Les moments qu'elle vivait avec lui étaient un cadeau du ciel. Elle les garderait en elle et les chérirait aussi longtemps qu'elle vivrait. Mais elle n'était pas assez folle pour espérer davantage.
Il était une créature de l'ombre, de haine et de vengeance. Il le disait lui-même, et elle en avait eu la preuve. Toutefois, il éprouvait certains sentiments pour elle.
Il faudrait qu'elle se contente de ce qu'il lui offrait.
— Je t'achèterai une douzaine de chemises, chuchota-t-il, les lèvres contre son épaule. Non, deux douzaines. Trois. Des chemises. Des bijoux. Tu auras tout ce que tu désires.
— Je n'ai pas besoin de tout cela.
Je n'ai besoin que de toi. Tu es tout ce que je désire.
C'était un dur métier, de descendre dans la mine. Mais sans doute pas plus dur que de s'occuper des fermes battues par le vent, ou de braver l'Atlantique dans un petit bateau de pêcheurs.
Ce n'est que justice, le destin lui rend la monnaie de sa pièce.
Pardonnez-moi. Cette simple idée était une potion amère à avaler. Il était son ennemi, un homme cruel et froid, qui représentait tout ce qu'elle méprisait. Et pourtant, contre toute attente, elle se sentait capable de lui accorder son pardon pour tous les tourments qu'il lui avait fait endurer. Après seulement quelques heures passées en sa présence, elle s'en était entichée.
Le jour de la mort de sa mère, elle avait appris une partie de la vérité. Elle avait su que le monde n'était ni bon ni juste. Qu'il n'offrait aucune sécurité. Et, pendant des années, elle s'était persuadée que son père était sa seule protection. Elle avait entretenu un rêve, elle s'en rendait compte à présent. Et ce dernier tombait en poussière, une fois confronté à la dure réalité.
C'était une vision de conte de fées, un chevalier endurci par les batailles. Un homme mystérieux. Un héros qui faisait rêver les jeunes filles. Jane sentit sa gorge se serrer, et se rappela qu'elle n'avait pas le droit de s'abandonner à des idées aussi fantasques. Il n'y avait pas de place pour un prince dans son histoire. Même les hommes de Pentreath qui la connaissaient bien, qui écoutaient volontiers ses histoires, qui accordaient de la valeur à ses paroles, même eux, ne voyaient en elle que la fille infirme de l'aubergiste. Un homme qui avait une fortune et occupait un rang élevé dans la société ne ferait jamais attention à elle.
La vie était une constante tragédie.
Le désespoir était un bien piètre compagnon de route.
Aidan resserra l'étreinte de sa main, se mit à marcher d'un bon pas et l'entraîna avec lui. Puis il courut. Lentement au début, car elle trébuchait et avait du mal à trouver le rythme qui lui convenait. Puis plus vite. Sa main solide l'aidait à garder l'équilibre. Bientôt, elle ne fut plus à la traîne. Il gambadait à côté d'elle, lui offrant le gout exquis de la liberté.
La liberté.