" Le phare n'éclaire pas son pied....."
Dicton Japonais .
Les travaux forcés étaient épouvantables. Je ne sais combien de soldats japonais sont morts autour de moi. Les souffrances dues à la faim, au froid rigoureux en hiver et même à la chaleur suffocante de l'été.
Nous sommes à la mi décembre. Il fait plus froid de jour en jour. Les chrysanthèmes de notre jardin sont tous fleuris. Ma saison favorite est bien terminée. À regarder le ciel nuageux, je pense qu'il va bientôt neiger. Malgré tout, les moineaux gazouillent avec vivacité.
Au salon, nous attendons l'arrivée de mon père. Ma mère est assise dans le fauteuil. Elle tient toujours le zakuro dans ses mains. Je regarde le contraste des couleurs : le blanc de sa jupe et le rouge du fruit. Le rond rouge sur le fond blanc évoque le drapeau du Japon. Je me demande qui a créé ce motif simple et beau.
« Les villes japonaises sont de véritables labyrinthes ! » Le mot « labyrinthe » évoque maintenant la nouvelle vie de mon père : en un sens, un endroit pareil est commode pour des gens qui veulent vivre dans l’anonymat.
Le phare n’éclaire pas son pied.
Je me rapproche de la maison. Dans le noir surgit le visage de mon père, plus jeune que moi. L'homme qui a aimé sa femme, l'homme qui a adoré ses enfants, l'homme qui a eu un grand sens de la justice, l'homme qui a été têtu mais très honnête. Malgré tout, cet homme ne rentre pas chez lui, où sa femme attend son retour depuis vingt-cinq ans...(p.52)
On parle beaucoup des victimes des bombes atomiques larguées sur Nagasaki et Hiroshima. Pourquoi ignore t-on les victimes des travaux forcés en Sibérie ?
Il a raison. On dit que plus de 600 000 Japonais y ont été déportés, sans préavis. Pire encore, plus de 60 000 y sont morts...
Et même maintenant, vingt-cinq ans après la fin de la guerre, personne ne connaît le nombre exact de victimes de cette déportation, mortes ou vivantes. En réalité, les chiffres réels doivent être beaucoup plus élevés que ceux qu'on donne officiellement. Honnêtement, je ne sais vraiment pas pourquoi ce sujet est traité aussi froidement. Je suis curieux de savoir ce que mon père en penserait. (p.74)
À côté, mon neveu Satoshi fait ses devoirs. Devant lui sont posés un atlas du monde, un livre de géographie et une boîte de crayons de couleur. Il lit le livre, la tête baissée. Un instant, mon regard se fixe sur le petit grain de beauté au bas de sa nuque. Tout noir, son contour se détache nettement sur la peau brun pâle.
(...) lors de la déclaration commune de 1956, le Japon a renoncé au droit de demander une indemnisation pour les soldats affectés aux travaux forcés. Pourtant, il n'a pas dédommagé les rapatriés à la place de l'Union soviétique, ce qui n'est pas juste pour les victimes et leurs familles comme la nôtre. Voilà pourquoi on passe ce sujet [la déportation des Japonais en Sibérie] sous silence... (p.74)