision, the cloud-capped towers, the gorgeous palaces, the solemn temples, the great globe itself, yea, all wich it inherit, shall dissolve, and, like this unsubstantial pageant faded, leave not a rack behind : we are such stuff as dreams are made on ; and our little life is rounded with a sleep...
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Muf ! Mouiii… Bah ! Bof ! Héééé ! Tiens, tiens !

Rassurez-vous, je ne me suis pas métamorphosé en une caricature de ce cher Achille Talon pour vous donner mon ressenti sur La Tempête. Mais cette suite d'onomatopée traduit assez bien l'évolution de ce ressenti au cours de ma lecture.

J'ai commencé par être déçu. La raison en est que j'avais placé très haut mes attentes sur cette pièce, simplement parce qu'elle a été regroupée avec le Songe d'une Nuit d'Été dans le sous-groupe des Fééries. Et il faut savoir que je place le Songe au panthéon de toutes les pièces de théâtre produite dans la galaxie (c'est assurément mon goût pour les littératures de l'imaginaire qui s'exprime). Prospero et Caliban étaient comme des noms mythologiques et j'allais enfin découvrir leur Edda.
Comme souvent quand on attend trop de quelque chose, on est un brin désappointé quand ce quelque chose advient. Très subjectivement, ma joie présumée est retombée comme un soufflé, mais il m'est difficile de reconnaître pourquoi. Peut-être un manque de féerie justement, peut-être un Prospero que j'ai trouvé plus fade et gentil qu'attendu, peut-être un abus d'éléments de farce qui se ressemblent.

Une fois retombé sur Terre cependant, le plaisir de lire Shakespeare est enfin ressorti du bois où il s'était endormi. William savait ne pas assommer son auditoire par des tirades à rallonge, simplement en introduisant au milieu de courts dialogues qui, s'il n'apporte rien en eux-mêmes, permettent de souffler et de ne pas oublier qu'on n'écoute pas une thèse mais bien une histoire avec des gens. William était un as pour les dialogues à plusieurs voix : un couple qui discute (par exemple Alonzo et Gonzalo), un autre couple qui moque le premier (Sébastien et Antonio). William manie bien la multiplicité des personnages. William glisse sa culture en citant du Montaigne et imitant du Marlowe (non, non, je n'ai pas trouvé ça tout seul ; j'ai seulement lu les notes de François-Victor Hugo, le traducteur).

Comme dans le Songe, tout est bien qui finit bien à la fin. Je n'ai pas pu m'empêcher de rapprocher la clémence de Prospero de celle d'Auguste dans Cinna de Corneille. Il avait pourtant toutes les raisons et toute la puissance de pratiquer une vengeance d'une profonde cruauté. Mais non, il reste soft. Impressionnant !

Même si mon plaisir effectif n'a pas été à la hauteur de celui espéré, j'ai quand même passé un bon moment. Et je devais de toute façon la lire afin de pouvoir attaquer armé le roman fantasy de Poul Anderson Tempête d'une Nuit d'Été qui, comme son titre l'indique, s'inspire des deux fééries de Shakespeare.

Challenge Théâtre 2017-2018
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Créée en 1611, la pièce ne connaîtra pas d'édition du vivant de Shakespeare, mais elle figurera en tête dans le fameux Folio du 1623, qui rassemblait pratiquement toutes les pièces du dramaturge, et dont la qualité fait une source majeure pour l'oeuvre de Shakespeare. Cette pièce est par ailleurs généralement considérée comme la dernière de son auteur, ce qui lui donne un statut et une résonance particulière. D'autant que les spécialistes n'ont pas identifié de sources dont Shakespeare aurait pu s'inspirer pour sa pièce : il s'agit donc d'une création sortie complètement de son imaginaire.

