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Françoise Cartano (Traducteur)
EAN : 9782714441188
492 pages
Belfond (28/09/2006)
4.31/5   1284 notes
Résumé :
À la veille de ses seize ans, Kevin Khatchadourian exécute neuf personnes dans son lycée. A travers des lettres au père dont elle est séparée, sa mère retrace l’itinéraire meurtrier de leur fils. Un roman coup-de-poing, violent, complexe, qui s’attaque aux pires des tabous.
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Critiques, Analyses et Avis (264) Voir plus Ajouter une critique
4,31

sur 1284 notes
Voici peut-être l'un des meilleurs livres que j'ai jamais lus.
Pourtant j'ai détesté chacune de ses pages.
Il n'y a pas une lueur d'espoir dans ce roman. Dès les premières pages, on sait que Kevin a assassiné ses camarades de lycée. La longue narration de sa mère conduit inexorablement le lecteur vers un épilogue auquel il ne peut échapper - et qui s'avèrera plus cruel encore qu'on l'avait imaginé.

Lionel Shriver ose briser deux tabous. le premier est celui de l'innocence de l'enfant. Les enfants commettent parfois des atrocités. On les en dédouane en en cherchant la cause dans une éducation inefficiente. Mais la cause est plus immédiate : ils font le mal car ils sont, parfois, mauvais.
Second tabou : l'amour maternel inconditionnel. Lionel Shriver ose décrire une mère qui n'aime pas son enfant, s'en méfie et mène avec lui une guerre de chaque instant.

Dans la société contemporaine où l'enfant est roi, ces sujets sont tabous. La littérature et plus encore le cinéma sont souvent englués dans une bien-pensance mielleuse sacralisant l'enfant et l'amour maternel.
"Il faut qu'on parle de Kevin" - magistralement porté à l'écran par Lynne Ramsay - constitue un puissant et douloureux antidote à ce conformisme bien-pensant.
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We need to talk about Kevin
Traduction : Françoise Cartano

En raison d'un article lu sur un blog et qui reprochait à ce livre de culpabiliser la mère à outrance, j'ai longtemps tardé à lire ce roman dont le thème central est la recherche des causes de la violence adolescente, surtout lorsque celle-ci débouche sur des meurtres de masse similaires à la tuerie de Columbine, aux USA. J'ai tardé donc mais, une fois que j'en ai commencé la lecture, je n'ai pu me séparer de ce roman avant d'en avoir lu la dernière page. Pourtant, je tiens à le préciser, certains passages, dans lesquels la mère décrit elle-même son narcissisme et son égoïsme, et ceci sans aucune complaisance, ont de quoi déclencher la colère, l'antipathie et le malaise du lecteur.

Lionel Shriver a en effet choisi de ne nous donner que le point de vue de la mère de Kevin Khatchadourian. Point de vue fatalement partial, dépourvu d'objectivité, dira-t-on. Sans doute mais celui des autres acteurs de la tragédie eût-il été moins subjectif ? On accordera à cette mère qui s'interroge et déballe tout pour mieux comprendre comment son fils et elle en sont arrivés là, le mérite d'un franc-parler qui dérange, inquiète, blesse mais qui, jamais, ne tombe dans l'auto-complaisance.

Le roman se présente sous forme de lettres que Mrs Khatchadourian adresse à son mari, Franklin. Ce parti pris aurait pu rebuter des lecteurs qui ne sont plus habitués aux romans épistolaires mais le style dense, d'une précision d'analyse quasi clinique, et particulièrement soutenu utilisé par l'auteur agit comme une spirale hypnotique, accrochant et rivant le lecteur à une intrigue qui dévoile lentement une structure complexe et particulièrement travaillée. Bien qu'il s'agisse d'un récit d'introspection, il n'y a aucun temps mort : à partir du moment où l'on se plonge dans l'histoire, on veut aller jusqu'au bout, quel que soit le prix à payer pour ce faire.

Ce serait faire injure à l'habileté souveraine avec laquelle Lionel Shriver a mené sa barque que de résumer "Il faut qu'on parle de Kevin." Tout ce que vous avez besoin de savoir, c'est que Kevin s'est bien rendu coupable d'un massacre dans son lycée, qu'il a prémédité le fait et l'admet avec une curieuse bonne grâce, et que, à l'issue de son procès, sa mère est la seule personne qui vienne le voir au parloir de la prison. le reste ne se raconte pas, il se lit.

