Citations sur Le charretier de la providence (23)
Moi, ma vie, c’est mon petit ménage, mes cuivres, mes quatre meubles… Je pense que si on me donnait un palais, j’y serais malheureuse…
Des faits le plus minutieusement reconstitués, il ne se dégageait rien, sinon que la découverte des deux charretiers de Dizy était pour ainsi dire impossible.
« Jean, lui, c’est son écurie… Et ses bêtes ! … Tenez !... Il y a naturellement des jours où on ne marche pas parce qu’on décharge… Jean n’a rien à faire… Il pourrait aller au bistro… Non ! Il se couche, à cette place-ci… Il s’arrange pour qu’il entre un rayon de soleil… » Et Maigret se mit en pensée à l’endroit où se trouvait le charretier, vit la cloison passée à la résine à sa droite, avec le fouet qui pendait à un clou tordu, la tasse d’étain suspendue à un autre, un pan de ciel entre les panneaux du haut et, à droite, la croupe musclée des chevaux. Il se dégageait de l’ensemble une chaleur animale, une vie multiple…
« Mon petit Jean... »
Tout comme si Jean eut été un enfant et non un vieillard au cœur de pierre, à la carcasse de gorille, qui avait dérouté les médecins.
De chaque côté de la porte il y avait une borne de pierre et le commissaire s'assit sur l'une d'elle, sans lâcher le béret, ni sa pipe éteinte.
Devant lui il n'y avait qu'un énorme tas de fumier, puis une haie trouée par endroits et, au delà, des champs où il ne poussait encore rien, la colline aux traînées noires et blanches sur laquelle semblait peser de tout son poids un nuage dont le centre était tout noir.
D'un bord jaillissait un rayon de soleil oblique, qui mettait des étincelles sur le fumier.
Maigret resta un moment sur le seuil de la morgue, tandis que le jeune homme, après avoir conféré avec l'anglais, se penchait vers le chauffeur.
Il était question de savoir quel était le meilleur restaurant de la ville. Des gens passaient, ainsi que des tramways éclairés et sonnaillants.
A quelques kilomètres s'étirait le canal et tout le long, près des écluses, des péniches qui dormaient s'en iraient à quatre heures du matin, dans une odeur de café chaud et d'écurie.
Du dehors, on ne voyait que la lumière de huit hublots ainsi que le fanal blanc accroché au mât. A moins de dix mètres se profilait l'arrière trapu d'une péniche et à gauche, sur la rive, un gros tas de charbon.
C'était peut-être une illusion. Mais Maigret avait l'impression que la pluie redoublait, que le ciel était plus noir et plus bas qu'il ne l'avait jamais vu.
Il marcha vers le "Café de la marine" où les voix se turent tout d'un coup à son arrivée. Tous les mariniers étaient là, en cercle autour du poêle de fonte. L'éclusier était accoudé au comptoir, près de la fille de la maison, une grande fille rousse en sabots.
Sur la toile cirée des tables trainaient des litres de vin, des verres sans pied, des flaques.
En arrivant à Dizy, il n’avait vu qu’un canal étroit, à trois kilomètres d’Epernay, et un village peu important près d’un pont de pierre.
Il lui avait fallu patauger dans la boue, le long du chemin de halage, jusqu’à l’écluse, qui était elle-même distante de deux kilomètres de Dizy.
Et là, il avait trouvé la maison de l’éclusier, en pierres grises, avec son écriteau : Bureau de déclaration.
Et il avait pénétré au Café de la Marine, qui était la seule autre construction de l’endroit.
A gauche, une salle de café pauvre, avec de la toile cirée sur les tables, des murs peints moitié en brun, moitié en jaune sale.
Mais il y régnait une odeur caractéristique qui suffisait à marquer la différence avec un café de campagne. Cela sentait le harnais, le goudron et l’épicerie, le pétrole et le gasoil.
Le bief, au-dessous de Vitry-le-François, était encombré. C'est à peine s'il paraissait possible de se faufiler à la gaffe entre les bateaux qui attendaient leur tour.
Et pourtant, les portes ouvertes, l'eau bouillonna autour de l'hélice. Le colonel, d'un geste indifférent embraya.
Et le Southern Cross prit d'un seul coup toute sa vitesse, frôla les lourds chalands, au milieu des cris, des protestations, mais n'en toucha pas un seul.
Deux minutes plus tard, il disparaissait au tournant et Maigret prononça à l'adresse de Lucas qui l'avait accompagné :
- Ils sont tous les deux ivres morts !
Des êtres charmants, dont le premier mouvement est toujours bon, voire théâtral... Ils sont tous pétris de bonnes intentions...
Seulement la vie, avec ses lâchetés, ses compromissions, ses besoins impériaux, est plus puissante...