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Critique de Erik35


LORSQUE REVIENNENT LES HIRONDELLES.

Quel lien possible entre la colonisation de la Corée par le Japon Impérial au début du XXème siècle, l'épouvantable séisme de Tokyo en 1923 (au point qu'un mot pour le désigner existe encore), les massacres de travailleurs pauvres coréens par des milices populaires armées sur les décombres fumantes de la capitale du Japon, l'explosion d'une bombe H au-dessus d'un quartier tranquille de Nagasaki, un journal intime illisible parce qu'on en a perdu la clé, et la découverte inattendue d'une paternité improbable ?

Ce lien, cette quasi impossible destinée - "quasi", car l'autrice, par la finesse de son approche, sa grande densité faite de mots simples et limpides, nous la rend palpable, réelle, véridique et crue, cette destinée incroyable - c'est celle de Yonhi Kim, jeune fille pauvre et apatride, née d'une mère, ancienne professeure, ayant fuit la Corée avec son frère, intellectuel indépendantiste et qui perdra son passé en même temps que le peu de famille connue le jour de cet abominable et dantesque 1er septembre 1923. de son père, elle ne sait rien. Quant à cette maman disparue par la faute de la folie des hommes cherchant un sens - le pire possible - à la folie de la terre, il ne lui en reste que des souvenirs de jeune adolescente ainsi qu'un journal intime qu'elle perd, peu à peu, la capacité de lire, tandis qu'elle est recueilli par un prêtre étranger s'occupant de l'orphelinat qu'il a créé et qu'il fait survivre grâce à son don pour les langues et aux traductions rémunérées qu'il effectue sans discontinuer.

Ce jour-là de toutes les tragédies, Yonhi deviendra Mariko (Marie, en référence à la Vierge sous la protection de laquelle sa mère la mit) et Kanazawa, du nom qu'une japonaise - on pourrait presque dire "une juste" - ayant compris leur nationalité d'origine et le danger mortel que cette mère et sa fille courraient leur attribua en réponse à des accusations de miliciens aveuglés de folie et de sang. Parce qu'une mère essaie toujours d'accomplir le mieux pour son enfant, elle confiera la chair de sa chair à l'orphelinat catholique tenu par un prêtre de sa connaissance avant de tenter de retrouver son propre frère dans le feu et les larmes de ce moment insensé. Elle, ni cet oncle, n'en reviendront jamais.

La suite, c'est une enfance sans les siens, où l'on fait pour le mieux. Avec de bonnes personnes qui essaient de vous préserver d'un côté. D'autres - une autre, un homme, un diable aux apparences débonnaires - qui vous entraînent vers l'enfer, malgré vous.

Yonhi/Mariko y perdra d'abord l'histoire de son origine. Elle trimbalera comme une croix ce secret impossible à dire - parce qu'elle veut le mieux pour sa descendance et que ce jour de 1923 est fondateur de cet volonté d'oubli -, malgré le journal de cette maman qu'elle sera très vite incapable de lire, son coréen disparaissant aussi de sa mémoire.
Il y aura donc ce fils né d'amours socialement interdites.
Il y aura ce bel époux, lui-même riche de secret mais invariablement bon avec cette orpheline et mère célibataire dans un monde tellement attaché aux apparences sociales (au point qu'il sera renié par ses parents).
Il y aura ces jours atroces d'avant LE drame - personnel et Historique en même temps -, alliant viol et volonté de tenir malgré tout.
Il y aura cette envie de meurtre, assouvie par une autre, sans rien y comprendre.
Il y aura LA bombe, qui détruit tout, mais qui efface tout, aussi.
Il y aura ces recherches d'un passé honteux enfoui, souhaitées par une universitaire et une partie de la population. Qui feront resurgir tant de souvenirs disparus.
Il y aura cette très vieille femme d'origine coréenne et qui saura lire les mots mystérieux du journal sauvé de tous les drames.
Il y aura la découverte du vrai père.
Puis le silence par les flammes.

Troisième temps de cette pentalogie, Tsubame/L'hirondelle en est sans doute le pivot tout autant que le moment à la fois charnière et le passage le plus douloureux. Avec une économie de moyens dont le lecteur est désormais coutumier, Aki Shimazaki nous embarque vers les rivages les plus fragiles de l'âme humaine, de son talent à la survie mais aussi de sa capacité à tuer ce qu'il aurait pu être si les événement avait été différents. L'autrice ne cesse de bousculer les certitudes - certains individus supposés bon sont de véritables salauds, tandis que ceux sur lesquels on devrait pouvoir se reposer disparaissent corps et bien sans donner le temps des adieux -, elle nous dit aussi que nos choix sont composés d'une infinité d'opportunités que l'on sait saisir ou pas mais que ces choix sont aussi inséparables d'impondérables, ce que l'on pourrait qualifier de destin, sur lesquels il est vain de vouloir interférer.
Ce volume, court une nouvelle fois, est d'une profondeur et d'une puissance souterraine rare et justifie parfaitement ce choix - loin de toute idée saugrenue de "coup éditorial"- chaque volume mettant ainsi en évidence une trajectoire, une identité, produit de sa propre existence mais aussi de celle des autres, qu'ils soient présents ou passés, proches ou liées à la masse inconnue. Un volume d'une tension rare, sans "psychologisme" facile tandis qu'il est pourtant impossible de ne pas croire totalement à ces personnages complexes. du grand art et un immense bonheur de lecture !

Ci-après, un lien concernant ce drame terrible et méconnu en Europe de ces coréens massacrés par des japonais dans la suite du séisme de 1923. C'est peu de dire que le Japon d'aujourd'hui est dans la négation de ce passé tragique et honteux... (Attention : bien que vieilles de presque un siècle, les photos accompagnant l'articles ne sont pas à mettre sous tous les regards fragiles...) http://french.yonhapnews.co.kr/national/2013/02/03/0300000000AFR20130203000800884.HTML
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