Ce livre se double en outre d'une critique impitoyable des méthodes d'éducation laxiste qui, après avoir fleuri aux USA, ont envahi l'Europe. Non que Lionel Shriver soit pour les châtiments corporels : elle se contente de rappeler que le sens des limites et des garde-fous ne se communique pas en laissant faire à un enfant ses quatre volontés.

En ce qui concerne la culpabilisation de la Mère que certains ont voulu voir ici, j'affirme ne pas avoir compris comment ils en étaient arrivés à cette conclusion. Shriver met en évidence, de façon parfois insoutenable, c'est vrai, le lien privilégié et presque fusionnel qui s'établit entre la mère et son enfant. Force est de constater que, en dépit de tout, en dépit de ce que lui-même professe, c'est avec sa mère que Kevin a le plus d'atomes crochus. Comme Eva Khatchadourian, il fait preuve, dès le berceau, d'une personnalité désagréable, voire insupportable mais en tous les cas puissante et déterminée. Et, le livre refermé, l'on se surprend à s'interroger sur ce qui serait advenu si l'amour maternel avait été présent dès le premier souffle de Kevin.

Car l'amour maternel n'est pas inné. Cette idée, que véhicule tranquillement "Il faut qu'on parle de Kevin", a dû en choquer plus d'un aux USA et même ici, dans notre vieille Europe. L'affirmer haut et fort, sans pour autant accabler celle chez qui il ne se développe pas ou alors, chez qui il ne se développe que tardivement, c'est transgresser un tabou : jusque dans cette fonction qu'elle est seule à pouvoir assumer, la maternité, la Femme reste prisonnière d'étiquettes et de préjugés forgés par les mâles.

A la fin du roman, à la fin également d'un long, douloureux et sanglant parcours, Eva Khatchadourian aura appris - sans tomber dans le mélodrame, je vous rassure - à aimer son fils. Parce qu'elle aura compris que, dès son premier souffle, la seule, l'unique personne qui ait jamais compté pour Kevin, en dépit de tout, c'était elle, sa mère. ;o)
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Ayant vu et été marquée par le film servi par de très bons acteurs (Tilda Swinton, prix du cinéma européen de la meilleure actrice et Ezra Miller), j'ai voulu pour une fois lire le roman même si j'en connaissais les liens et aboutissements. Si le film m'a laissé ko, le livre quant à lui m'a laissé de marbre. Il n'apporte aucun élément de réponse sur le côté psychopathe de ce Kevin qui la veille de ses seize ans, tua neuf condisciples de classe dans le gymnase de son école à l'aide de son arbalète.

Kevin depuis tout bébé est un enfant qui fait horreur et qu'aucune mère ne pourrait souhaiter à sa pire ennemie. Kevin ne veut pas du lait maternel, Kevin pleure sans arrêt quand sa mère est là, Kevin est atone, désintéressé de tout, l'ambition de Kevin c'est d'être chômeur plus tard, Kevin porte des langes jusqu'à six ans, Kevin martyrise les enfants de l'école. Depuis tout petit Kevin est un gosse machiavélique, méchant, bref un vrai merdeux poussé à son paroxysme.

Si le film m'a percuté dés les premières minutes, il a fallu attendre au-delà de la deux centième page pour que dans le livre Kevin apparaisse. Très très long. On suit les lettres de la mère, Eva adressées à son mari Franklin qu'il ne lira jamais. le ton est froid, sobre, trop clinique. Si le titre fait référence à l'urgence de parler Kevin, non je n'ai pas reconnu l'urgence entre toutes les parenthèses très longues à gauche et à droite. Eva parle de beaucoup de choses sans lien direct ou indirect avec Kevin. Ce qui rend le livre assez lent et dispersé. Eva est une mère carriériste qui aurait préféré ne pas avoir ce premier enfant. À peine né, elle le reconnaît, cet enfant ne génère chez elle aucune émotion. Au fur et à mesure que Kevin grandit, le couple se complaît dans une nonchalance assez effarante. Si la mère constate très vite un problème avec son fils, son père fait l'autruche. Il n'y a jamais de réaction pour recadrer l'enfant futur tueur. du côté de la mère, ça manque d'amour mais en même temps comment aimer un tel enfant, une créature aussi néfaste ? Et de l'autre, le père est collant et déborde d'amour pour son fils. Un déséquilibre glaçant qui ne m'aura pas permis de m'attacher à qui que ce soit. le seul être qui semble normal dans cette famille c'est la petite soeur Celia.

