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Jean Malaplate (Traducteur)
EAN : 9782253907152
194 pages
Le Livre de Poche (01/02/1996)
4.28/5   145 notes
Résumé :
Probablement ne saura-t-on jamais qui était au juste le mystérieux W. H. à l'intention de qui le grand dramaturge anglais composa, entre sa vingt-neuvième et sa trente-deuxième année, ce recueil de sonnets, les plus célèbres de la langue anglaise. Cette énigme et le sujet même de l'oeuvre - une passion pour un jeune homme, sans doute issu de la noblesse - l'auréolent d'un halo de scandale. Mais au-delà de ce mystère biographique - et grâce à lui peut-être - cette ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (13) Voir plus Ajouter une critique
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Voilà un chef d'oeuvre sur lequel j'ai eu la chance de tomber en fouinant dans les librairies de Bruxelles. Un vieil ouvrage taché, jauni, déchiré, abîmé par les outrages du temps mais dont le contenu est sans conteste un trésor pour les yeux, une douce mélodie émanant des Temps Modernes dans la froideur de l'Angleterre. Ce qui est fantastique c'est que cet ouvrage présente les textes originaux sur la page de gauche en vieil anglais et les traductions françaises du poète Mélot du Dy sur la page de droite. Ainsi il est plaisant de lire d'abord le texte original, d'essayer d'en capter le sens général et parfois même quelques vers entiers et puis de se laisser aller à la découverte plus fine du texte en français. Mélot du Dy précise dans la préface que les sonnets de Shakespeare pourraient dans leur ensemble s'appeler le Roman de Shakespeare. Ils nous content en effet l'historique pathétique, de son double amour. le roman comporte cent cinquante quatre sonnets ou chapitres qui parfois se répètent. C'est pour cela que Mélot du Dy s'est concentré sur vingt-cinq sonnets en tentant de rendre l'interprétation vivante. Il conclut en écrivant : « Les sonnets de Shakespeare, haut poème De La Renaissance, nous apparaissent ainsi comme un de ces paysages de montagne devant lesquels il doit être permis au simple copiste de poser en plein air, même si cet air l'enivre un peu trop, son chevalet. »

En tournant la première page, je découvre un second trésor : une page de « le journal des poètes » de décembre 1954. On y consacre un article sur Mélot du Dy, sur la grâce et la fantaisie de ses écrits. Je cite quelques extraits de l'article : « Les réalités belles ou laides, les émotions tristes ou joyeuses, ne sont pas livrées dans leur nudité, telle que le poète les a vues ou ressenties. L'artiste transpose toujours et dans le ton que lui impose son tempérament. L'auteur de « Jeu d'ombres » les revêt, précisément, d'un voile de discrétion ou de pudeur comme ces nus antiques de Ménades ou de statues funéraires. Les formes n'en sont pas, pour cela, étouffées, mais soulignées ou tempérées selon les circonstances. Les plis de ces voiles enchaînent le rêve dans leurs courbes ou aiguisent la curiosité dans sa recherche du trait révélateur. […] Son ironie il s'en sert pour dissimuler les vibrations trop aigues de sa sensibilité. Il s'en sert également pour décrire des ridicules, et ceci avant ceux-là qui, aujourd'hui font rire peut-être mais hélas jamais sourire. [….] Il connaît la densité des mots, joue avec leur éclat comme un joaillier, et fait preuve, a-t-on dit, d'un art si savant qu'il paraît le plus simple du monde. » Tout cela laisse rêveur. Ce journaliste Philippe Jones aurait pu être un poète aussi, ne trouvez-vous pas cet extrait sublime ! Pourquoi n'écrivons-nous plus ainsi aujourd'hui ? Plusieurs poèmes de Mélot du Dy sont cités au-dessous, je vous en présente deux :

La sirène La gisante
Lointaine rumeur de la vie Tu souris, dormeuse
Un jour, un seul pour mes regards, Au marbre figée,
Océan de tous les hasards Entre la nuit creuse
Et de monotonie. Et l'aube ridée,
Dans un coin d'église.
Je t'imagine sur les plages, Un pas de chaisière
Amour pareil à mon erreur ! Traîne sur les dalles,
Assez de vie et de fureur Un rais de lumière
Pour déplacer les coquillages… Touche tes mains pâles,
Prière immobile.
Ces flots dans la chambre, lumière La mort sollicite
Sue mes mains d'aveugle. Voici Un geste de joie,
Ton premier silence ébloui, Mais comme on hésite
Voici ma chance, la dernière, Avant qu'on y croie…
Et tu sembles vivre.
Vite, et saisir ce qui se donne, Dors ! Je m'aventure
L'aurore d'une épave, un sein Dans les jours informes,
Délicieux : regarde bien ! O présence pure
Vite et mourir. Personne. Afin que tu dormes
Image d'amie.

