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La grande poursuite » (en anglais « The great pursuit ») est un livre écrit par
Tom Sharpe en 1977. Écrivain britannique,
Tom Sharpe figure en tête de liste des grands humoristes de son époque (1928 – 2013). Il est reconnu pour avoir utilisé un style percutant et iconoclaste pour critiquer alternativement le monde littéraire, l'apartheid, le snobisme anglais, l'extrémisme, la bureaucratie, les monde des enseignants, les banquiers de la City, la police, le système de santé public, la guerre en Irak et la bêtise en général. Spécialiste des situations abracadabrantes basées sur des quiproquos,
Tom Sharpe écrit assez généralement sans se soucier de la vraisemblance. Dans «
La grande poursuite »,
Tom Sharpe s'en prend au petit monde de l'édition.
L'histoire en est détaillée en 4ème de couverture : « Frensic, honorable agent littéraire, reçoit un jour le manuscrit d'un roman, « Pitié, ô hommes, pour la vierge ». le sujet en est délicieusement scandaleux : il traite des amours d'un jeune homme avec une très vieille dame, et l'auteur tient absolument à rester anonyme. Frensic et son assistante Sonia Futtle décident alors de « monter un coup » littéraire. Ils choisissent, comme prête-nom, un obscur écrivaillon qui s'est vu refuser un ouvrage : Peter Piper. Ils remettent le livre à un éditeur de renom mais ruiné, Geoffrey Corkadale, et obtiennent de l'argent du richissime Hutchmeyer. La machine est en route pour lancer sur le marché ce qui doit être, assurément, un best-seller. Et tout rate. Les intrigues amoureuses succèdent aux querelles de pouvoir, les complots aux combines, à une vitesse ahurissante ».
Dans «
La grande poursuite », ouvrage qui compte 377 pages, le métier d'éditeur apparaît clairement comme un sale boulot où les margoulins abondent (certains n'hésitent pas à demander aux auteurs de réécrire plusieurs fois leur ouvrage) et où le fric passe avant toutes choses : le best-seller que tout éditeur espère dénicher nécessite (page 12) de grosses ventes, un bon pourcentage sur les droits d'auteur et des stimulations énormes offertes notamment par des clubs de livres. L'auteur (du best-seller) passe (page 21) pour un égoïste et un enquiquineur notoire, l'objectif de l'éditeur consistant à placer le livre sélectionné (page 23) très précisément au bon endroit de sorte que la vente ait des conséquences optimales, que ses retombées soient bénéfiques à sa réputation et favorisent des intérêts ultérieurs. L'éditeur est rarement « certain de son coup » : ainsi, les avis de Frensic et de Sonia diffèrent quant à la qualité de « Pitié, ô hommes, pour la vierge ». Elle trouve le livre (page 25) bizarre, pathétique, plein de discernement, profond, avec une bonne intrigue ; il le trouve mauvais, prétentieux mais il le vendra car il combine histoire cochonne et style plus cochonné encore, (page 26) avec des détails exquisément nauséeux, avec des suggestions à la Lawrence. L'éditeur Corkadale est intéressé par l'ouvrage : il recherche un best-seller (qui le tirera de la faillite), il récupèrera 10% des droits de vente américains et il pourra vendre l'ouvrage au Royaume-Uni. L'éditeur Hutchmeyer est également intéressé par l'ouvrage : il le paiera cher (2 millions de dollars) car son auteur est unique et anonyme, et surtout car il fait confiance à Frensic : lui (page 37) ne lit jamais les livres qu'il achète, ne sachant lire que les chèques et les billets de banque. Cochon ce livre ? Il s'agirait d'une romance entre un garçon de 17 ans et une femme de 80 ans, ou plutôt d'une relation, voire d'une idylle entre eux, idylle que (page 32) le Comité de lecture aurait trouvée (page 32), obscène, (page 33) dégoûtante, une pornographie pseudo-intellectuelle (page 35). Certains lecteurs pourraient toutefois y voir (page 42) une histoire d'amour où l'un et l'autre s'apportent mutuellement ce dont ils manquent individuellement, un livre (page 43) sur les possibilités de la vie, une symphonie de mots. Qui croire ? Comme
Tom Sharpe ne nous en livre aucun passage, il est difficile de se prononcer. Et là n'est pas la question. Ce manuscrit va être édité par Corkadale et par Hutchmeyer, mais à quel prix !
