Je remercie Babelio et les éditions Nouveau monde pour la lecture de cette biographie de François Mitterand.
L'auteur était le correspondant de la BBC en France durant les années 1980. Il a l'occasion de rencontrer le président Mitterand.
Le sous-titre de la biographie, "le roman d'un ambigu", correspond bien à son contenu; François Mitterand, que ce soit dans sa vie privée compliquée ou sa vie publique, était un homme de contradictions, qui jouait de son ambiguïté et détestait par dessus tout qu'on lui force la main.
Jeune résistant décoré par Pétain, parlementaire élu par la droite qui fit l'union de la gauche, auteur d'un pamphlet contre De Gaulle et la constitution de la Veme République, méprisant l'argent mais ayant de riches amis, il était l'homme des contraires, toujours soupçonné de duplicité au service de son ambition personnelle. D'ailleurs dés le prologue, l'auteur fait le récit de l'Affaire de l'Observatoire, qui marqua profondément Mitterand et confirma sa réputation de manipulateur.
L'auteur a l'intelligence de décrire longuement la jeunesse, la Résistance de Mitterand, les débuts de sa vie politique et ses longues années d'opposition avant 1981, chapitres qui pour moi sont les plus intéressants. Ses deux présidences n'occupent qu'une petite moitié du livre. On découvre un homme ambitieux appliquant la même tactique pour construire un mouvement de résistance, reconstruire le parti socialiste ou accéder à la présidence de la République. S'appuyant sur un petit groupe de fidèles, il élargit peu à peu ses réseaux, pour convaincre au final l'opinion. On voit aussi que c'était attaché à son indépendance, dans la vie publique comme dans sa vie privée.
Je sens que l'auteur, anglophone, privilégie les politiques étrangère et économique du président. Pour moi l'apport principal du livre est constitué par les nombreuses retranscriptions de ses conversations avec les autres grands dirigeants, Kohl évidemment, mais aussi Reagan, Bush, Thatcher (qu'il appréciait beaucoup), Gorbatchev, et le récit des négociations diplomatiques. Il me semble quand même qu'il accorde une trop grande place au terrorisme qui frappa la France durant ses mandats.
Il décrit longuement aussi longuement la vie sentimentale compliquée du président, sa gestion de ses deux familles, marquées elles aussi par l'ambiguïté du personnage. Il a bénéficié du témoignage de Mazarine Pingeot et d'autres proches.
Philip Short porte aussi un certain nombre de jugements négatifs sur François Mitterand, concernant sa mauvaise gestion politique, son cynisme politique, sa méchanceté envers certaines personnes (pauvre Rocard, pour la défaite duquel Mitterand n'hésite pas à sacrifier le parti socialiste). Souvent, pour moi, il s'agit de critiques rétrospectives, ne tenant pas compte du climat de l'époque. Ainsi, quand il dit que Mitterand a livré l'électorat communiste au Front National; à l'époque, ce n'était pas si clair.
J'ai repéré aussi quelques erreurs factuelles. Par exemple il dit qu'Amédée Froger était maire d'Alger au moment de son assassinat, alors qu'il était président de la Fédération des maires de l'Algérie.
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C'est mon premier livre reçu par le biais d'une Masse Critique.
Lorsque Mitterand est arrivé au pouvoir je n'avais que 13 ans, ainsi à travers cette longue biographie ( 900 pages), j'ai découvert le parcours de cet homme. L'auteur y dévoile les amours de Mitterand, ses engagements ( Engagements dans la Résistance, les progrès sociaux) et ses côtés sombres ( Décoration remise par Pétain, sa passivité lorsqu'il fut ministre de la justice quant à la torture en Algérie, sa distance face à la révolte des étudiants en 1968).
Le plus intéressant dans ce livre, c'est qu'en suivant le parcours de cet homme, on découvre les antres du pouvoir mais aussi - et c'est ce qui m'a plu- on revisite une grande partie de notre histoire de France.
la richesse de cet ouvrage vient du fait que Philip Short a efffectué un travail très fouillé en utilisant des archives qui ne sont pas encore toutes ouvertes et exploitées, de nombreux documents américains et britanniques permettant de retracer les conversations de Mitterrand avec Margaret Thatcher, Reagan et Bush père. Sans oublier les confidences d'Anne Pingeot, la mère de Mazarine qui jusqu'à présent est restée très discrète sur le sujet
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Il était distant, intimidant et il émanait de lui une autorité naturelle. Il subjuguait ceux qui travaillaient avec lui par son intelligence et sa culture. Mais il était un artiste, fonctionnant par intuition. Ce n'était pas un logicien jaugeant le monde avec une précision arithmétique. La science le laissait froidement indifférent. "Le socialisme, déclara-t-il peu après être arrivé au pouvoir, c'est d'abord un projet culturel." Il ne pouvait pas vivre sans romans ni poésie. Les questions spirituelles le fascinaient. Il lisait et relisait la Bible, non pas comme de l'histoire ou de la théologie, mais comme une métaphore. Il se voyait lui-même comme un romantique dont la vie était un roman en train de s'écrire.
La solution, décida Mitterrand, était de faire ce qu'il avait toujours fait : forger l'unité non pas autour d'un programme mais autour de sa propre personne.
C'est une particularité bien française. Aux États-Unis ou en Grande-Bretagne, on est démocrate ou républicain, conservateur ou travailliste, avant de donner son soutien à tel ou tel dirigeant politique. En France, un nouveau parti naît avec l'apparition d'un nouveau chef, et disparaît, change de nom ou bien fusionne avec un autre mouvement quand ce dirigeant quitte la scène. D'où la prolifération déroutante de groupes éphémères qui fleurissent et s'éteignent au gré de la bonne ou mauvaise fortune des personnalités politiques qui les ont créés pour servir leurs ambitions politiques.
Tout comme il avait organisé ses cercles d'amis en des compartiments distincts dont lui seul possédait les clés, Mitterrand s'installa à l’Élysée au centre d'une vaste toile d'araignée dans laquelle chaque fil menait dans une seule direction : vers l'intérieur, le siège du pouvoir.
Savary et Mitterand n'étaient pas proches. Certains soupçonnaient qu'en lui confiant le portefeuille de l'Education, Mitterand lui avait tendu un calice empoisonné 1.
1. La famille de Savary le pensait certainement. Lors de sa mort en 1988, elle fit savoir que Mitterand ne serait pas le bienvenu à ses funérailles. Quand l'Elysée chercha à avoir une explication, sa veuve admit que "la présence du président de la république serait un honneur", signifiant que si Mitterand insistait pour venir, ce qu'il fit, il viendrait en tant que chef d'Etat et non comme ancien colllègue.
En novembre, il fut affecté à une équipe qui entassait des bottes de foin pour l'hiver. Le chef de section, Jean Mounier, le fils d'un fermier de Bourgogne et d'un an son aîné, voyant Mitterand assis à en rien faire, lui cria de se remettre au travail. "Si tu faisais comme moi, lui répondit le jeune homme calmement, tout serait encore par terre." Minier eut l'air penaud : il avait oublié qu'aider les Allemands n'était pas un objectif. Les deux devinrent amis.