Place maintenant à William ! Je vous ai choisi 11 sonnets qui m'ont particulièrement plu.

Sonnet I
Regarde ton miroir, et dis à ce visage
Que les temps sont venus d'en former un nouveau ;
Car si tu refusais d'en faire un aussi beau,
Tu décevrais le monde et quelque vierge sage :

Quelle belle, en effet, pour un moins doux fardeau,
Dédaignerait ici ton marital usage,
Et, de son propre bien préférant le tombeau,
Quel sot consentirait à briser son lignage ?

Tu sembles le miroir de ta mère ; elle, en toi,
Rappelle la fraîcheur de l'avril de sa vie :
Par la vitre de l'âge, en un pareil émoi,

Vieillard, tu reverras ta jeunesse fleurie.
Mais qui veut vivre seul, pour que chacun l'oublie,
Mourra seul, emportant son image avec soi.

Sonnet III
Ces heures dont le clair travail accomplissait
La charmante merveille où tout regard s'arrête
Blesseront quelque jour cette chose bien faite,
Ravissant la beauté de qui nous ravissait ;

Car le temps, sans répit, mènera le succès
De l'été triomphant à l'hiver, sa défaite ;
Le froid surprend la fleur ; la feuille, de son faîte,
S'abat ; la neige enfin recouvre un noir décès.

Mais l'esprit, mais l'essence adorable demeure,
Le parfum de l'été dans sa prison de gel,
Afin qu'à tout jamais toute gloire ne meure :

Ce n'est donc qu'un aspect fugitif que l'on pleure,
Et la fleur, distillée en délice immortel,
Au mépris de l'hiver nous ravit tout à l'heure.

Sonnet IV
Ni marbre blanc, ni monument doré
Ne survivront à ces rimes princières ;
Tu brilleras chez moi plus honoré
Qu'un temple impur de temps et de poussières,

Et quand l'excès des armes et des guerres
Aura le temple et le socle rasé,
Ni fer, ni feu n'atteindra sur mes terres
Ton souvenir en ces lieux déposé.

Malgré la mort et l'ennemi farouche,
Tu poursuivras ton destin ; par ma bouche,
Et jusqu'au jour du dernier jugement,

Le monde encore entendra ta louange ;
Oui, tu vivras jusqu'à l'appel de l'ange,
Dans ce poème et les yeux d'un amant.

Sonnet VII
Le péché d'amour-propre à tel point me possède
Que mes yeux, que ma chair, que mon coeur en est plein ;
Contre un péché semblable il n'est point de remède,
Tant sa marque est profonde et gravée en mon sein.

Nul visage, à mon gré, n'est plus beau que le mien ;
Nul charme n'est plus vrai que celui qui m'obsède :
Devant ma vérité, toute vérité cède ;
Auprès de ma valeur, toute valeur n'est rien.

Mais lorsque en un miroir je connais mon visage,
Tout flétri, tout mordu des morsures de l'âge,
J'entends mieux le secret de pareilles amours :

S'aimer, s'aimer ainsi, ce serait une injure ;
Mais moi-même, c'est Toi, ma beauté, ma parure,
Et mon âge s'est peint des fraîcheurs de tes jours !

Sonnet IX
Quand, mal vu par le sort et les yeux des humains,
Déplorant mon état de réprouvé sur terre,
Je maudis mon malheur, de moi-même me plains,
Et fatigue le Ciel de mon cri solitaire ;

Envieux de celui dont les voeux sont moins vains,
De son cercle d'amis, de son talent pour plaire,
De la beauté d'un tel et de l'art de certains,
Et jamais satisfait de ce que je sais faire ;

Quand, parmi ces pensers, dans le mépris de moi,
Je songe à Vous, - soudain, dans la naissante aurore
Ma fortune, pareille à l'alouette, monte,

Et chante au ciel, bien loin d'une terre de honte,
Et votre amour très douce et brillante me dore,
Et me fait riche au point que j'en dédaigne un roi.