Il y a certainement une accumulation de faux pas dans l'éducation de Kevin pour comprendre comment un jeune de bientôt seize ans en arrive à tuer sans scrupules autant de monde. le côté inné semble aussi questionner puisque Kevin semble être né méchant. Difficilement compréhensible d'imaginer un bébé aussi sournois néanmoins.

Sur 730 pages, j'attendais à retrouver l'énergie émotionnelle du film, le ton clinique des confidences de Eva dans ses lettres m'a posé problème. Je n'ai pas ressenti comme dans le film l'urgence de parler de Kevin, la rage et la colère d'avoir enfanté un être aussi diabolique, je n'ai pas adhéré à cette façon d'abdiquer devant son caractère néfaste, de rester bras croisés.
Beaucoup trop descriptif comme livre, sans émotions, des émotions qui auraient pu souligner honte, rage, déception, bref toute une panoplie de sentiments humains justifiables ici.

Pour une fois, c'est le film qui gagnera la palme d'or en terme d'électrochoc, le livre ici me semble personnellement moins pertinent que le film. J'ai adoré le jeux des acteurs dans le film où l'on retrouve le côté froid du personnage de la mère mais le côté diabolique et malsain de Kevin est parfaitement maîtrisé dans le film alors que le livre semble atténuer cette face monstrueuse. Mitigée donc sur ce livre que j'aurai peut-être perçu autrement sans avoir vu le film au préalable.
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Ah Kevin, un sale petit bonhomme dès sa plus tendre enfance. du genre à crier sans cesse, à refuser le sein maternel, à faire fuir toutes les nounous, même les plus motivées. Disons-le sans détour : Kevin n'est pas aimable, Kevin a toujours été repoussant. Alors peut-on légitimement imaginer qu'Eva sa mère ait une quelconque responsabilité dans la folie meurtrière de son fils pour ne pas l'avoir vraiment désiré et s'être sentie incapable de l'aimer ? Son absence d'amour maternel est-il la cause de tout ou Kevin est-il né foncièrement mauvais ?

A ces questions Lionel Shriver tente des réponses en remettant en cause magistralement le rôle qu'une mère est censé remplir et les sentiments qui doivent l'animer, faute de quoi, elle risque de voir ses enfants devenir des détraqués. Pourtant chacun sait, ou presque, que l'amour maternel ne va pas toujours de soi. C'est un lien qui souvent se tisse (ou pas) au fil des jours. de même on sait certains enfants « indomptables », des graines de voyous, voir des incarnations du mal (cf Rosemary's baby), en dépit de toute l'affection dont ils sont l'objet.
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Il existe une peur dont on ne parle jamais. Elle est pourtant latente chez de nombreux futurs parents, insidieuse comme le venin d'un serpent : et si je n'aimais pas mon enfant ? Et si mon enfant ne m'aimait pas ? Et si cet amour si naturel que l'on dit spontané n'était pour moi ni l'un, ni l'autre ? Eve Khatchadourian, reporter auprès d'un magazine de tourisme, n'a quant à elle jamais désiré de fils – la grossesse, la maternité, la dépendance, tout ceci lui répugne et l'effraie à la fois. Mais lors d'une nuit d'angoisse, terrorisée à l'idée de perdre un jour l'homme qu'elle adore sans rien conserver de lui, elle prend un risque malavisé… Neuf mois plus tard, Kevin naît. Et Eve ne l'aime pas. Elle ne parvient pas à l'aimer. Rongé par la culpabilité, elle tente pourtant de donner le change, couvre le bébé de marques d'affection, mais Kevin est un étrange petit garçon, curieusement apathique et totalement hermétique à la moindre tendresse.