Prospéro, le duc de Milan a été détrôné par son frère, Antonio, avec l'aide d'Alonso, roi de Naples. Parti sur un bateau, il se trouve avec sa fille Miranda, dans une île inhabitée. Prospéro est magicien, et lorsque Alonso et Antonio, en voyage, se trouvent à proximité de son île, il déclenche une tempête, qui va les obliger à s'y rendre. Grâce à sa magie, aidé par une esprit qu'il a asservi, Ariel, il va se faire rencontrer Ferdinand, fils d'Alonso et Miranda, qui comme il l'a prévu, tomberont amoureux. Ariel fait échouer la tentative d'Antonio et de Sébastien, frère d'Alonso, de tuer ce dernier. Par ailleurs, il empêche également une tentative d'un autre esprit, Caliban, qui a poussé deux marins à tenter d'assassiner Prospéro. le magicien se découvre, pardonne à son frère et à Alonso, le mariage entre Miranda et Ferdinand est décidé, et Prospéro rentre récupérer son duché, et jette ses livres de magie.

Une intrigue au final très simple et linéaire, même si le personnage de Caliban apporte quelques péripéties un peu à la marge de l'intrigue principale. L'ensemble de l'action se déroule sur la même durée que la durée de la pièce, les événements antérieurs étant racontés par Prospéro à Miranda, qui ne les connaissait pas à cause de son jeune âge.

Dernière pièce, écrite alors que Shakespeare s'était retiré de Londres, elle a souvent été considérée comme son testament. L'identification entre l'auteur et son personnage principal a souvent aussi été avancée : Prospéro est un démiurge, mais aussi un auteur et un dramaturge, qui met en scène les événements, les observe des coulisses, fait intervenir Ariel, et décide du déroulement des actions, qui vont amener à la conclusion qu'il a décidé. Il n'est pas exempt de défauts : parfois colérique, il a une part de responsabilité dans la perte de son duché, dont il ne s'occupait pas, obsédé par l'acquisition de pouvoirs magiques.

L'île de Prospéro est un lieu hors du temps, hors de l'histoire, en dehors du fonctionnement habituel du monde. La venue des visiteurs, d'un groupe, de la société, va remettre les personnages, Prospéro et Miranda dans le monde, dans le mouvement, dans une temporalité. Dans une identité sociale également. Dans la scène 2 du premier acte, Prospéro dit à Miranda « ma fille, qui ne sais pas ce que tu es ». C'est la présence, le regard des autres, qui va donner à Miranda son identité, et qui va susciter la mémoire, le souvenir, d'une histoire, de vies, d'existences inscrites dans une durée, avec des événements qui se sont déroulé et qui vont recommencer à se dérouler.

L'île est le monde de l'intime, du « en soi » , d'un retrait du monde, dans lequel il n'y a pas besoin de se définir, c'est la présence et le regard des autres qui permet ou qui oblige à se situer par rapport à eux, à se donner une identité sociale, et une histoire. La venue du groupe permet la restauration d'un ordre transitoirement troublé, et la remise en route de l'horloge. Prospéro et Miranda repartent vers leurs vies antérieures. Pas tout à fait les mêmes, puisque Prospéro brûle ses livres, ne voulant pas recommencer la même erreur.
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Que de vent !

Ciara et Inès ont la joie de vous annoncer la venue de leur petit-frère Dennis.
Ses rafales pourraient atteindre jusqu'à 130 km/h sur les côtes du Finistère et du Pas-de-Calais, au plus grand bonheur de ses grandes soeurs.

Ça souffle en bord de mer, ça souffle dans les terres...et mon imaginaire s'affole.

Le tableau Miranda vue par John William Waterhouse évoque à merveille les images et les sensations qui m'abreuvent : l'émerveillement face à la mer en furie, un sentiment de plénitude mais aussi cette certitude que rien ni personne ne peut résister aux éléments naturels lorsqu'ils se déchaînent.
Il y a des nuits où je rêve de vagues déferlantes, de terres submergées, de tempêtes terribles...
J'ai peur.
Le souffle du vent me fascine et me terrifie à la fois...

Je suis telle Miranda qui regarde au loin ce navire qui s'échoue.

" Oh ! le cri de son naufrage a retenti contre mon coeur ! Pauvres infortunés ! ils ont péri. Ah ! si j'avais été quelque puissant dieu, j'aurais voulu précipiter la mer dans les gouffres de la terre avant qu'elle eût ainsi englouti ce beau vaisseau et toutes ces créatures dont il était peuplé."

