Le monde, nous dit
Simenon dans «
la mauvaise étoile » est rempli de malchanceux, de ratés, de faibles, « de rêveurs, de lymphatiques ou de malades qui poursuivent une chimère en y croyant ou en n'y croyant plus »Ceux que nous croisons parfois, en nous demandant ce qui a pu leur faire rater une marche.
Dans l'introduction, il cite quelques cas, un jeune homme qui laisse le soin à sa femme de travailler, un vieux médecin pourtant médaillé qui a sombré dans l'alcool, le commerçant se fiant à sa bonne chance, depuis des années, sans rien faire pour la mériter, le mauvais peintre qui s'abime dans le pernod, l'ouvrier inventeur qui a inventé une fois, et dilue sa vie en attente …et même les clochards qui mangent à la soupe populaire.
Ces ratés européens, que
Simenon qualifie de bourgeois, parce que tous ont un recours, la femme, les parents, la soupe, et sont pratiquement assurés de ne pas mourir de faim, n'ont rien à voir avec ceux qui sont partis dans « les tropiques » aventuriers, du Congo ou des iles du Pacifique, d'Amérique du Sud à la Nouvelle-Guinée ou aux Salomon. Ceux-là ont avec courage tout quitté, sacrifié leur confort, pour une vie plus excitante et libre.
Certains ont réussi, ont fait fortune, sont devenus des héros.
Sauf que
Simenon, en trois ans passés sous les tropiques, n'en a jamais rencontré.
Dans «
la mauvaise étoile », il évoque donc les plus fréquents, les ratés de l'aventure. Ce ne sont pas des couillons, dit
Simenon, mais un simple verre de bière, une racine de riz noyée dans le puits, une calebasse de chicha, peuvent transformer les espoirs pleins de sève en un néant sous les tropiques.
Les tropiques, sa chaleur accablante, ses charmes enjôleurs, sa vie molle et insouciante, comme au ralenti. ses femmes mortifères.
Simenon ne parle pas de la colonisation, qui appartient à l'administration, mais de la vie quotidienne, de ces commerçants, de ces anciens universitaires pris au piège du chamico d'une Indienne, sorte de poison inodore inoculé jour après jour, de ces rêveurs ne pouvant accepter que le prix de l'okoumé, ou de l'acajou, sur lequel reposait leur commerce, baisse, continuant donc encore et encore à espérer la hausse.
Simenon ajoute: « on part en rêvant de soleil, de vie libre, de fantaisie, et on tombe sur un monsieur qui vous demande votre permis de séjour et votre déclaration de revenus. »
Pendant ce temps, les sorciers perpétuent leur oeuvre.
« L'Afrique Equatoriale est farcie d'histoires d'empoisonnement. Pour quelques sous, un vieux sorcier vous donne le moyen de tuer votre copain en huit jours, en huit heures ou en huit ans, à votre choix. Et ce ne sont pas des contes. »
En fait, ils se perdent dans la chicha comme au Havre d'autres se perdent dans le pastis.
Et, à part ces considérations d'un ancien monde, (1936)
Simenon a raison de marquer l'énorme fossé entre l'illusion de certains que l'on peut vivre de peu, sans se soucier des lois des hommes, et la réalité qui fait qu'on les taxe pour avoir un chien, un port d'armes et qu'ils doivent payer des impôts.
Finies les bananes et les tarots !
Ma lecture devient de plus en plus difficile à avaler, évoquant une indienne « camuse et malpropre », « une guenon », le meurtre par « Popaul »d'un Congolais « les plus laids, les plus bêtes, après ceux de la Nouvelle-Guinée. »
Je cite, parce que m'est venue la nausée le long des pages, et que ces mots m'étonnent de la part de
Simenon : « que ce soit dans des régions peuplées de nègres, d'Indiens ou de Canaques , je ne connais rien de plus écoeurant que de voir un Blanc, un homme de chez nous, réduit à un état plus misérable que le plus misérable des indigènes. Une solidarité de race se crée alors. On a honte pour l'Europe, et pour soi-même. »
Ces aventuriers ont risqué gros en partant, riches parfois seulement de leurs chimères et ils n'ont personne sur qui compter.
Personne ? Comme si il n'y avait personne là où ils ont décidé de vivre ? Allons, allons,
Simenon….