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Critiques filtrées sur 5 étoiles  
ATTENTION : NOMBREUX SPOILERS !

En juillet 1931, sur son bateau "L'Ostrogoth", Georges Simenon entreprenait la rédaction de ce qui deviendra son premier "roman dur" : "Le Relais d'Alsace." Il se sentait l'âme non pas vide mais au contraire, toute débordante, et d'autres personnages, impérieux, demandaient à naître tout en refusant de s'intégrer à l'univers de Maigret. L'éditeur Fayard n'y croyait pas, il faut bien le signaler d'office - mais il avait tort. Les "romans durs" de Georges Simenon allaient connaître autant de succès que l'épopée ayant pour héros Jules Maigret et, sans battre le record d'adaptations cinématographiques et télévisuelles de cette dernière, entamer sur les écrans une carrière fort intéressante. Si vous avez vu "Les Fantômes du Chapelier" de Claude Chabrol, par exemple, vous savez ce dont je parle. Je vous citerai aussi "Le Chat" avec Gabin et Signoret, ou "L'Aîné des Ferchaux" de Melville mais il y en a bien d'autres, dont deux adaptations au moins des "Fiançailles de M. Hire", la première avec Michel Simon et la seconde avec Michel Blanc. Je m'arrête là : vous reconnaîtrez les vôtres. Wink

C'est la seconde fois, après "Les Fantômes du Chapelier", que je me lance dans les "romans durs" de l'auteur belge. Je les suspecte d'être encore plus noirs que certains "Maigret", lesquels ne sont pourtant pas mal dans leur genre. Et ce "Relais d'Alsace" confirme les soupçons qu'avaient pu m'inspirer "Les Fantômes du Chapelier" et la traque pluvieuse, terrifiée et masochiste qu'y mène, derrière le digne, terrifiant et sadique M. Labbé, le petit tailleur Kachoudas.

Tout s'ouvre cependant sur un paisible paysage de montagnes, à l'ancienne frontière franco-allemande avec l'Alsace, à La Schlucht très précisément, un petit hameau où vivent en bons termes, chacun ayant sa clientèle, trois hôtels-restaurants s'étageant du grand luxe (le "Grand-Hôtel") au relais pour randonneurs (le "Relais d'Alsace") en passant par le degré moyen et la clientèle petite-bourgeoise de l'"Hôtel des Cols." Attardons-nous un instant sur "Le Relais d'Alsace" puisque c'est tout de même cet établissement qui donne son titre au roman. Ses propriétaires sont les Keller : lui, Nic, malgré sa béquille, est un coureur fini, volontiers amateur de mineures ; elle, qui restera toujours pour le lecteur "Mme Keller", est une femme forte, intelligente, ayant la tête sur les épaules, qui supporte les écarts de son époux non parce qu'elle l'aime mais plus probablement parce que, ensemble, ils forment une équipe qui gagne. Ne vont-ils pas bientôt construire une annexe ? A leur service, tant pour la cuisine que pour l'entretien, deux jeunes servantes, deux soeurs : Gredel et Lena, mignonnes, couvertes de taches de son et pas très, très intelligentes bien que plutôt gentilles. Comme pensionnaires attitrés, l'ingénieur Herzfeld, quadragénaire qui en a encore pour quelque temps à travailler pour un chantier voisin, et aussi Serge Morrow, surnommé "M. Serge" parce qu'il est tout de même là depuis un certain temps et que, en dépit d'une distinction naturelle, il possède un physique et des manières bonhommes et aimables qui incitent à pareille familiarité.

Si tant est qu'on puisse vraiment se montrer familier envers M. Serge. Autant qu'il le veuille bien, seulement. On s'en rend compte, de temps à autre mais c'est assez rare. L'homme est simple, très instruit, polyglotte avec ça, s'entend avec tout le monde, paraît assez fortuné, fait de longues promenades dans le coin, s'est lié d'amitié - ou d'autre chose - avec Mme Meurice, la veuve du coin, qui s'entête à vivre dans un chalet dont elle ne pourra bientôt plus payer les loyers parce que sa fille souffre d'un "point humide" tuberculeux et que l'air des montagnes lui est instamment recommandé. M. Serge ne demande en fait rien à personne : il est, visiblement, partisan du "vivre et laisser vivre". Malheureusement, dans cette petite communauté, il est, à de rares exceptions près, le seul à penser ainsi. Les on-dit et la bien-pensance, le politiquement correct et la médiocrité ont établi leur tanière à La Schlucht avec autant de facilité et de naturel qu'ils l'eussent fait au sein de la plus décrépite société provinciale et l'originalité incontestable de M. Serge fait jaser. Que voulez-vous, il faut bien passer le temps ...

