J'en ai le souffle court. Je viens de refermer
Pygmalion et je sais que je viens de lire un vrai pur joyau du patrimoine littéraire mondial. Ça me fait toujours drôle — chaque fois que cela m'arrive — car c'était tellement bien mais, malheureusement, c'est fini maintenant et j'aurais bien voulu que ça dure encore un peu.
Comment commencer ? Oui, tout d'abord, je m'adresse à tous ceux qui seraient tentés de crier : «
Ovide, ordure ! Au vide-ordure ! » Ceux qui jamais ne pousseraient l'hérésie jusqu'à ouvrir un livre vieux de deux mille ans, qui se sentent dévorés d'une poussée d'urticaire à la simple évocation du mot « classique ». Peut-être pour vous alors, la pièce de
George Bernard Shaw vous permettra d'accéder, via le petit coup de frais qu'elle lui redonne, au mythe antique de
Pygmalion, sculpteur chypriote écoeuré par l'attitude des femmes, tombé en extase devant sa propre statue, que nous contait
Ovide dans ses Métamorphoses.
Transposer ce mythe à l'époque contemporaine n'était franchement pas évident. Et quel sens lui donner ?
Bernard Shaw a eu un trait de génie en y greffant à la fois la question des classes sociales et aussi le regard de la science moderne.
Mais ceci ne serait rien encore sans la grande subtilité psychologique avec laquelle l'auteur nous invite à considérer ses personnages sachant que, ce qui ne gâte rien, cette pièce, en plus des qualités susmentionnées, a également le bonheur d'être franchement drôle par moments. Que demander de plus ?
Il s'agit donc d'une comédie satirique, d'une comédie sociale en cinq actes et un épilogue. Je vous accorde que la pièce débute mollement à l'acte I, mais prend une tournure, une drôlerie et une intensité remarquables dès l'amorce de l'acte II.
Le sujet, quel est-il ? Une jeune marchande ambulante de fleurs, issue des quartiers glauques du Londres de la fin du XIXème siècle, bat le pavé avec son parler de poissonnière lorsqu'elle tombe sur deux gentlemen.
L'un, Henry Higgins, est un scientifique féru de phonologie et qui, à la moindre inflexion dont vous prononcez quelques mots est capable de vous dire dans quelle rue de Londres vous logez et, pour ainsi dire, à quel numéro et à quel étage. Son savoir est indéniable mais son tact et son urbanité vis-à-vis de ses concitoyens confine à la misanthropie.
L'autre, Pickering, est un colonel qui s'est intéressé aux langues indigènes dans les colonies.
Ainsi, pour éprouver sa science, Higgins, épaulé de Pickering, va se lancer dans le pari fou d'essayer d'apprendre à la jeune fleuriste à parler et se comporter comme une lady de la meilleure société londonienne.
Va-t-il réussir, va-t-il échouer ? Peut-on de la sorte se livrer à des expérimentations grandeur nature sur de l'humain sans une quelconque once de psychologie à l'égard de la personne objet de l'étude ? Et quand on ouvre une porte, sait-on ce que l'on va trouver derrière ? Sait-on si l'on pourra jamais faire demi-tour en cas de complication ? le sujet sait-il qu'il n'est qu'un objet (certes d'étude) ? Apprendre LE savoir-vivre, comme s'il n'en existait qu'un seul, qu'un vrai, qu'un supérieur à tous les autres, n'est-ce pas témoigner qu'on en est totalement dénué ?
Autant de questions, et beaucoup d'autres encore, soulevées avec brio par ce très grand Monsieur de la scène qu'était
George Bernard Shaw dont
Pygmalion est, à juste titre, l'une de ses oeuvres phares.
Je vous la conseille sans sourciller, mais ce n'est bien sûr que mon avis, c'est-à-dire, bien peu de chose.