A l'époque de
Shakespeare, les rôles de femmes étaient souvent donnés aux hommes puisque les femmes n'étaient pas admises sur les scènes de théâtre.
Ici,
Shakespeare donne un peu le revers de cette interdiction puisqu'il présente un personnage féminin (Helena) qui est moins inconstante qu'un homme tout en gardant toute sa ruse.
Son mari, Bertrand, lui, pupille du roi, à côté d'elle n'apparaît que comme un jeune godelureau qui fuit l'épouse qu'il n'avait pas désirée puisque le roi le lui a imposé après qu'elle l'eut guéri d'un abcès mortel. Il fuit en Italie, à Florence où les Français viennent prêter main forte à leurs provinces dans des guerres intestines. Car Helena est présentée comme la femme qui possède les vertus secrètes qui peuvent guérir le roi, c'est la nature face à la science, la constance face à la légèreté. de même, si la virginité est métaphoriquement considérée comme une citadelle, une guerre que les hommes doivent mener (Bertrand), elle est aussi le gage, l'héritage le plus précieux des filles pauvres à l'instar de Diana, la jeune florentine que Bertrand tente de séduire à Florence poussée par son instinct animal.
Dans ce petit monde, inspiré d'un conte de Painter, lui-même tiré du Decameron de Boccace, gravitent des figures philosophiques, le sage expérimenté (Lafew ou Lafeu en français) qui perçoit la vantardise clownesque de Parolles, le matamore qui entraîne Bertrand à Florence qui décidément se fait piéger par les mots (Parolles) et ses instincts (Diana), le clown dont les jeux de mots renvoient chacun à ses propres turpitudes :
“Clown : A fool, sir, at a woman's service and a knave at a man's.”*(“Un idiot, monsieur, au service des femmes et un coquin à celui des hommes”)
Si le clown garde son insolence et sa liberté, Parolles – qui bien sûr n'existe que par ce qu'il dit, emblématique du personnage de fiction – se fait confondre et laisse libre cours à sa lâcheté lorsque les officiers le piègent, lui faisant croire –illusion sonore encore – qu'il est aux mains des ennemis en inventant une langue qu'il entend les yeux bandés. Mais là encore, on ne serait pas dans
Shakespeare s'il l'on se contentait de rire du matamore. Ce qu'il avoue, c'est le vice de Bertrand en même temps que sa couardise à l'utiliser comme entremetteur. Ce que l'intéressé prend mal tandis que Parolles, humilié après avoir révélé la lâcheté des officiers présents, fait contre mauvaise fortune, bon coeur en une des phrases les plus simples et les plus pures rappelant d'autres personnages shakespeariens tel
Richard II vers son dépouillement:
« Simply the thing I am
Shall make me live”.* (« Ce que je suis simplement, me fera vivre. »)
C'est bien sûr dans la dernière scène que tout se joue, que tout le monde se réconcilie, quoiqu'encore une fois,
Shakespeare fasse traîner le dénouement sur un premier pardon du roi qui se courrouce à la vue de la bague que porte Bertrand qui est ignorant de tout le stratagème mis en place par Helena. Car c'est bien elle la metteuse en scène et c'est par elle que tout se remet en place, c'est la guérisseuse de tous les maux, de la fistule du roi à l'inconstance des hommes.
Echange de lettres pour dire qu'on part, pour poser des énigmes impossibles à résoudre apriori. Puisqu'Helena est censée être restée en France, Bertrand pose des conditions pour qu'elle soit considérée comme sa femme :
“When thou canst get the ring upon my finger, which never shall come off, and show me a child begotten of thy body that I am a father to, then call me husband; but in such a ‘then' I write a ‘never'.”
*(“Quand tu porteras l'anneau que j'ai au doigt et qui ne s'enlève jamais et me montreras un enfant engendré en toi et dont je suis le père, alors tu pourras m'appeler ton mari ; mais dans cet « alors » j'inscris un « jamais »)
Evidemment l'impossible n'est pas théâtral et encore moins shakespearien et l'échange d'anneaux qui s'ensuit et sur lequel repose tout le problème, ressemble bien sûr à l'échange des anneaux nuptiaux et chez
Shakespeare, le moindre geste symbolique est embelli par la profondeur de son langage et la subtilité de sa mise en scène.
Tout est bien qui finit bien est certes une comédie mais où les rouages de la fortune amènent souvent le tragique dans la découverte du vrai visage de certains personnages mais qui comme Parolles, ne sont faits que de mots :
*« Words, words, words ! » (Des mots, des mots, des mots!)
*Traductions personnelles.