Sonnet XIII
L'amour est mon péché ; votre vertu, la haine,
La haine du péché que je porte en mon sein :
Comparez votre état, je vous en prie, au mien,
Et ma faute à vos yeux paraîtra moins certaine.

Ou, venant de ta bouche, un tel reproche est vain
Quand elle a profané sa pourpre et son haleine,
Scellé des faux serments comme j'ai fait, sereine,
Et volé de l'amour au lit de ton prochain.

Qu'il me soit donc permis de t'aimer comme, certe,
A d'autres tu portas tes importunités :
Qu'à la compassion votre âme soit ouverte

Afin que nous sachions si vous la méritez !
Si là-bas tu requiers ce qu'ici tu refuses,
Ton exemple est mauvais, bonnes sont mes excuses.

Sonnet XVII
J'aime mieux être vil que d'être estimé tel
Quand de ne l'être pas fait que l'on m'en accuse,
Quand j'y perds des plaisirs qu'un homme se refuse,
Jugeant par d'autres yeux de son bien personnel :

Et pourquoi le douteux regard d'un autre (et quel ?)
Devrait-il approuver ce beau sang qui s'amuse,
Si d'un moindre pécheur un pécheur plus réel
Espionne et reprend ce que j'aime sans ruse ?

Non ! véritablement ; je suis ce que je suis.
Qu'on se juge soi-même alors qu'on me poursuit :
Je puis bien marcher droit si leur marche est oblique ;

Ce n'est pas à leur vice à tracer mon portrait,
A moins que de prétendre, injurieux excès,
Que tout homme est pourri dans notre république.

Sonnet XVIII
Quand tu voudras me prendre à la légère
Et me railler sur un air de chanson,
Contre moi-même avec toi, pour te plaire,
Je nommerai vertu la trahison.

Bien mieux que toi, je sais une raison,
Un secret pour me perdre, et je vais faire
A ton usage un récit de l'affaire :
Il te vaudra de l'honneur ! – de façon

Que par ceci, j'y gagnerai moi-même,
Car ne pensant qu'à toi, puisque je t'aime,
Ton avantage est doublement le mien,

Serait-ce au prix d'un tort que je m'inflige. –
Je suis à toi, je t'aime assez, te dis-je,
J'accepterai tout le mal pour ton bien.

Sonnet XIX
Ce n'est point tout mon mal, qu'elle soit ton amie,
Et tu sauras pourtant que je l'aimais beaucoup ;
Que tu sois son ami, ma peine est infinie,
La perte d'un tel bien m'accable plus que tout.

Amants injurieux ! Mon excuse pour vous,
C'est qu'Il t'aime sachant combien je t'apprécie,
Et qu'Elle te permet cet amour des plus doux
Parce que l'amitié l'un et l'autre nous lie…

Lui perdu, c'est un gain pour mon amour, tant mieux !
Elle perdue, eh ! bien, mon ami l'a trouvée ;
Ils se trouvent l'un l'autre et je les perds tous deux ;

Mais c'est en mon honneur, la chose m'est prouvée,
Qu'ils m'ont mis cette croix sur le dos. Et, ma foi,
Deux amis ne font qu'un : elle n'aime que moi.

Sonnet XXII
Quel élixir de larmes de Sirène
Né dans l'enfer d'un alambic malsain
Ai-je donc bu, changeant mon plaisir en peine,
Espoir en crainte, en perte tout mon gain ?

De quelle erreur mon coeur était-il plein
Qui savourait sa chance plus qu'humaine !
Et dans la fièvre alors de la géhenne
Combien mes yeux s'égarèrent soudain,

Maos, ô bienfait du mal ! si l'on ignore
Que le meilleur par le mal s'améliore
Et que l'amour – à présent je le sais –

Renaît plus fort, plus beau de sa ruine :
J'y fus déçu, mais sans qu'il m'en chagrine,
Riche trois fois de mécomptes passés.

Sonnet XXIII
Je n'admettrai jamais de divorce valable
Au mariage des esprits ; l'amour n'est pas
L'amour, s'il doit changer quand on change ici-bas,
Quitter quand on le quitte et par un mal semblable,

Oh ! non. Voici l'amour : un phare inébranlable
Qui regarde les flots tumultueux ; l'éclat
D'une étoile guidant la nef qui se débat,
Sans prix, dans sa hauteur vainement calculable.