Le vent est le souffle de la vie, esprit de l'air qui nous maintient en vie. Mais il peut être aussi le symbole de violence et de mort.. Tels Ariel et Caliban.
Des esprits qui tourmentent joyeusement les personnages de cette comédie tragique.

Si la mort est omniprésente dans cette pièce, elle offre cependant des moments fort plaisants et des moments de grâce. On s'y sentira oppressé, amusé et finalement réconcilié avec le genre humain...
Shakespeare y mélange habilement tous les genres : fantastique, mélodrame, poésie, réalisme, merveilleux et tout cela virevolte avec virtuosité au gré du vent !
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Alors qu'il était duc de Milan, Prospero a laissé les rênes à son frère, Antonio, pour mieux se consacrer à ses recherches sur la magie. Ce dernier a jeté Prospero et sa fille dans un bateau pourri en espérant qu'ils ne survivraient pas. Mais ils ont trouvé refuge sur une île.
Ariel, un esprit des éléments, prisonnier de Prospero, fait souffler une tempête sur le bateau du roi Alonzo qui revient du mariage de sa fille, en compagnie d'Antonio. Les occupants du navire sont dispersés sur la plage de l'île de Prospero qui va vouloir se venger en utilisant ses pouvoirs magiques.
C'est une histoire de vengeance, d'amour, de magie et de pardon, une pièce légère et joyeuse.
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Citations et extraits (136) Voir plus Ajouter une citation
Prospéro. — Attends la fin avant que de louer.
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Extraits :
Acte I Scène 2 :
Prospéro à Miranda :
Mon art, repose ici.
Et toi, essuie tes yeux, console-toi,
Car l'horrible spectacle de ce naufrage
Qui éveilla ta compassion, si vertueuse,
Mon art, ma clairvoyance l'ont réglé
Si précautionneusement que pas une âme
N'en a pâti ; et que sur ce vaisseau
Où l'on criait si fort et que tu vis sombrer
Personne n'a perdu pas même un cheveu.

Ton oncle, quand un jour il fut passé maître
Dans l'art de satisfaire ou de rejeter les requêtes,
Favorisant un tel, empêchant tel autre
De se pousser trop haut, eh bien, il fit siens mes hommes,
Il les changea, il en fit d'autres êtres,
Il eut la clef du clerc comme du bureau,
Il fit de tous les coeurs, partout dans l'Etat,
Les cordes de sa musique, bref, il devint
Li lierre qui couvrit mon tronc princier,
Et en tarit la sève...
[...]
Fais bien attention, je te prie !
Comme je négligeais les choses du monde,
Tout à cette retraite dont j'attendais
Le perfectionnement de mon esprit
Par cette science qui, d'être trop secrète,
Passe certes l'entendement des gens du commun,
J'éveillai dans mon frère, ce déloyal,
Sa mauvaise nature ; ma confiance même,
Comme celle d'un trop bon père, fit naître en lui
En sens inverse, une traîtrise égale
A cette fois qui n'avait pas de bornes,
Hélas, non, pas de bornes ! Et lui, le maître
Ainsi de tout, prérogatives, revenus,
Et qui mentait si bien qu'à force de mentir
Il corrompit sa mémoire elle-même
Qui l'assura qu'était vrai son mensonge,
Lui, donc, ne douta plus qu'il était le duc
Donc il avait les dehors, le pouvoir,
Et, ambitieusement, de plus en plus...

[...]
Miranda
Mais comment se fait-il
Qu'on ne nous ait pas tués, cette nuit-là ?

Prospéro
Bonne question, ma fille. Mon récit
Y incite, c'est sûr. Ils n'osèrent pas, mon aimée,
Mon peuple m'aimait trop. Ils se gardèrent
De teindre leur méfait de sang, ils voulurent peindre
Un horrible projet de belles couleurs,
Bref, ils nous ont jetés dans une barque
Et conduit à des lieues au large, où attendait
Par leurs soins un rafiot, coque pourrie,
Sans voilure, sans mâts, et que les rats même
Avaient abandonnée, d'instinct. Là ils nous laissèrent
A pleurer dans la mer qui, en retour,
Nous hurlait ses clameurs ; à gémir dans les vents
Dont la pitié, c'était de gémir de même
Mais sans trop nous secouer, comme avec amour.