Le petit garçon silencieux devient un enfant trop calme, aux yeux froids et absents. L'enfant devient un adolescent introverti – un gamin comme les autres selon son père, mais un manipulateur sans scrupules selon sa mère. Car non seulement Eve n'aime pas son fils, mais elle en a peur : peur de sa maturité glaciale, si peu conforme à son jeune âge, peur de son effrayante atonie, peur de la rage froide, contrôlée, gigantesque qu'elle sent parfois frémir sous cette enveloppe trop lisse et qu'elle semble être la seule à percevoir… Et un jour, fatalement, les choses tournent mal. Très mal. Un drame terrible, sanglant, d'autant plus terrifiant qu'Eve elle-même répugne à en parler, ne l'évoquant que sous le terme « l'affaire ». Dix-huit ans après la naissance de Kevin, voici donc Eve seule, abandonnée de tous et confrontée à ce monstre inconnu : son fils. Enfermée dans son appartement, elle va coucher par écrit l'enfance de Kevin, revivre étape par étape l'évolution de leur relation jusqu'à « l'affaire », dans l'espoir de parvenir à comprendre, à lui pardonner et peut-être – et c'est là le plus difficile – à se pardonner à elle-même.

Etonnant comme un livre peut à la fois vous fasciner au point d'en dévorer les pages à toute vitesse, tout en créant une sensation de malaise telle que chaque ligne lue laisse une sensation d'aigreur au fond de l'estomac. Il faut reconnaître que « Il faut qu'on parle Kevin » accumule les sujets tabous, écorchant méchamment l'idéal familial américain au passage : l'absence d'amour entre parents et enfants, la culpabilité qu'elle entraine, les mauvais traitements physiques et psychologiques au sein de la cellule familiale, la malveillance enfantine et bien d'autres sujets tout aussi affriolants. Cette dissection sans merci d'une relation mère/fils s'avère pourtant incroyablement prenante, le genre de récit qui vous prend littéralement aux tripes et ne vous lâche plus avant la dernière page (surtout que cette relation n'est pas entièrement fondée sur le rejet, comme on pourrait le croire : il y a quelque chose d'intensément fusionnel dans le lien qui unit Kevin à sa mère, peut-être même un embryon d'amour déçu…) le style employé y est pour beaucoup : précis, analytique, acide, presque clinique par moment, car Eve Khatchadourian n'est pas une femme facile et pas toujours une narratrice très sympathique.

Le tout donne un roman noir, glaçant, passionnant qui ose véhiculer cette idée honnie : non, l'amour maternel n'est pas inné – ou du moins pas toujours et pas pour tout le monde. L'amour maternel se construit, se forme, se déforme… Et naît parfois d'étonnante façon. Au terme de son récit, Eve Khatchadourian finira par confesser « Après dix-huit ans moins trois jours, je peux finalement annoncer que je suis trop épuisée, et confuse, et seule, pour continuer de lutter, et que, serait-ce par désespoir, voire par paresse, j'aime mon fils » Mais à quel prix cet amour venu trop tard ?

(Et j'en profite pour recommander très chaudement l'excellente adaptation au cinéma de Lynne Ramsay d'une beauté visuelle époustouflante et portée par deux acteurs magnifiques de justesse et de tension. N'hésitez pas, les gens !)
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Citations et extraits (193) Voir plus Ajouter une citation
... Dans la chambre, il m'a laissé le déshabiller et quand je lui ai demandé quel pyjama il voulait mettre, au lieu de lever les yeux au ciel en grognant : "M'en fiche," il a réfléchi un instant avant de murmurer, d'une petite voix : "Celui de l'astronaute. J'aime bien le singe dans la fusée." C'était la première fois que je l'entendais dire qu'il aimait une pièce de sa garde-robe, et quand je me suis rendue compte qu'il s'agissait de l'unique pyjama se trouvant au linge sale, j'ai été plus que désemparée en l'extirpant du panier avant de vite revenir lui promettre de le laver le lendemain pour qu'il soit comme neuf. J'attendais un "Pas la peine," au lieu de quoi - autre première - j'ai entendu "Merci." Quand je l'ai bordé, il s'est niché volontiers, en remontant la couverture sous son menton, et quand j'ai glissé le thermomètre entre ses lèvres écarlates - son visage était criblé de rougeurs de fièvre - il a léché l'extrémité en verre à coup de minuscules succions, comme si finalement, à dix ans, il avait appris à téter. Sa température était élevée pour un enfant - plus de 38°4 - et lorsque je lui ai tamponné le front avec un linge humide, il a ronronné.