Il n'est pas le jouet du Temps, bien que la rose
Du visage demeure à l'ombre de la faux :
Il ne s'altère point comme le temps dispose ;

Et si ce que j'affirme en ce langage est faux,
Avant le dernier Jour s'il connaît sa défaite,
Nul n'a jamais aimé, je ne suis pas poète.
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Sublime. Bien que je dois avouer, j'ai davantage lu ces Sonnets dans la très belle traduction offerte dans cette édition bilingue que dans la version originale, trop ardue à comprendre.

J'avais très envie de découvrir cette oeuvre depuis la pièce de théâtre de Tiago Rodrigues "By heart", consacrée au trentième sonnet. Je n'ai pas été déçue.

Tous les sonnets pourraient être reproduits en citation.

Recueil de poèmes relatant la passion d'un homme, l'auteur ?, pour un jeune homme. Subversif et scandaleux, mais ô combien splendidement écrit.
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J'ai un sentiment partagé après la découverte de ces sonnets. Je connaissais William Shakespeare comme auteur de théâtre et je l'appréciais, trouvant ses oeuvres finalement très modernes. Les sonnets offrent un énorme décalage, d'un grand classicisme, ils sont difficilement abordables, car traduits depuis un anglais élisabéthain. le traducteur, Jean Malaparte, doit d'ailleurs être salué pour ce travail considérable. J'ai apprécié plusieurs sonnets, cependant leur lecture me semble monotone, l'atmosphère et les expressions sont désuètes, ou tout au moins, je le ressens ainsi.
Le recueil est présenté dans une édition bilingue.
Assez contente d'avoir pu découvrir cette poésie, même si je la juge trop classique, je resterai fidèle à Shakespeare pour son théâtre.
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Le passage de l'anglais au français a du être laborieux. Je n'aurai pas aimé être le(s) traducteur(s) et encore moins me lancer dans un défis aussi dangereux. Mais, il faut l'avouer, les résultats sont bien la. Je n'ai pas le niveau adéquat pour savourer pleinement la qualité de l'oeuvre en anglais, alors je commenterai la version française de Jean Malaplate. La rime est respectée, ainsi que le rythme et la musicalité. La profondeur est toujours présente. Les sujets développés par Shakespeare sont tout simplement intemporels, ce qui permet, presque 5 siècles après, de toujours être profondément touché par ces sonnets. Ce n'est pas qu'un vulgaire texte, c'est de la musique. La délicatesse, la douceur, et la verve de Shakespeare sont omniprésent dans cette oeuvre poétique et lyrique.
Je tiens à souligner que, dans mon édition, à la fin, j'ai des notes pour chaque sonnet, ce qui permet de donner une autre dimension à l'oeuvre, et de mieux comprendre certains points. C'est une excellente initiative.
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Pourquoi lire autre chose que de très grandes oeuvres?
William a utilisé plus de 24 000 mots...Soit environ 20 fois plus que ce qu'un romancier contemporain utilise...
En un sonnet (14 vers, moins de 100 mots) il dit tellement plus et tellement mieux, que nous, misérables traducteurs ne faisons que rebondir contre ses mots.

Voici une traduction du premier sonnet;
je vais proposer la traduction d'une dizaine de sonnets
c'est ma troisième traduction que je fais, les deux premières ont été publiées.

Sonnet 1
1
From fairest creatures we desire increase,
That thereby beauty's rose might never die,
But as the riper should by time decease,
His tender heir might bear his memory:
But thou, contracted to thine own bright eyes,
Feed'st thy light'st flame with self-substantial fuel,
Making a famine where abundance lies,
Thyself thy foe, to thy sweet self too cruel.
Thou that art now the world's fresh ornament
And only herald to the gaudy spring,
Within thine own bud buriest thy content
And, tender churl, makest waste in niggarding.
Pity the world, or else this glutton be,
To eat the world's due, by the grave and thee.


Des superbes créatures notre désir s'accroit,
que jamais ne disparaisse la beauté,
que le vieillard parti avec le temps soit
vivant en son adorable héritier.
Toi sous contrat avec tes yeux d'or,
tu entretiens la flamme de la bougie,
créant famine là où il y a pléthore,
trop cruel, tu es ton pire ennemi. Tu es parure de beauté de l'univers, l'éblouissant messager du printemps, tes plaisirs, en ton sein tu les enterres,
tu dilapides, cher idiot, en lésinant. Fais pitié ou sois ce goinfre qui mange
ce qui est du au tombeau et à la fange.


