Je regarde distraitement le visage blanc de ma mère. Elle n'a pas de rides sur le front. Les yeux en amandes, les pommettes peu saillantes. Les longs cheveux noirs attachés sur la nuque, la raie au milieu. Le dos tout droit.
Hotaru.
Ho...ho...hotaru koï... Venez, les lucioles ! L'eau de l'autre côté est salée, l'eau de notre côté est sucrée. Venez, les lucioles !
Elle s'est arrêtée et m'a dit : quelle chanson cruelle ! C'est un piège ! Tsubaki, prends garde de ne pas tomber dans l'eau sucrée.
Wasurenagusa.
Je regarde distraitement le signet de petites fleurs séchées. La couleur est passée. Au bout est écrit un mot en katakana : niezabudoka. Je ne connais pas ce mot d'origine russe, mais ce doit être le nom de la fleur.
.... Ces fleurs bleues me sont familières.....
.... Elles s'appellent wasurenagusa.
Tsubame.
Rien n'est plus précieux que la liberté. N'oublie jamais ça, Yonhi. [...]
Je regarde le nid des hirondelles contre le mur de la maison. Il est tout séché maintenant. Leur saison sera bientôt finie.
Mon regard se fixe sur le nid. Tsubame...
Hamaguri.
Elle apporte des coquillages qui s'appellent hamaguri.
Je prends l'une des coquilles dans ma main. [...]
On va jouer au kaïawase. [....]
Il faut trouver la bonne paire. [...]
Chez les hamaguris, il n'y a que deux parties qui vont bien ensemble.
Tsubaki.
C'étaient les camélias qui fleurissent en hiver.
Dans la campagne près de Tokyo, quand il neigeait, je trouvais les fleurs dans le bois de bambous.
Le blanc de la neige, le vert des feuilles de bambous et le rouge des camélias.
C'était une beauté sereine et solitaire.
* p89, livre 5 (Yukiko dit à son amie Tamako qui est en train de chanter la chanson enfantine japonaise) :
- "je crois que cette chanson a été créée par un homme pour séduire des femmes.
- Ce n'est pas vrai ! C'est une chanson pour les enfants.
- Nous sommes encore jeunes. Il faut prendre garde de ne pas tomber dans l'eau sucrée."
Rien n'est plus précieux que la liberté.
Tome 3. Tsubame
Tsubaki
Je me promenais dans le bois de bambous. C’était tellement tranquille. Je m’asseyais toujours sur la même pierre. Le vent soufflait doucement. Je n’entendais que le bruit des feuilles.
Hamaguri
Ces images sont gravées si profondément dans ma mémoire que jamais elles n’ont pâli avec le temps.
Tsubame
Le vent sec et froid d’hiver se met à souffler. La première neige tombe au début du mois de décembre. Le temps nuageux dure quelques jours. Je continue à monter sur la colline avec le petit garçon. Il apporte un avion de papier qu’il a fait lui-même. Assise par terre, je le surveille. A l’orphelinat, je ne parle toujours à personne.
Wasurenagusa
Le signet a voyagé avec moi partout, même en Sibérie. En fait, j’ai vu des fleurs de niezabudoka au camp de travaux forcés, dans la région d’Omsk. Au printemps, le champ en était couvert comme un immense tapis bleu.
Hotaru
Le bleu des fleurs brille. Je ferme le yeux. Je vois mes grands-parents se promener sur la plage, main dans la main. Je songe à Obachan, qui a été incapable de dire la vérité à son mari.Je prie : « Ojichan, viens chercher Obachan. Sinon, elle va errer sans savoir où aller, comme une luciole perdue ». Tout à coup, une cigale se met à chanter au-dessus de moi.
Dans le ciel montent d'énormes cumulo-nimbus.
Penchée à la fenêtre, je regarde les nuages, immobiles comme des rochers gigantesques. Au-dessus de moi, les cigales stridulent bruyamment. La chaleur est accablante. La saison des pluies vient de se terminer.
Je me prépare à sortir. Cet après-midi, je vais chez mes parents ou Obâchan m'attend. Elle garde le lit presque toute la journée. Mes parents disent qu'elle ne pourra tenir jusqu'à l’automne.
J'habite à Tokyo. Je suis étudiante universitaire. C'est la période des vacances d'été. Je travaille toutes les matinées de la semaine dans une boutique de fleuriste.
Tome 5 - Hotaru