Je ne saurais dire si nous sommes moins nous-mêmes quand nous sommes malades, ou plus. Mais ces deux semaines hors du commun ont été pour moi une révélation. (...) Je sais bien que nous changeons tous, dans un sens ou dans un autre, quand nous sommes malades, mais Kevin n'était pas seulement sur les nerfs ou fatigué, il était une personne radicalement différente. C'est d'ailleurs ce qui m'a permis d'évaluer la quantité d'énergie et de volonté qu'il devait dépenser le reste du temps pour être un autre enfant (ou d'autres enfants). (...) J'avais cru immuable le registre émotionnel qui le gouvernait depuis sa naissance. Rage ou colère, la seule variante était le degré d'intensité. Or, sous les couches de fureur, je découvrais, avec stupéfaction, une strate de désespoir. Il n'était pas furieux. Il était triste. ...
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"Désolée, mais je ne suis pas l'auteur de ces films, et toute femme dont les dents se sont cariées, les os fragilisés, la peau détendue connaît le tribut prélevé par un parasite occupant les lieux pendant neuf mois. Tous ces films sur les animaux montrant la longue remontée des saumons femelles en train de se battre contre le courant pour pondre leur oeuf avant de se désintégrer - voile sur les yeux, écailles qui tombent - me rendaient folle. Tout le temps où j'ai été enceinte de Kevin, j'ai combattu l'idée de Kevin, la notion que je m'étais moi même dégradée du statut de conducteur à celui de véhicule, de propriétaire de maison à maison."


"Par ailleurs, je serais éventuellement plus sensible à cette notion ultra-séculière voulant que chaque fois qu'il se passe des abominations il faut un coupable, si une curieuse petite auréole d'irréprochabilité ne semblait accompagner ces gens qui se perçoivent comme cernés par des agents du mal. En d'autres termes, on a l'impression que les mêmes personnes qui vont attaquer devant le tribunal les maçons n'ayant pas su les protéger parfaitement des dégâts d'un tremblement de terre seront les premières à affirmer que leur fils a raté son contrôle de math à cause d'un déficit de sa capacité de concentration, et pas parce qu'il a passé la nuit précédente dans une galerie de jeux vidéo, au lieu d'étudier les fractions complexes."


"La plupart des enfants sont mortifiés par la perspective du divorce de leurs parents, et je ne nie pas que la conversation surprise par Kevin l'ait expédié dans une spirale descendante, il n'empêche que j'étais déconcertée. Depuis quinze ans, cet enfant essayait de nous séparer. Pourquoi n'était il pas satisfait? Et si j'étais une telle horreur, pourquoi n'était il pas ravi de larguer son abominable mère? Rétrospectivement, ma seule hypothèse est qu'il était assez désagréable de vivre avec une femme froide , soupçonneuse, hostile, accusatrice et distante. Une seule éventualité devait lui sembler pire, et c'était de vivre avec toi Franklin, se retrouver à la colle avec papa.

A la colle avec son créitn de père."

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... - "C'est toujours la faute de la mère, pas vrai ?" a-t-elle dit tout bas, en ramassant son manteau. "Ce gamin a mal tourné parce que sa mère, elle est alcoolo ou accro à la drogue. Elle le laisse à l'abandon, elle lui apprend pas la différence entre le bien et le mal. Elle est jamais à la maison quand il rentre de l'école. Personne va jamais dire que le père est un poivrot, ou qu'il est pas à la maison quand il revient de l'école. Et personne non plus va jamais dire qu'il y a des enfants qu'ont la méchanceté. Croyez pas ces vieilles salades. Les laissez pas vous charger avec tous ces meurtres.

- LORETTA GREENLEAF ! [Appel du gardien.]