(Ces mots qui suivent sont les miens, je souhaite imodestemment les inclure à la traduction)
Premier vers du premier sonnet - je sais
que Will les a écrit dans le désordre -
mais c'est lui qui a choisi ce premier,
lui, qui au quarto, a donné cet ordre;
un seul vers, déjà tant d'hésitations,
et aucune réponse ne vient nous aider;
même en étudiant toutes les traductions,
s'ouvre la voie de la perplexité,
les choix multiples sont autant de mystères,
portes de toutes les subtilités,
il ne nous reste qu'une seule chose à faire:
nous aussi, obscurcir l'obscurité.
Sans être assez grossier pour s'arrêter
à des billevesées d'identités.

Reprenez-vous, tendre traducteur,
seul annonciateur de sens inconnus,
et faisons patience, avec Arthur, en attendant le bateau.
Lien : http://holophernes.over-blog..
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Citations et extraits (199) Voir plus Ajouter une citation
J'ai querellé l'impatiente violette ;
Voleuse, où donc pris-tu cette suave odeur
Sinon à quel amour? Ce pourpre orgueil que jette
Nature sur ton front, tu l'as, d'autre couleur
Prise en ses veines, teint, par ruse malhonnête.

J'ai condamné le lis en faveur de ta main
Et t'ont pris tes cheveux les fleurs de marjolaine.
Les roses se cachaient, craintives, au jardin,
Ou rougissant de honte, ou bien blanches de peine.

L'une, blanche ni rouge, avait volé des deux
Et joint à son larcin ton haleine embaumée,
Mais pour pris de son vol, en son jour orgueilleux,
Un insecte vengeur l'a, jusqu'au coeur, rongée.

Je trouvai d'autres fleurs, mais aucune ne vis
Qui n'ait de toi son teint et son parfum ravis.
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Tels vantent leur naissance et d'autres leur esprit
Et ceux-là leur richesse ou force corporelle,
Ceux-là leurs vêtements à la façon nouvelle
Ou leurs chiens, leurs chevaux, leurs faucons à l'envi ;

Chaque humeur trouve ainsi plaisir à sa semblance
Et plus qu'à tout le reste y demeure attaché,
Mais aucun de ces biens n'aura ma préférence
Car j'ai plus que leur somme en un objet caché.

Ton amour est pour moi plus que race hautaine,
Plus que grande fortune ou riches vêtements ;
Ni faucons, ni chevaux n'ont si doux agréments ;
J'ai, de te posséder, fierté bien plus qu'humaine

Et n'ai d'autre malheur, si ce n'est que tu peux,
En m'ôtant tout cela, me rendre malheureux.
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Vais-je te comparer à ce clair jour d'été?
Tu es plus modéré, tu es plus adorable.
Un vent brutal abat les chers bourgeons de mai.
Ce que prête l'été n'est pas à bail durable.

L'oeil du ciel est parfois estimé trop ardent
Ou bien sa face d'or se fait souvent obscure ;
Il n'est point de beauté qui n'aille déclinant
Par l'effet du hasard ou du cours de Nature.

Ton éternel été ne se fanera pas,
Ces beautés à jamais demeureront les tiennes
Et ne te retiendront les ombres du trépas,
Porté dedans mes vers aux époques lointaines.

Tant que battront les coeurs ou que verront les yeux,
Mes vers vivront et te feront vivre avec eux.
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Du mal que tu me fis, ne soit plus soucieux,
La rose a ses piquants, sources d'argent leur boue.
La lune et le soleil s'éclipsent dans les cieux,
Dans le plus beau bouton un ver rongeur se joue.

Tout homme peut pécher et moi-même, en ceci,
Je permets ton abus, te servant de modèle,
Me corrompant moi-même, absolvant ton délit,
Excusant tes excès par un excès de zèle.

Je donne leur vrai nom aux fautes de tes sens ;
Tu as pour avocat ton adverse partie ;
Contre moi-même ici mon procès j'entreprends ;
Ma haine et mon amour ont guerre si suivie

Que je sers de complice à ce voleur charmant
Qui me vient dépouiller aussi cruellement.
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Sonnet I
Regarde ton miroir, et dis à ce visage
Que les temps sont venus d’en former un nouveau ;
Car si tu refusais d’en faire un aussi beau,
Tu décevrais le monde et quelque vierge sage :

Quelle belle, en effet, pour un moins doux fardeau,
Dédaignerait ici ton marital usage,
Et, de son propre bien préférant le tombeau,
Quel sot consentirait à briser son lignage ?

