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Critique de Woland


Woland
25 septembre 2014
Hier, nous parlions d'atmosphère avec Elisabeth, au sujet du "Chien Jaune." Eh ! bien, cette atmosphère justement, elle m'a beaucoup plus frappée justement dans "La Nuit du Carrefour." C'est une ambiance qui vous prend à la gorge dès la vision de ces trois maisons - dont une pourvue d'un poste à essence - qui ont l'air de se suspecter l'une l'autre du pire au fameux carrefour dont parle le titre. le jour encore, cela va assez bien. Mais la nuit ... Tout est sombre, voire carrément noir, avec des brumes qui montent on ne sait d'où. Deux ou trois lumières, derrière leurs abat-jour, se battent en duel en fonction des heures de coucher des habitants. Jusqu'à ce qu'elles finissent toutes par s'éteindre sauf la loupiote de veille au poste d'essence. Et bien sûr, il faut imaginer la scène en hiver, quand la nuit tombe vite et ferme et quand l'aurore tarde à se montrer, lorsqu'elle ne paraît pas endeuillée dès le matin par une pluie fine et blasée.

Trois maisons. Trois "ménages." Enfin, peut-on parler de "ménage" au sujet du couple de Suédois, le frère et la soeur, qui s'est installé dans ce que l'on s'entête, dans le pays, à nommer "la Maison des Trois Veuves" ? Lui est grand, mince, d'excellentes manières, avec un oeil de verre qu'il dissimule sous un monocle noir. Elle a tout d'une longue plante, mi-vamp, mi-jeune fille de bonne famille, qui s'avoue extrêmement peureuse de tout et de tous et, entre deux bouffées de cigarette orientale, s'abandonne à des monologues éloquents et nostalgiques sur le "château" et le "parc" de son enfance, là-bas, aux confins de la Mer du Nord ... Sur le plan financier, ils doivent connaître certains problèmes et ne dissimulent d'ailleurs pas que le loyer peu élevé pratiqué par le propriétaire de la "Maison des Trois Veuves" est l'une des raisons - la première étant la solitude du coin - qui les a poussés à s'y établir. En fait, les trois veuves en question, qui appartenaient toutes à la même famille, ont été retrouvées un beau matin, raides mortes, deux d'entre elles ayant été plus que probablement empoisonnées par la troisième. Une histoire bien lugubre mais il n'y a pas de fantômes : c'est déjà ça.

Dans le pavillon d'en face, un agent d'assurances et sa femme. Lui est petit, lourdaud, un rien obtus et elle, la pauvre, malgré tous ses défauts, elle l'aime et est prête à tout pour lui. L'Amour a de ces bizarreries que la Raison ne pourra jamais expliquer. L'agent d'assurances est tout faraud parce qu'il vient tout juste de s'offrir la voiture dont il rêvait depuis au moins dix ans. On comprendra dont qu'il la trouve mauvaise lorsque sa nouvelle acquisition, par on ne sait quel étonnant tour de passe-passe, quitte son garage pour s'en aller passer la nuit dans celui du Danois. Et non seulement il fugue, cet étrange véhicule, mais en plus, il trouve le moyen de se laisser découvrir avec, à son volant, un courtier en diamants d'origine israélite, venu négocier dans la région et dont le casier judiciaire, il faut bien l'admettre, pourrait être plus net. Avec ça, du sang partout, sur les beaux coussins flambant neufs de la rutilante petite merveille automobile.

C'est d'ailleurs la découverte du corps dans la voiture de l'agent d'assurance ET de ladite voiture dans le garage du Danois qui provoque l'entrée en scène de Maigret, prêt à enquêter sur cet étrange ballet mécanique qui n'a pu, à coup sûr, se dérouler que dans la nuit. Et pourtant, personne - absolument personne - n'a rien vu, n'a rien entendu et ne s'explique rien du tout.

Le troisième larron, le jovial garagiste qui possède le dernier pavillon et le poste d'essence, se montre le plus affable et le plus bavard. Oh ! des choses, il en a, à dire. Combien de fois ne cherche-t-il pas à attirer le commissaire dans sa cuisine pour discuter de tout ça devant une bonne bouteille ? ... Nous ne saurions le préciser mais Maigret finit par céder. Après tout, sa méthode ne consiste-t-elle pas comprendre l'affaire qui se pose à lui avant tout de l'intérieur ? Et comme le garagiste connaît tout - à ce qu'il assure - sur ses voisins, qu'il méprise les uns autant que les autres ...

Tout va bien son chemin jusqu'au moment où la vérité entreprend d'ôter ses voiles. C'est là que la merveilleuse ambiance instaurée par Simenon se craquèle peu à peu, avec une héroïne qui se révèle en fait ni plus ni moins qu'une garce professionnelle. le jour hélas ! le jour terrible de l'Explication finale, s'est levé sur l'extraordinaire décor de ce carrefour où l'on s'épiait les uns les autres avec tant d'ardeur : et cela déçoit. Enfin, personnellement, j'ai été déçue. Un peu comme quand je fais un rêve qui me plaît et qu'un bruit extérieur vient en rompre l'harmonie. J'ai cru - peut-être à tort - percevoir, entre les deux parties de l'ouvrage, une rupture dans le ton qui nuit à l'ensemble.

Ce qui ne veut pas dire, bien au contraire, que l'intrigue ne passionne pas même si, à peu près au milieu du roman, le lecteur se met à entrevoir la solution de l'énigme. Donc, un nouveau Simenon à lire, si vous ne l'avez déjà fait. Et puis, cette fiche n'exprime qu'un avis personnel, rappelez-vous. N'hésitez donc pas à nous donner le vôtre.;o)
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