- C'est dur d'être une maman. Personne n'a jamais fait voter de loi disant qu'il faut être parfaite avant de tomber enceinte. Je suis sûre que vous avez fait de votre mieux. Vous êtes dans ce trou à rats par un beau samedi-après-midi ? Vous essayez encore. ...
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Quand j’ai cessé de tripoter mon manteau, il a dit : « Tu trompes peut-être les voisins, et les gardiens, et Jésus, et ta gâteuse de mère avec tes gentilles visites, mais moi tu ne me roules pas. Si tu veux une médaille, tu peux te la mettre où je pense. Mais ne reviens pas promener ton cul dans le coin pour me faire plaisir. » Et d’ajouter : « Parce que je te déteste. »
J’avais certes une idée de ce que j’étais censée répondre : Allons, tu sais bien que tu ne le penses pas, alors que je savais qu’il le pensait. Ou encore : Eh bien moi, je t’aime, jeune homme, que cela te plaise ou pas. Mais j’avais le vague sentiment qu’avoir suivi ces chemins balisés avait précisément contribué à me faire atterrir dans une pièce surchauffée à la déco criarde et aux odeurs de W.-C. de bus, par un après-midi de décembre autrement agréable et inhabituellement clément. J’ai donc lâché sur le même ton neutre de l’information :
2 décembre 2000

Cher Franklin,



Je me suis installée dans un petit café de Chatham, raison pour laquelle cette lettre est manuscrite ; et puis, tu as toujours été capable de déchiffrer mes pattes de mouche sur les cartes postales, puisque je t’ai amplement fourni les occasions de t’entraîner. Le couple assis à la table d’à côté est embringué dans une polémique sans fin à propos du traitement des votes par procuration dans le comté de Seminole – le genre de détail qui semble mobiliser le pays entier ces derniers temps, dans la mesure où, autour de moi, tout le monde s’est apparemment transformé en champion de la procédure. Reste que je me réchauffe à leur chaleur comme auprès d’un poêle. Ma propre apathie glace les os.

Le Bagel Café est un établissement accueillant et je ne pense pas que la serveuse s’offusquera de me voir cajoler une tasse de café à côté de mon bloc-notes. Chatham aussi est confortable, authentique – avec cette touche d’étrangeté de l’Amérique profonde que des villes plus huppées comme Stockbridge et Lenox s’efforcent à grands frais d’affecter. La gare voit encore s’arrêter des trains. Le principal centre commercial étale l’habituelle succession de librairies d’occasion (remplies de ces romans de Loren Estleman que tu dévorais) ; de pâtisseries vendant des muffins au blé complet brûlés sur les bords ; de friperies tenues par des œuvres de charité ; un cinéma affichant l’appellation « Theatre » avec l’idée étriquée que la dénomination à l’anglaise est plus sophistiquée ; un vins et spiritueux, ayant en rayon outre les magnums de Taylor pour les autochtones quelques zinfandels de Californie à des prix étonnamment élevés pour ceux qui ne sont pas d’ici. Les habitants de Manhattan qui ont là une résidence secondaire maintiennent en vie cette bourgade en perdition, à présent que la plupart des industries locales ont fermé – des estivants donc, sans oublier le nouvel établissement pénitentiaire en dehors de la ville.

Je pensais à toi en chemin, au cas où cela n’irait pas sans dire. Dans une sorte de contrepoint, j’essayais d’imaginer avec quel genre d’homme je me voyais finir ma vie avant notre rencontre. Le résultat était incontestablement un mélange des petits amis rencontrés sur la route, au sujet desquels tu me taquinais tout le temps. Certains de mes coups de cœur étaient gentils, encore que chaque fois qu’une femme parle d’un homme en disant qu’il est gentil, la libido en prenne un coup.

