la folie ignore les catégories sociales
il est tellement jaloux que peu de gens peuvent se vanter de l’avoir vue !… C’est tout juste s’il la laisse sortir de la villa…
— Et pourtant il est l’amant de Françoise ! Il ne serait donc jaloux que de l’une et pas de l’autre ?
Dans tout délire, il y a un code, il suffit de déchiffrer...
— Le commissaire n’a pas le droit de t’interroger, maman ! Ne réponds plus…
C’était facile à dire ! Seulement elle savait, elle, qu’il est dangereux de se mettre la police à dos.
Rien n’empêche un médecin d’être fou, ni un fou d’être médecin. On dit même que les aliénistes sont presque tous leurs propres clients.
À croire que l’homme pleure. Il y a des moments où il cesse de respirer. Puis soudain il renifle. Il se retourne. Il se mouche.
[...] ... Au même moment, l'infirmière passait près du lit de Maigret, qui voulait attirer son attention pour la questionner à nouveau, saisit le bas de sa robe entre deux doigts.
Elle se retourna, poussa un cri terrible et s'enfuit.
Les choses ne s'arrangèrent qu'un peu avant midi. Le chirurgien était occupé à retirer le pansement de Maigret quand le commissaire de police arriva. Il portait un chapeau de paille tout neuf, une cravate bleu de roi.
- "Vous n'avez même pas eu la curiosité d'ouvrir mon portefeuille ?" lui dit Maigret gentiment.
- "Vous savez très bien que vous n'avez pas de portefeuille !
- Bon. Tout s'explique. Téléphonez à la P. J. On vous dira que je suis le commissaire divisionnaire Maigret. Si vous voulez aller plus vite en besogne, avertissez mon collègue Leduc, qui a une campagne à Villefranche ... Mais avant tout, veuillez me dire où je suis ! ..."
L'autre résista encore. Il eut des sourires pleins de finesse. Il donna même de petits coups de coude au chirurgien.
Et jusqu'à l'arrivée de Leduc, qui s'amena dans une vieille Ford, les gens se tinrent sur la réserve.
Il fallut enfin convenir que Maigret était bien Maigret et non le Fou de Bergerac ! ... [...]
[...] ... Alors, sans bruit, le commissaire retire ses chaussures, son veston, son gilet. Il s'étend, reprend bientôt son chapeau melon qu'il pose en travers sur sa tête car il y a un léger courant d'air qui vient on ne sait d'où.
Est-ce qu'il s'endort ? Il s'assoupit en tous cas. Peut-être une heure. Peut-être deux. Peut-être plus. Mais il garde une demi-conscience.
Et, dans cette demi-conscience, c'est une sensation de malaise qui domine. A cause de la chaleur, que contrarie le courant d'air ?
Plutôt à cause de l'homme d'en-haut, qui ne reste pas un instant tranquille !
Combien de fois se retourne-t-il par minutes ? Or, il est juste au-dessus de la tête de Maigret. Chaque mouvement déclenche des vacarmes.
Il respire d'une façon irrégulière, comme s'il avait la fièvre.
Au point que Maigret, excédé, se lève, passe dans le couloir où il fait les cent pas. Seulement, dans le couloir, il fait trop froid.
Et c'est de nouveau le compartiment, la somnolence qui décale les sensations et les idées.
On est séparé du reste du monde. L'atmosphère est une atmosphère de cauchemar.
Est-ce que l'homme, là-haut, ne vient pas de se soulever sur les coudes, de se pencher pour essayer d'apercevoir son compagnon ?
Par contre, Maigret n'a pas le courage de faire un mouvement. La demi-bouteille de bordeaux et les deux fines qu'il a bues au wagon-restaurant lui restent sur l'estomac.
La nuit est longue. Aux arrêts, on entend des voix confuses, des pas dans les couloirs, des portières qui claquent. On se demande si le train se remettra jamais en marche.
A croire que l'homme pleure. Il y a des moments où il arrête de respirer. Puis soudain il renifle, il se retourne, il se mouche. ... [...]
- Il y a un cinéma ?
- J'en ai aperçu un, dans une ruelle...On passe un film que j'ai vu à Paris il y a trois ans...
La nuit, maintenant, était toute bleue. Les maisons se découpaient en blanc nacré.