On ne fête jamais l'anniversaire d'un bébé d'un an pour lui faire plaisir.
Dessus, j'ai l'air aux anges, comme si on venait de me caresser intérieurement avec une plume.
Le lendemain matin, à mon réveil, j’étais désorientée et sale. J’avais l’impression d’avoir glissé dans une fissure du temps, d’être prise entre la vie telle qu’elle avait été et la vie telle qu’elle serait. Je n’éprouvais pas le moindre enthousiasme pour l’avenir et je savais que mon père partageait ce sentiment.
On ne fête jamais l'anniversaire d'un bébé d'un an pour lui faire plaisir.
Clara ne percevait ni les festivités , ni l'angoisse de la famille.
La fête était pour mes parents et pour moi.
La jeune femme a eu un bébé. Quelle impression ça fait ? ai-je envie de lui demander. Je sais d’où viennent les bébés, mais ça ne me dit pas ce que je meurs d’envie de savoir. Est-ce que ça fait mal ? Avait-elle peur ? Aimait-elle le père du bébé ? Attend-il sont retour, dissimulé en bas de la route ? La petite Doris, un prénom ridicule, est-elle le résultat d’une folle passion ? La jeune femme qui se trouve dans la salle de bain pleure-t-elle sur son amant et sur son enfant perdu ?
Je ne suis pas habituée à cette créature qui peut avoir le cœur brisé à un moment donné, et exploser de vie tout de suite après.
Le calme de la forêt surprend toujours, on dirait un public qui se tait avant un spectacle.
Je sais qu'il pense à Clara et qu'il y a en lui une immense souffrance. Mais aussi une sorte d'apaisement, l'équivalent d'un soupir de soulagement;
Mon père et moi sortons dans le froid. Sec et immobile, l’air me brûle les narines dès que j’inspire. Nous attachons nos raquettes et nous marchons en les abattant violemment sur la neige durcie. L’écorce des arbres est couleur rouille, et le soleil dessine des ombres pourpres derrière les troncs. De temps en temps, la lumière envoie vers le ciel un éclat de verre grêlé.
La tristesse, j’en ai déjà eu assez pour le restant de mes jours.