Si cet assortiment de compagnons éphémères (pardon – ces « losers »), à Arles ou à Tel-Aviv, est un élément à prendre en compte, j’étais destinée à me caser avec un cérébral maigre dont le métabolisme bondissant brûle les frichtis de pois chiches à une vitesse féroce. Coudes pointus, pomme d’Adam saillante, poignets fins. Végétarien pur et dur. Type angoissé, qui lit Nietzsche et porte des lunettes, étranger à son époque et grand contempteur de l’automobile. Marcheur et cyclotouriste insatiable. Profession marginale – genre potier, adorant les bois nobles et les jardins d’herbes diverses, dont les aspirations à une vie sans prétention faite de labeur physique et de couchers de soleil contemplés à loisir depuis une terrasse abritée sont quelque peu démenties par la rage froide et contenue avec laquelle il jette dans un vieux bidon d’huile les poteries décevantes. Un faible pour la fumette ; les épisodes de rumination. Un sens de l’humour un peu douteux, mais implacable ; petit rire distant et sec. Massages du dos. Recyclage. Cithare et léger flirt avec le bouddhisme, Dieu merci à conjuguer au passé. Vitamines et parties de cribbage, filtres à eau et cinéma français. Pacifiste possédant trois guitares mais pas de télé, peu porté sur les sports d’équipe après une enfance malmenée par les costauds de la classe. Une pointe de vulnérabilité dans le recul des cheveux sur les tempes ; et les volutes brunes d’une queue de cheval le long de la colonne vertébrale. Teint blême et verdâtre, presque maladif. Tendresse et chuchotements côté sexe. Étrange talisman en bois sculpté, pendu autour du cou, sur lequel il reste muet et qu’il refuse d’enlever même pour prendre un bain. Journaux intimes que je ne dois pas lire, agrémentés de coupures de presse en piètre état, illustrant que nous vivons dans un monde bien affreux. (« Sinistre découverte : la police trouve divers morceaux d’un corps humain, dont deux mains et deux jambes, dans six casiers de consigne de la gare centrale de Tokyo. Après inspection des deux mille cinq cents casiers à pièces, les forces de l’ordre ont mis la main sur une paire de fesses dans un sac-poubelle en plastique noir. ») Cynisme face à la politique officielle, doublé d’une infatigable distance ironique vis-à-vis de la culture populaire. Et surtout quoi ? Anglais courant, mais doté d’un charmant accent, bref, un étranger.

Nous habiterions à la campagne – au Portugal ou dans un petit village d’Amérique centrale –, avec une ferme au bout de la route qui vendrait du lait cru, du beurre fraîchement baratté, et de grosses citrouilles charnues pleines de pépins. Notre petite maison en pierre serait couverte de plantes grimpantes, avec des géraniums écarlates aux fenêtres, et nous ferions de compacts brownies à la carotte et au seigle pour nos rustiques voisins. Doté d’une éducation supérieure, mon compagnon imaginaire n’en gratterait pas moins le terreau de notre idylle pour trouver les graines de sa propre insatisfaction. Et, entouré de luxuriance naturelle, sombrer dans un ascétisme dédaigneux.

