Le complexe de Di

“Allongez-vous sur le divan et racontez-moi votre histoire” Ambiance feutrée. Cadre un peu vieillot. L'ampoule au plafond vacille maladroitement. Et ce divan si moelleux, je m'y enfonce… le Complexe de Di, c'est ça. Un cabinet un peu hors du commun, où tout ce qui se dit va prendre du sens. On est là, on assiste à cette histoire, à ces paroles, sans pouvoir arrêter quoique ce soit. Et de toute façon, pourquoi l'arrêter ? On s'y embarque, on flotte, on rêve, on a l'impression de découvrir la puissance et la saveur du réel et de l'imagination, la puissance des mots. Je n'aurais jamais pensé, un jour, pouvoir rêver éveillé. C'est désormais chose faite.

Ce mirage poétique est avant tout un voyage, un voyage initiatique où le jeune psychanalyste Muo va se confronter physiquement et mentalement à l'âpreté des sentiments. le livre s'ouvre sur un épisode de train. Train symbolique. Tout le monde s'embarque pour une découverte de l'arrière-pays chinois, où la silhouette sombre du Juge di veille à obscurcir la moindre lueur. Muo devra pourtant rencontrer ce personnage. Car lui seul peut délivrer Volcan de la Vieille Lune, l'épouse de Muo, alors prisonnière. Cette femme, dont le parfum se mélange désormais à celui du métal, de la vieille pierre, de la sueur, attend patiemment qu'on la délivre. Elle sait qu'il viendra, à la manière d'un prince charmant. Elle entend déjà les bruits des sabots du cheval résonner dans sa cellule. du moins, c'est ce que Muo imagine, et il est bien décidé à transformer ce fantasme en réalité. Mais c'est sans compter ce qu'il aura à traverser, ce voyage dont il sortira changé. le Juge Di, être pervers et cruel lui fera une requête un peu particulière en échange de la liberté : une fille vierge. Et voilà notre psychanalyste parti sur les routes boueuses, sinueuses, dangereuses d'une Chine qu'il ne reconnaît qu'à moitié. Son vétuste bureau sous les bras, il va tenter d'interpréter les rêves, ici et là-bas, et tenter de trouver la fille. Mais il y aura des rencontres dont il ne pourra prévoir l'issue. Tous les personnages gravitent autour de lui, l'entraînant lentement dans un tourbillon d'émotions, de sens, de gestes qui le mènera vers un tout autre avenir. L'Embaumeuse, Mme Thatcher, les Lolos, l'Observateur d'excréments de panda, autant d'individus que d'aventures, que d'expériences dont Muo goûtera toute la saveur…

Dai Sijie nous réinterprète la vie. Il nous emmène avec Muo, il nous fait monter sur ce train, pour un aller direct vers le rêve, sans retour. Tout dans ce roman est poésie. du titre de chaque chapitre au dernier silence en fin de phrase, les mots rayonnent, solaires, s'illuminent dans toute leur simplicité. Une prose qui fait réfléchir, qui fait penser, se demander si, finalement, tout ce qui nous entoure ne serait pas qu'une illusion, qu'un mensonge, qu'un mirage. Dans ce roman, on s'y plonge, on s'y noie, les mots remplissent nos poumons jusqu'à ce qu'ils saturent , jusqu'à ce que le dernier point de la dernière page nous reste en travers de la gorge et que la réalité nous réveille, nous rappelle. “Vide le verre, envolé le papillon, fini le mirage, déchiré le brouillard…” Mais ces mots, ces phrases circulent encore dans nos veines. On retrouve désormais la saveur du temps, la saveur des choses. L'écriture magistrale et délicieuse nous y invite. Car, après tout, “la vie est une affaire de goût” …
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Je l'ai lu il y a longtemps, mais je m'en souviens bien. C'est une histoire très originale, qui m'a fait beaucoup rire. Dai Sijie est un de mes auteurs préférés.

Sigmund Freud à Pékin ?
Ne nous cachons, pas ce roman est un roman sur les folies humaines, celles tout à fait fréquentables que nous portons tous plus ou moins, et décryptées par Sigmund Freud. Ici le héros nous renvoie à nos propres contradictions et petites folies par le truchement d'un très sympathique ressortissant chinois, curieusement nommé Muo (hybride entre Mao et mue - comme celle de la chrysalide devenue papillon ??) venu étudier la psychanalyse en France, et qui rentre en son pays pour délivrer sa bien aimée détenue en prison par le retords juge Di. Où tout se complique c'est que le héros est toujours puceau, que le juge exige une vierge, que la bien aimée (Volcan de la Vieille Lune) a des moeurs sexuelles originales. A ceci, il faut ajouter les inénarrables pérégrinations de Muo, et l'on obtient au final un roman plein d'humour, de jubilation débridée à exposer les turpitudes de la Chine communiste, et celles non moins joyeuses des ressortissants chinois évoluant dans cet univers complexe à souhait.
Les plus : une farce presque rabelaisienne sur la Chine contemporaine et sur la psychanalyse. L'abord comique des questions de sexe qui y sont liée. Les personnages tous aussi allumés qu'attachants. de vrais éclats de rire à la lecture.
En moins : Les lecteurs De Balzac et la petite chinoise seront désorientés par ce roman qui ne ressemble pas à son illustre prédécesseur.