Mon avis ? Après un démarrage un peu lent, les péripéties s'enchainent les unes après les autres et le lecteur se démène tant bien que mal pour ne pas y perdre son latin : une grande poursuite après le succès (d'où le nom de l'ouvrage ?) et un jeu de cache-cache (page 356) où chacun dupe l'autre ou le fait chanter, et finit par « se prendre les pieds dans le tapis », dépassé par la tournure que prennent les événements. L'intrigue est très bien ficelée et la fin (en fait, le dernier quart du livre) est ahurissante.
Il y a de belles trouvailles : le studio TV où Peter Piper donne une interview (complètement surexcité, il envoie promener le micro) ; l'arrivée de Piper à New-York où Mac Mordie, l'agent de Hutchmeyer, organise une émeute en faveur de l'auteur présumé de « Pitié, ô hommes, pour la vierge » ; le passage où Mac Mordie inonde le crâne de Piper de sang universel afin de le faire passer au JT du soir pour (page 136) la victime expiatoire sur l'autel de la grande littérature ; le moment où Piper rasé, chauve et la tête couverte de bandages ressemble à s'y méprendre à l'homme invisible ; la sortie en mer de Sonia et de Hutchmeyer ; Baby (la femme de Hutchmeyer), en plein office dominical, qui se laisse (page 326) mordre les seins siliconés par un serpent corail afin de prouver aux fidèles que la foi est plus forte que tout ; Baby et Piper qui élisent domicile à Bibliopolis, la cité de la Bible, et qui vont devenir tous deux des prêcheurs ; Piper qui invente la logosophie ou doctrine du mot rendu parfait (page 339) ; Baby qui oblige Frensic à signer une lettre dans laquelle (page 368) il avoue la vérité (sur la fabrication et l'édition de « Pitié, ô hommes, pour la vierge ») en le menaçant de la prison à vie pour avoir menacé d'une arme (un coupe-papier), injurié et fait chanter Piper alors même que sa voiture contenait de l'héroïne ; Frensic qui devient le secrétaire de Piper et tape à la machine tous ses manuscrits ; etc. Et les personnages sont très bien brossés sous la plume satyrique de
Tom Sharpe (voyez comment il dépeint le vrai auteur de « Pitié, ô hommes, pour la vierge »).
Évidemment, tout n'est pas parfait, loin s'en faut : le scénario n'est pas rectiligne mais sinueux à souhait ; les situations, même loufoques, ne prêtent pas toutes à sourire ; le style, quoique grinçant et parfois un rien acide, n'a rien d'extraordinaire ; le texte est parfois « agrémenté » de propos machistes fort désagréables, peut-être destinés à être appréciés par la gentry masculine de l'époque (page 39 – Sonia avait élargi physiquement au point que ses proportions la rendaient proprement immariable ; 108 – « quand ma conne de femme en aura fini avec lui… ») ; et « last but not least », le tout a quand même un peu vieilli … Je ne sais pas si, comme l'annonce la 4ème de couverture, c'est « un des romans les plus drôles que la Grande-Bretagne ait jamais produits » mais le livre m'a semblé assez rafraichissant, cynique, décapant, humoristique voire jubilatoire et original alors que
Tom Sharpe y traite d'un sujet de prime abord plutôt intellectuel : « la marchandisation de la littérature ». le livre devrait plaire aux fans d'humour british ; dans ce cas, je suggère de le lire en V.O.