Tu sembles le miroir de ta mère ; elle, en toi,
Rappelle la fraîcheur de l’avril de sa vie :
Par la vitre de l’âge, en un pareil émoi,

Vieillard, tu reverras ta jeunesse fleurie.
Mais qui veut vivre seul, pour que chacun l’oublie,
Mourra seul, emportant son image avec soi.

Sonnet III
Ces heures dont le clair travail accomplissait
La charmante merveille où tout regard s’arrête
Blesseront quelque jour cette chose bien faite,
Ravissant la beauté de qui nous ravissait ;

Car le temps, sans répit, mènera le succès
De l’été triomphant à l’hiver, sa défaite ;
Le froid surprend la fleur ; la feuille, de son faîte,
S’abat ; la neige enfin recouvre un noir décès.

Mais l’esprit, mais l’essence adorable demeure,
Le parfum de l’été dans sa prison de gel,
Afin qu’à tout jamais toute gloire ne meure :

Ce n’est donc qu’un aspect fugitif que l’on pleure,
Et la fleur, distillée en délice immortel,
Au mépris de l’hiver nous ravit tout à l’heure.

Sonnet IV
Ni marbre blanc, ni monument doré
Ne survivront à ces rimes princières ;
Tu brilleras chez moi plus honoré
Qu’un temple impur de temps et de poussières,

Et quand l’excès des armes et des guerres
Aura le temple et le socle rasé,
Ni fer, ni feu n’atteindra sur mes terres
Ton souvenir en ces lieux déposé.

Malgré la mort et l’ennemi farouche,
Tu poursuivras ton destin ; par ma bouche,
Et jusqu’au jour du dernier jugement,

Le monde encore entendra ta louange ;
Oui, tu vivras jusqu’à l’appel de l’ange,
Dans ce poème et les yeux d’un amant.

Sonnet VII
Le péché d’amour-propre à tel point me possède
Que mes yeux, que ma chair, que mon cœur en est plein ;
Contre un péché semblable il n’est point de remède,
Tant sa marque est profonde et gravée en mon sein.

Nul visage, à mon gré, n’est plus beau que le mien ;
Nul charme n’est plus vrai que celui qui m’obsède :
Devant ma vérité, toute vérité cède ;
Auprès de ma valeur, toute valeur n’est rien.

Mais lorsque en un miroir je connais mon visage,
Tout flétri, tout mordu des morsures de l’âge,
J’entends mieux le secret de pareilles amours :

S’aimer, s’aimer ainsi, ce serait une injure ;
Mais moi-même, c’est Toi, ma beauté, ma parure,
Et mon âge s’est peint des fraîcheurs de tes jours !

Sonnet IX
Quand, mal vu par le sort et les yeux des humains,
Déplorant mon état de réprouvé sur terre,
Je maudis mon malheur, de moi-même me plains,
Et fatigue le Ciel de mon cri solitaire ;

Envieux de celui dont les vœux sont moins vains,
De son cercle d’amis, de son talent pour plaire,
De la beauté d’un tel et de l’art de certains,
Et jamais satisfait de ce que je sais faire ;

Quand, parmi ces pensers, dans le mépris de moi,
Je songe à Vous, - soudain, dans la naissante aurore
Ma fortune, pareille à l’alouette, monte,

Et chante au ciel, bien loin d’une terre de honte,
Et votre amour très douce et brillante me dore,
Et me fait riche au point que j’en dédaigne un roi.

Sonnet XIII
L’amour est mon péché ; votre vertu, la haine,
La haine du péché que je porte en mon sein :
Comparez votre état, je vous en prie, au mien,
Et ma faute à vos yeux paraîtra moins certaine.

Ou, venant de ta bouche, un tel reproche est vain
Quand elle a profané sa pourpre et son haleine,
Scellé des faux serments comme j’ai fait, sereine,
Et volé de l’amour au lit de ton prochain.

Qu’il me soit donc permis de t’aimer comme, certe,
A d’autres tu portas tes importunités :
Qu’à la compassion votre âme soit ouverte

Afin que nous sachions si vous la méritez !
Si là-bas tu requiers ce qu’ici tu refuses,
Ton exemple est mauvais, bonnes sont mes excuses.

