Voilà un livre féroce, caustique, et qui dépeint la société américaine dans l'une de ses caractéristiques sociales majeures – la course à la performance - : très réussi.
Serenata est une femme d'une soixantaine d'année chez qui tout irait bien – un mari attentif, un job de doubleuse en voix pour des jeux vidéo qui fonctionne bien, et des enfants problématiques mais loin du foyer – si une petite contrariété ne la perturbait pas : habituée à courir régulièrement tous les jours, avec un beau corps d'athlète « pour son âge », elle souffre d'un problème de genoux qui va l'obliger à renoncer à son sport quotidien, en attendant l'opération inévitable.
Son mari, Remington, n'en mène pas large. Employé au départ par l'Agence des transports d'Albany où il était très apprécié, voilà qu'une nouvelle supérieure hiérarchique lui est attribué : jeune, sans diplôme et totalement incompétente selon lui, mais voilà c'est une « femme de couleur » qui fait partie des minorités jusqu'ici reléguées, et qu'aujourd'hui plus personne ne souhaite attaquer...
Résultat : lorsque Remington hausse le ton dans un entretien avec elle parce qu'elle n'a pas lu l'analyse complète et sérieuse qu'il a faite sur une question d'éclairage, et qu'il se met même à taper du poing sur la table de colère, il se retrouve … licencié pour comportement agressif.
Il va reprendre alors le flambeau délaissé bien malgré elle par son épouse, et se mettre aussi à courir. Mais autant Serenata faisait discrètement son jogging quotidien, autant Remington tient à faire savoir à tout le monde qu'il va courir un Marathon. Branle-bas de combat qui agace sa femme au plus haut point – au départ à mots couverts mais ensuite de façon de plus en plus appuyée. Mais elle se console en se disant qu'une fois le Marathon opéré, il rentrera bien gentiment à la maison s'adonner à une autre passion.
Mais rien ne va se passer comme elle l'imagine.
Pendant le Marathon Remington se fait accompagner par une jeune sportive trentenaire prénommée Bambi – ça ne s'improvise pas – qui dans la vie est « coach sportif ». Voilà donc notre Remington embarqué dans une nouvelle aventure : après le Marathon, le Triathlon !!!
Mais il a un corps de soixante-quatre ans, et les entrainements de plus en plus douloureux qu'il s'impose sous la houlette de Bambi vont être de plus en plus problématiques …
Lionel Shriver décrit à la perfection la course à la performance à laquelle s'adonnent de très nombreux américains – et leur impact sur la vie de couple et la vie sociale. L'autrice de «
Il faut qu'on parle de Kevin » est ultra lucide, féroce et caustique dans ses descriptions.
Mais ce qui est intéressant c'est que l'aventure malheureuse de Remington, manipulé par une coach sportive professionnelle de l'endoctrinement, est vu du point de vue de sa femme qui se lamente - sans rien pouvoir faire - de voir son homme être le jouet d'un fantasme de parfait sportif.
Cela va bien au-delà de la simple performance sportive, et l'épilogue, consacré à ces « baby-boomers » qui cherchent à tout prix à retarder l'âge du vieillissement m'a aussi fait penser à «
La chair », roman de
Rosa Montero lu il y a quelques semaines (même âge, même peur physique du vieillissement sur des corps féminins soixantenaires).
Il y aurait encore beaucoup à dire – sur les personnages secondaires par exemple, telle la fille qui se laisse endoctriner un temps par une église locale – mais je laisse aux Babeliotes le plaisir de la lecture.
Reste que
Lionel Shriver, que je ne connaissais pas mis à part le film qui a été tiré de son roman «
il faut qu'on parle de Kevin », est une grande portraitiste de la société américaine qu'elle décrit : je vous la recommande vivement.