Pour des millions de filles, le destin féminin commence comme ça, par le fait d'être désirée, c'est être violée, confrontée à un désir absolument étranger à soi et dont pourtant il faudra subir la conséquence.
Dans cet acte, plus encore, le désir de la fille, ne pas être violée, n'a pas le début d'un commencement de place. Son corps devient un territoire ou d'où son propre désir est exclu par la force. C'est ça le viol, ça le rend sidérant.
…/...
C'est une peur qui reste, colore le rapport à venir aux hommes, leur désir et le sien propre.
Des millions de mineures de tous les pays le subissent chaque année.
Une véritable pandémie. Le non-dit à cet égard est pourtant constant quand on commence à chercher les chiffres, constater leur absence.
Pourquoi ne sait-on pas combien de mineures sont violées chaque jour en France, aux États-Unis, au Brésil, en Russie, en Espagne, au Maroc, en Égypte ? Combien ? A quel âge ? Par qui ? Avec quelles suites ? Quels procès ? Quelle absence de procès ? Quelles maladies ? Quelles tentatives de suicide, quelles dépressions ?
Pourquoi ce travail n'est-il pas fait ? Considère-t-on qu'il n'est pas nécessaire ? Pourquoi ne produit-on pas ce savoir ? Pourquoi laisse-t-on cette question dans le flou, l'imprécision ?
Je crois que si 200 garçons étaient été victimes de viol ou tentative de viol chaque jour en France, quelque chose aurait lieu, serait pris en compte, des députés exigeraient des études, des lois, des actes.
Doit-on penser que, les filles mineures, on s'y attend en quelque sorte …
L'acte et une constante, un invariant, quels que soient le continent, la société.
Au Royaume-Uni par exemple, en 2016-2017, 45 % des poursuites pour viol concernent des enfants : environ 10 par jour, 100 si on élargit aux infractions sexuelles, mais les statisticiens pensent que le chiffre réel et environ 6 fois plus élevé, puisque une infime minorité est déclarée.
En France, en 2016, moins de 4 % font l'objet d'une plainte selon l'ONDRP, l'Observatoire National de la Délinquance et des Réponses Pénales. Or, en 2017, 8788 plaintes ou signalements pour viol sur mineur ont été enregistrés mais, là aussi, les spécialistes pensent qu'il faudrait les multiplier par dix pour atteindre le chiffre réel des atteintes.
Soit 87880, soit 240 par jour. Environ 80 viols par jour de mineures au Royaume-Uni ou en France, inceste compris, pourrait être une statistique à peu près correcte : 80 viols de mineures aujourd'hui, 80 demain, 80 après-demain, 2400 dans le mois.
Encore, ne s'agit-il que des viols avérés.
Si l'on ajoute les tentatives de viols, la statistique explose, atteint le sommet vertigineux de 200 à 400 par jour. Pas de quoi lancer de vraies enquêtes, en effet.
Au Pérou, premier pays d'Amérique latine et troisième au monde en nombre de violences sexuelles, 71 % des viols concernent des mineures, 48 % des agressions ne sont pas signalées en raison de la peur, de la honte (!) ou du sentiment de culpabilité.
Tous les pays du monde connaissent peu ou prou cette situation. Seule une étude mondiale de cette pandémie montrerait l'étendue réelle du problème.
Sans crainte de se tromper toutefois, entre 1 fille sur 3 et 1 sur 10 est confrontée avant son âge adulte à eu un rapport sexuel forcé, une première expérience sexuelle forcée, une grossesse issue d'un viol.
Sans crainte de se tromper, l'immense majorité de ces crimes ne sont jamais dénoncés. La violence subie ne sera pas reconnue comme telle. L'agresseur ne sera pas reconnu comme tel.
Rien de tel pour perpétuer un système de prédation.
Je propose qu'on dise maintenant : entre 1 garçon sur 3 et 1 sur 10 et violé avant 18 ans. Pour voir.
J'ajoute. Jusqu'à 50 % des agressions sexuelles dans le monde sont commises contre des filles de moins de 16 ans. Je l'ai déjà écrit mais je le répète. Ce chiffre personnellement m'ahurit chaque fois que je le lis.
Selon l'Unicef, en 2017, 9 millions de filles de 15 à 19 ans ont été forcées à des rapports sexuels au cours de l'année. Plus généralement, en 2002, on estime que 150 millions de filles de moins de 18 ans ont subi une forme de violence sexuelle ! La première expérience sexuelle est forcée pour près de 45 % des filles de moins de 15 ans. Quand une fille de moins de 15 ans a une expérience sexuelle, c'est que cette dernière est forcée dans 1 cas sur 2. C'est-à-dire le premier acte. La première fois. L'initiation sexuelle comme expérience forcée. Une forme de marquage. L'absolu contraire de la liberté de désir.
La minoration des statistiques, l'absence d'études dignes de ce nom, empêchent de prendre la mesure. « Les mineur.e.s, grand.e.s oublié.e.s des statistiques » estime le dernier avis de la CNCDH (Commission nationale consultative des droits de l'homme) en France et, plus loin, « les chiffres ne prennent jamais en compte les violences sexuelles dont sont victimes les mineur.e.s. Il s'agit pourtant de la frange de la population la plus touchée par ces violences ».
Prendre en considération le nombre réel de viols sur mineures serait pourtant une façon, pour elles, de savoir que cette violence à leur endroit est entendue. Et non pas, une fois encore, le récit minorant, sous-entendre que la jupe pouvait être trop courte, le sourire trop blanc, le refus pas assez caractérisé, les cris trop rentrés, que peut-être elles consentaient, que peut-être elles ne courraient pas assez vite, que possiblement elles y étaient pour quelque chose, ne serait-ce que d'avoir déclenché ce désir.
L'histoire est toujours la même. Aux hommes, le désir. Aux filles d'exprimer leur refus.
Qu'il s'agisse de leur père, de leur voisin, de leur professeur de tennis, de leur professeur de mathématiques, leur chauffeur de bus, leur épicier, leur cousin, le chef de bande de la cité, le trafiquant de drogue de la rue adjacente.
Le résultat et qu'elles se taisent. Qu'elles le taisent.
+ Lire la suite