Tu glousses enfin ? Parce que c’est toi qui es arrivé. Un grand carnassier à la solide carrure, le cheveu effrontément blond et une peau rose qui vire au rouge à la plage. Dévoreur de vie. Rire franc et massif ; roi du calembour. Hot dogs – même pas aux bratwurst de la 86e Rue Est, mais avec ces boyaux de cochon graisseux et granuleux d’un rose immonde. Base-ball. Casquette siglée. Jeux de mots et blockbusters, eau du robinet et packs de six canettes. Consommateur confiant et téméraire qui ne lit les étiquettes que pour vérifier qu’il y a beaucoup d’additifs. Fan des autoroutes vouant une passion à son pick-up et convaincu que les vélos, c’est pour les pauvres mecs. Aime la baise et les gros mots ; un goût secret mais assumé pour le porno. Suspense, thrillers et science-fiction ; abonné à National Geographic. Barbecue pour fêter le 4 Juillet, et projet, la maturité venue, de se mettre au golf. Adore manger les saloperies en tout genre : Curkies. Doritos. Ruffles. Cheesies. Tortillas – tu ris, mais je n’en mange pas – tout ce qui ressemble moins à de la nourriture qu’à du matériau d’emballage et se trouve à six étapes au moins de la ferme. Bruce Springsteen, les premiers albums, à pleins tubes avec les vitres baissées et les cheveux au vent. Chante en même temps, faux – comment ai-je pu craquer à ce point pour un type qui chante comme une casserole ? Les Beach Boys. Elvis – tu n’as jamais perdu tes racines, n’est-ce pas, et vive le bon vieux rock & roll. Effets de manche. N’excluant pas le vide sidéral ; je me souviens, tu t’es toqué de Pearl Jam, au moment précis où Kevin passait à autre chose… (pardon). Il fallait simplement que ça fasse du bruit ; pas question de te faire écouter mon Elgar, mon Leo Kottke, malgré l’exception notable que tu faisais pour Aaron Copland. Tu as furtivement passé la main devant tes yeux, comme pour chasser des moucherons, en espérant que je n’avais pas remarqué que Quiet City t’avait fait pleurer. Et puis les plaisirs évidents, ordinaires ; le zoo du Bronx et les Jardins botaniques, le surf à Coney Island, le ferry de Staten Island, l’Empire State Building. Tu étais le seul Américain que je connaisse à avoir déjà pris le ferry pour aller voir la statue de la Liberté. Tu m’y as traînée une fois, et sur le bateau nous étions les seuls touristes à parler anglais. Peinture figurative – Edward Hopper. Et bon sang, Franklin, républicain. Qui ne jure que par une défense forte, mais hormis cela peu d’intervention du gouvernement, et des impôts bas. Physiquement aussi, tu as été une sacrée surprise – la défense forte à toi tout seul. Il t’est arrivé de penser que je te trouvais trop gros, j’en faisais tant sur ta taille, alors que tu accusais un très commun soixante-quinze – soixante-dix-sept kilos, combattant en permanence les deux kilos de cochonneries au cheddar qui se fixaient au niveau de ta ceinture. Mais pour moi tu étais énorme. Trapu, massif, large, dense, rien à voir avec le truc délié de mes fantasmes. Bâti comme un chêne, contre lequel je pouvais appuyer mon oreiller pour lire ; le matin, je pouvais me lover au creux de tes branches. C’est une sacrée chance d’échapper à ce qu’on croit vouloir ! Je me serais vite lassée de toute cette fichue poterie, des régimes à la noix, et j’abomine le nasillement de la cithare.

Mais la surprise des surprises, c’est que j’aie épousé un Américain. Pas un Américain tout court, un homme se trouvant être de nationalité américaine. Non, tu étais américain par choix autant que de naissance. En fait, tu étais un patriote. Je n’en avais ja
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Elle a néanmoins également suggéré que, le désintérêt de Kevin pour mon sein ayant persisté, je souffrais peut-être d'un sentiment de rejet. Là, j'ai changé de couleur. Que je puisse prendre à coeur les prédilections opaques de cette minuscule créature à moitié formée me gênait beaucoup.
Elle avait évidemment raison. Au début, j'ai pensé que je faisais quelque chose de travers, que je ne guidais pas sa bouche. Mais non ; je plaçais le tétin entre ses lèvres, où donc aurait-il pu aller autrement ? Il avait tiré une ou deux fois, avant de se détourner aussitôt, le lait bleuté coulant sur son menton. Il s'étranglait, et, c'est peut-être le fruit de mon imagination, mais il essayait de se faire vomir.
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Après trois ans d'absence, près de 80 000 visiteurs, un record ! Revivez les moments clés de cette 52e édition de la Foire du livre de Bruxelles à Tour&Taxis
On se retrouve l'année prochaine, du 04 au 07 avril 2024 à Tour&Taxis !
Un immense merci à tous·tes les participant·es !
Merci à nos invités d'honneur Lionel Shriver et Pierre Bordage pour ces beaux moments et merci à Gabrielle Rosner-Bloch - Élue à la Culture déléguée au Patrimoine de la Région Grand Est, François Decoster - Vice-Président à la Culture, au patrimoine, aux langues régionales et aux relations Internationales de la Région Hauts-de-France, Pierre-Yves Jeholet - Ministre-Président de la Fédération Wallonie-Bruxelles pour leur soutien et leur prise de parole lors de notre cérémonie d'inauguration, Gregory Laurent - Commissaire général de la Foire du livre de Bruxelles
©Julien Kartheuser - Réalisation
Avec le soutien de la RTBF, La Libre Belgique, La Loterie Nationale, GSP2, La Fédération Wallonie-Bruxelles, la Région de Bruxelles-Capitale, la Ville de Bruxelles, Wallonie-Bruxelles International et la Commission Européenne.
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