Miranda
Las, quelle gêne
Je dus être pour vous !

Prospéro
Tu fus un ange,
C'est toi qui me sauvas. Tu souriais,
Forte d'une assurance venue des cieux,
Alors que moi j'agrémentais la mer
D'un supplément de sel avec les larmes
Que mon fardeau m'arrachait. C'est toi
Qui me mis coeur au ventre, qui me donnas
L'énergie d'affronter ce qui allait suivre.

Acte II Scène 1
Alonso
Tais-toi, de grâce ! Tes discours ne me sont de rien.

Gonzalo
J'en crois aisément Votre Grandeur. Et je ne parlais de la sorte que pour donner occasion de plaisanter à ces gentilshommes, qui ont la rate si sensible et primesautière que c'est leur habitude de rire à propos de rien.

Antonio
De rien, en effet, puisque c'est de vous que nous rions.

Gonzalo
De moi qui ne suis rien auprès de vous pour le persiflage, en effet. Si bien que vous pouvez continuer de rire à propos de rien.

Antonio
Voilà qui est porter un bon coup !

[...]

Ariel qui chante à l'oreille de Gonzalo
Pendant que tu dors ici
D'autres veillent, qui ont ourdi
Un complot contre ta vie.
Si tu tiens à ton existence
Réveille-toi, prends conscience.
Debout, debout !

Acte II Scène 2

Stéphano
Si tu es bien Trinculo, sors de là-dessous. Je vais te tirer par tes jambes les plus courtes... Si jambes de Trinculo il y a, il faut que ce soit celles-là. (Il le tire de sous le manteau) Trinculo ! Du pur Trinculo, ma parole ! Comment t'y es-tu pris pour te faire l'étron de ce rejeton de la lune ? Est-ce qu'il chierait des Trinculos ?

Acte III Scène 1

Ferdinand
Il est des exercices bien éprouvants
Mais dont pourtant la durée rehausse
Un plaisir qu'on y trouve ; des abaissements
Que l'on endure sans déchoir ; et d'extrêmes misères
Qui peuvent enrichir. Cette basse besogne
Me serait aussi accablante qu'odieuse
Si la maîtresse que je sers ne donnait vie
A la mort même, et ne transformait mon épreuve
En véritables délices.

[...]

Ferdinand
Miranda admirable ! La cime
De mon pouvoir d'admirer ! Miranda l'égale
De tout ce qui au monde a le plus de prix !
J'ai regardé bien des dames avec faveur,
Et bien des fois mon oreille trop prompte
S'est asservie à la musique de leur voix.
Pour diverses vertus j'ai aimé plusieurs femmes,
Jamais pourtant d'un coeur assez comblé
Pour ne pas voir que tel défaut, tel autre,
En combattraient, en désarmaient la grâce.
Mais vous, mais vous ! Parfaite, incomparable,
Vous êtes faite du meilleur de tous les êtres.

Miranda
Je n'en connais aucun autre.
D'aucun visage de femme je n'ai mémoire
Si ce n'est du mien, en miroir. Et je n'ai vu non plus
Aucun être que je puisse nommer un homme
Sauf vous, mon doux ami, et mon cher père.
A quoi ressemble-t-on ailleurs qu'ici,
Je n'en sais rien ; mais ma virginité
En soit témoin, qui est mon seul joyau,
Je ne voudrais d'autre compagnon, dans ce monde,
Que vous ; et je n'imagine aucune figure
Que je puisse aimer, sauf la vôtre... Mais j'ai parlé
Trop impulsivement, et j'en ai oublié
Les prescriptions de mon père.

Ferdinand
De mon état je suis prince, Miranda,
Et je crois même, bien à regret,
Que je suis roi maintenant ; et pas davantage
Fait pour souffrir cette corvée de bois
Que garder sur ma bouche la mouche à viande.
Mais écoute ce que mon âme te déclare.
Dès le premier instant où je t'ai vue
Mon coeur fut à tes pieds. C'est pour te servir
Qu'il m'y retient, ton esclave. Et c'est pour toi
Que je suis ce patient déplaceur de bûches.

