La route : le thème peut surprendre pour une anthologie consacrée aux littératures de l'imaginaire. Il suffit pourtant de contempler la couverture gris d'asphalte réalisée par PFR, ces éclats de route brisée par les silhouettes troubles d'un chat noir ou d'un être saisi en pleine course, pour comprendre ce qu'elle incarne, le passage vers Ailleurs, la promesse de l'inconnu, l'excitation et le danger du voyage. Et c'est avec un frisson de plaisir anticipé que l'on se met en marche, sous la double conduite de
Greg Silhol et de
Jess Kaan.
Léa Silhol, « Vado Mori » : L'anthologie démarre à grande vitesse avec ce texte superbe, violent, conduit de bout en bout par un sentiment d'urgence. Sur les routes d'une Amérique en guerre contre l'altérité, l'histoire d'une fuite en avant qui est surtout une course vers le gouffre.
Thomas le Rimeur, « Les Trois Routes » : Impossible de parler de routes vers l'Ailleurs sans évoquer celle qui mène à Féerie, telle qu'elle est présentée dans cet extrait bien connu de la belle balade racontant l'enlèvement de Thomas par la Reine des Fées. Un passage que je relis avec un plaisir toujours neuf.
Jean-Michel Calvez, « TransSelvaExpress » : Quel poids peuvent avoir une poignée d'indiens, quand les caprices d'un riche industriel exigent que leur village soit rasé pour faire place à une route ? le regard moqueur que porte
Jean-Michel Calvez sur un monde corrompu ne suffit à occulter les menaces qui planent sur les protagonistes de cette triste affaire…
M. Christian, « Wanderlust » : Une nouvelle prenante sur les liens très particuliers qui attachent un représentant de commerce à la route.
Antoine Lencou, « Gênez pas la circulation » : Même sur les autoroutes de l'espace, des mécontents peuvent s'acharner à perturber la circulation ; et c'est au personnel d'exploitation du réseau qu'il revient de se débrouiller pour mener d'insolites négociations…J'ai moins accroché à cette nouvelle qui vaut surtout pour son portrait tendrement amusé des agents d'entretien des routes.
Sire Cédric, « Cross-Road » : Les adultes ont peut-être oublié, mais les enfants savent bien, eux, que la route bouge, et qu'à la lueur de la lune rouge, elle peut vous mener en d'étranges endroits. Magnifique et touchante nouvelle sur le regard de l'enfance, l'une des plus belles que j'aie pu lire sous la plume de
Sire Cédric.
Jérôme Noirez, « Notre Patrie se Nomme Asphalte » : Quand l'autoroute devient pour les hommes un territoire hostile, un monde dont il faut se garder… Noirez livre ici un texte emblématique de son talent, un récit de cauchemar puissant et foisonnant, où l'épouvante s'en vient des routes pour engloutir les horreurs qu'ont façonnées les mains humaines.
Esther M. Friesner, « Tous les Voeux » : L'émouvant portrait de deux sans-abri, un gamin et son vieux protecteur sammy en marche sous la pluie pour tenir un ancien voeu. Un récit tendre et grave, superbe.
Encore une belle résussite que ces textes où défilent les différents visages de la route, lieu de terreur ou de refuge. Qu'ils se déroulent à toute vitesse, poussés par le besoin de fuir l'horreur ou l'appel d'un autre monde, ou bien qu'ils fassent savourer au lecteur le plaisir du chemin et des intéressantes rencontres qui s'y font, ils explorent avec bonheur quelques pans de ce ruban d'asphalte ou de terre qui ne cesse d'appeler même les plus sédentaires d'entre nous.
Pour prolonger le plaisir,
Jess Kaan nous livre avec « Ce qui s'attelle à nos pas » un passionnant panorama des êtres que la légende associe à la route, avant de suggérer au lecteur aventureux d'autres voies à parcourir par le biais de la traditionnelle et toujours judicieuse bibliographie.
[Impression de lecture jadis publiée sur le Coin des Lecteurs]