Sonnet XVII
J’aime mieux être vil que d’être estimé tel
Quand de ne l’être pas fait que l’on m’en accuse,
Quand j’y perds des plaisirs qu’un homme se refuse,
Jugeant par d’autres yeux de son bien personnel :

Et pourquoi le douteux regard d’un autre (et quel ?)
Devrait-il approuver ce beau sang qui s’amuse,
Si d’un moindre pécheur un pécheur plus réel
Espionne et reprend ce que j’aime sans ruse ?

Non ! véritablement ; je suis ce que je suis.
Qu’on se juge soi-même alors qu’on me poursuit :
Je puis bien marcher droit si leur marche est oblique ;

Ce n’est pas à leur vice à tracer mon portrait,
A moins que de prétendre, injurieux excès,
Que tout homme est pourri dans notre république.

Sonnet XVIII
Quand tu voudras me prendre à la légère
Et me railler sur un air de chanson,
Contre moi-même avec toi, pour te plaire,
Je nommerai vertu la trahison.

Bien mieux que toi, je sais une raison,
Un secret pour me perdre, et je vais faire
A ton usage un récit de l’affaire :
Il te vaudra de l’honneur ! – De façon

Que par ceci, j’y gagnerai moi-même,
Car ne pensant qu’à toi, puisque je t’aime,
Ton avantage est doublement le mien,

Serait-ce au prix d’un tort que je m’inflige. –
Je suis à toi, je t’aime assez, te dis-je,
J’accepterai tout le mal pour ton bien.

Sonnet XIX
Ce n’est point tout mon mal, qu’elle soit ton amie,
Et tu sauras pourtant que je l’aimais beaucoup ;
Que tu sois son ami, ma peine est infinie,
La perte d’un tel bien m’accable plus que tout.

Amants injurieux ! Mon excuse pour vous,
C’est qu’Il t’aime sachant combien je t’apprécie,
Et qu’Elle te permet cet amour des plus doux
Parce que l’amitié l’un et l’autre nous lie…

Lui perdu, c’est un gain pour mon amour, tant mieux !
Elle perdue, eh ! bien, mon ami l’a trouvée ;
Ils se trouvent l’un l’autre et je les perds tous deux ;

Mais c’est en mon honneur, la chose m’est prouvée,
Qu’ils m’ont mis cette croix sur le dos. Et, ma foi,
Deux amis ne font qu’un : elle n’aime que moi.

Sonnet XXII
Quel élixir de larmes de Sirène
Né dans l’enfer d’un alambic malsain
Ai-je donc bu, changeant mon plaisir en peine,
Espoir en crainte, en perte tout mon gain ?

De quelle erreur mon cœur était-il plein
Qui savourait sa chance plus qu’humaine !
Et dans la fièvre alors de la géhenne
Combien mes yeux s’égarèrent soudain,

Maos, ô bienfait du mal ! si l’on ignore
Que le meilleur par le mal s’améliore
Et que l’amour – à présent je le sais –

Renaît plus fort, plus beau de sa ruine :
J’y fus déçu, mais sans qu’il m’en chagrine,
Riche trois fois de mécomptes passés.

Sonnet XXIII
Je n’admettrai jamais de divorce valable
Au mariage des esprits ; l’amour n’est pas
L’amour, s’il doit changer quand on change ici-bas,
Quitter quand on le quitte et par un mal semblable,

Oh ! non. Voici l’amour : un phare inébranlable
Qui regarde les flots tumultueux ; l’éclat
D’une étoile guidant la nef qui se débat,
Sans prix, dans sa hauteur vainement calculable.

Il n’est pas le jouet du Temps, bien que la rose
Du visage demeure à l’ombre de la faux :
Il ne s’altère point comme le temps dispose ;

Et si ce que j’affirme en ce langage est faux,
Avant le dernier Jour s’il connaît sa défaite,
Nul n’a jamais aimé, je ne suis pas poète.
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SHAKESPEARE – Les femmes dans Henri VI & Richard III avec Patrice Chéreau (FR3, 1999) Un documentaire de Stéphane Metge réalisé en 1999. Présence : Patrice Chéreau, Elsa Bosc, Céline Carrère, Jeanne Casilas, Rebecca Convenant, Amélie Jalliet, Cylia Malki, Sarah Mesguich. Traduction utilisée : Armand Guibert, Pierre Leyris et Daniel Loayza (édition du Club Français du Livre).
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