Miranda
M'aimez-vous donc ?

Ferdinand
O ciel, ô terre, soyez témoins de ma parole
Et donnez-lui fortune aussi favorable
Que sa pensée est sincère ! Mentirais-je,
Que meurent mes plus hautes espérances !
Oui, je vous aime, je vous estime, je vous honore
Par-dessus tout ce qui existe au monde.

Miranda
Quelle folle je suis !
Pleurer à ce qui me fait tant plaisir !

Prospéro à part
Belle, heureuse rencontre
De coeurs de la qualité la plus rare !
Puisse le Ciel verser toutes ses grâces
Sur ce qui prend naissance entre ces deux êtres !

Acte IV Scène 1
Prospéro
Si j'ai châtié avec trop de rigueur,
Te voici bien dédommagé ! Car moi,
C'est un tiers de ma vie que je te donne,
Sinon sa raison d'être : bien, reçois-la
De mes mains, à nouveau. Toutes ces vexations
N'étaient que pour sonder ton amour, et tu as
Supporté l'épreuve à merveille. Devant le Ciel
Je te confirme donc mon précieux présent.
Oh, Ferdinand,
Ne souris pas que j'aie tant de fierté d'elle !
Tu le découvriras, Miranda passe toutes louanges,
Sa perfection les essouffle.

Acte V Scène 1
Prospéro
Mon entreprise en est à son point critique,
Car mes charmes ne flanchent pas ; et les esprits
M'obéissent ; et le temps porte son fardeau
Sans broncher... Où en est-il, le temps ?

[...]

Ariel
[...] Le roi de Naples
Et son frère et le vôtre continuent
Tous trois de délirer, au grand dam des autres
Qui débordent d'angoisse et de désarroi ;
Et parmi eux surtout
Celui que vous avez appelé, mon maître,
"Le bon vieux seigneur Gonzalo". Celui-là,
Ses pleurs trempent se barbe comme en hiver
L'eau de la pluie ruisselle des toits de chaume.
Vos enchantements les travaillent
Si puissamment que vous en auriez compassion
Si vous pouviez les voir en cette minute.

Prospéro
C'est vraiment là ta pensée, mon esprit ?

Ariel
Ce le serait si j'étais un être humain, monseigneur.

Prospéro
Soit, ce sera la mienne !
Car toi, qui n'es qu'une forme de l'air,
Tu es ému, leur affliction te touche ; et moi
Qui suis de leur espèce et ressens la souffrance
Aussi durement qu'eux, je n'aurais pas
Davantage de compassion ? C'est vrai qu'ils m'ont blessé
Au plus vif, de par leurs grands torts à mon égard,
Mais la part la plus noble de ma raison
Doit vaincre ma colère. Il est plus grand
D'être vertueux que de tirer vengeance.
Pour peu qu'ils se repentent je n'irai pas
Plus loin dans mon dessein, je ne froncerai pas
Le sourcil davantage. Et toi, Ariel,
Tu vas les libérer. Je désamorce mes sortilèges,
Je leur restitue la raison. A nouveau
Ils pourront être eux-mêmes.

Ariel
Je vais les chercher, mon maître.

Prospéro
Mes témoins soyez-vous, elfes des collines,
Des ruisseaux, des étangs paisibles, des bosquets,
Et vous autres aussi qui sans marquer le sable
Pourchassez Neptune en reflux, mais vous enfuyez
Dès que la marée monte ; vous, mes gracieux pantins
Qui tracez sous la lune ces cercles d'herbes
Que les brebis estiment trop amères ; vous qui aimez
Faire croître, à minuit, les champignons
Heureux d'avoir enfin entendu sonner l'heure
Solennelle du couvre-feu ! Fort de votre aide,
Aussi faibles chacun soyez-vous, petits princes,
J'ai éteint le soleil à midi, j'ai sommé
La révolte des vents de porter la guerre
Et son fracas entre le bleu du ciel et la mer verte,
Mettant à feu les voix terribles du tonnerre,
Fendant de Jupiter le plus noueux des chênes
Avec sa propre foudre ; et secouant
Le promontoire le plus massif, et déracinant
Cèdres et pins ! Les tombes, sur mon ordre,
Ont réveillé leurs morts, se sont ouvertes,
Les ont laissé sortir : tel fut mon Art,
Mon Art si redoutable. Et pourtant, voyez-le,
Cette magie primaire, je l'abjure,
Et quand j'aurai requis la musique du ciel,
Ce que je fais, en cet instant, afin
Qu'elle plie sous le charme de ses arpèges
Leurs sens à mon vouloir, je briserai
Ma baguette de magicien, je l'enfouirai
A des coudées sous terre ; et je noierai mon livre
Plus profond que ne peut atteindre aucune sonde.

Prospéro
Qu'une solennelle musique, le grand remède
De l'esprit qui s'égare, te guérisse,
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FERDINAND, à Miranda

C’est étrange. Votre père a quelque émotion
qui le travaille fortement.

MIRANDA

Jamais, jusqu’à ce jour,
je ne l’avais vu agité par une aussi violente colère.

PROSPERO

Mon fils, vous avez l’air ému,
comme si vous étiez alarmé… Rassurez-vous, seigneur.
Nos divertissements sont finis. Nos acteurs,
je vous en ai prévenu, étaient tous des esprits ; ils
se sont fondus en air, en air subtil.
Un jour, de même que l’édifice sans base de cette vision,
les tours coiffées de nuées, les magnifiques palais,
les temples solennels, ce globe immense lui-même,
et tout ce qu’il contient, se dissoudront,
sans laisser plus de vapeur à l’horizon que la fête immatérielle
qui vient de s’évanouir ! Nous sommes de l’étoffe
dont sont faits les rêves, et notre petite vie
est enveloppée dans un somme… Monsieur, je suis contrarié…
Passez-moi cette faiblesse… Mon vieux cerveau est troublé…
Ne soyez pas en peine de mon infirmité…
Retirez-vous, s’il vous plaît, dans ma grotte,
et reposez-vous là. Je vais faire un tour ou deux
pour calmer mon âme agitée.

FERDINAND ET MIRANDA

Nous vous souhaitons le repos.
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SÉBASTIEN : S'il m'en souvient, vous supplantâtes votre frère Prospéro.
ANTONIO : En effet. Et, vous pouvez le voir, mes habits me vont à merveille : mieux qu'avant. Ceux qui servaient mon frère étaient mes compagnons en ce temps-là ; ils sont à cette heure mes gens.
SÉBASTIEN : Mais votre conscience ?
ANTONIO : Où cela niche-t-il ? Si c'était une ampoule au pied, je porterais pantoufle. Mais je ne sens point cette déesse en mon sein.
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FERDINAND : Entends mon âme qui te parle : à l'instant même où je te vis, mon cœur, volant à ton service, s'y fixa, dès lors ton esclave : c'est pour toi que je suis ce patient porte-bûches.
MIRANDA : Tu m'aimes ?
FERDINAND : O terre ! O cieux ! Soyez en ceci mes témoins, Couronnez mes aveux d'une heureuse fortune si je dis vrai ; sinon, changez en sort funeste le meilleur qui me doive échoir ! Par-dessus tout au monde, par-delà tout extrême, je t'aime, je te révère, je t'honore.
(FERDINAND : Hear my soul speak... The very instant that I saw you, did my heart fly to your service, there resides to make me slave to it, and for your sake am I this patient log-man.
MIRANDA : Do you love me ?
FERDINAND : O heaven... O earth, bear witness to this sound, and crown what I profess with kind event if I speak true... if hollowly, invert what best is boded me to mischief... I, beyond all limit of what else i' th' world, do love, prize, honour you.)
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Vidéo de William Shakespeare
En Europe comme aux États-Unis, la pièce "Macbeth" de William Shakespeare est entourée de superstitions, au point d'être devenue maudite. Mais d'où vient cette malédiction présumée ?
#theatre #culture #art #shakespeare #macbeth
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Roméo et Juliette

"Roméo et Juliette" est une comédie.

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