Depuis deux mois, M. Serge laisse traîner sa note. Mme Keller l'entreprend dès le premier chapitre sur cette épineuse question, ce qui ne semble guère le troubler. Il lui dit simplement que l'argent qu'il attendait par mandat n'est pas arrivé comme il le croyait et prend presque aussitôt le car pour Munster afin de régler la question. le lendemain-matin, à son retour, il règle d'ailleurs ses dettes et trouve le moyen de payer deux ou six mois d'avance - ma mémoire me lâche sur ce point, pardonnez-moi. Mais, à sa grande surprise, il constate que les traits figés de Mme Keller ne se défigent en rien, que Nic, son mari, est assez gêné, que les petites servantes n'osent plus le regarder en face et que, comble du comble, un policier veut lui parler. N'ayant, comme il l'affirme, rien à se reprocher, M. Serge invite le jeune inspecteur à sa table et apprend, non sans une certaine contrariété par ailleurs assez visible, que : 1) en son absence et dans la nuit, soixante-mille francs ont disparu au "Grand-Hôtel", dans la suite des van de Laer, tout juste arrivés de la veille et 2) qu'on l'aurait aperçu, lui, le matin même, dans le coin, du côté du chalet de Mme Meurice. Or, si le témoin est de bonne foi, on pourrait penser, n'est-ce pas, que M. Serge a seulement fait mine de s'absenter pour mieux voler les van de Laer ...

M. Serge hausse les épaules et déclare la chose absurde tout en refusant avec fermeté de livrer le nom du bijoutier auquel, à Munster, il a vendu la gourmette de platine qui lui a permis de trouver des fonds en urgence. Il refuse aussi de donner plus de renseignements sur lui-même. La police n'a qu'à faire son travail, puisqu'elle le soupçonne ! Et qu'elle l'arrête donc, si elle est si sûre de ce qu'elle avance ! ...

Mais les jours passent, Mme Keller a beau épier (la patronne du "Grand-Hôtel" aussi ) et le commissaire Labé (avec un seul "b" celui-là), au demeurant un homme plutôt sage et fort sympathique, se déplacer de Strasbourg, aucune arrestation n'a lieu. Labé suspecte bien M. Serge de ne faire qu'un avec un escroc de très haut vol, connu sous le nom du "Commodore" - il le lui annonce franco, dès leur première entrevue - mais il se trouve face à un problème de taille : ledit Commodore aurait eu le nez effleuré par une balle et il lui en serait resté une cicatrice. Infime, soit mais tout de même perceptible à un oeil exercé. Or, sur le nez de M. Serge, point de cicatrice. Ensuite, Labé reçoit un télégramme, bientôt suivi d'un deuxième, lui certifiant que le Commodore - et sa cicatrice - sont descendus dans un palace, à Venise. Alors ? Comment arrêter M. Serge et, plus simplement, comment savoir s'il est vraiment Serge Morrow ? Car il va de soi que tous ses papiers sont en règle.

Pour rajouter à l'ambiance, les soixante-mille francs, froissés et recouverts çà et là d'une substance graisseuse alors que, au moment de leur disparition, ils étaient tout neufs et crissants, sont retrouvés ... dans le tiroir d'une table, chez les van de Laer. Jusque là, le tiroir était passé inaperçu parce que la nappe le dissimulait . Côté sentimental, ça ne s'arrange pas non plus : Mme Meurice, qui prend désormais M. Serge pour un voleur et non plus pour un homme suffisamment riche pour qu'on songe à le voler, lui (saisissez-vous la nuance ? ), ne veut plus le voir et se résigne à épouser son propriétaire, le répugnant mais très fortuné brasseur Kampf.

A se stade et depuis longtemps d'ailleurs, le lecteur sent bien qu'il y a, dans tout cela, beaucoup de choses qui ne tournent pas rond. Et ça le passionne - vous n'auriez pas parié le contraire tout de même, avec Simenon devant le clavier de la machine à écrire ? Et, dès le début, il est "pour" M. Serge. Il se doute bien que celui-ci n'est pas tout à fait "clair" mais n'empêche : M. Serge, il l'aime bien. En toute franchise, le commissaire Labé lui-même ne paraît pas non plus le détester même s'il continue à le suspecter non du vol des soixante-mille francs, on le comprend assez vite, mais de ne pas être qui il paraît.

Le final est un mélange de triomphe et de cynisme et l'on n'est pas loin de penser à Balzac et à son Vautrin, dont le credo voulait que, pour réussir dans la vie, pour y être admiré et respecté, pour y devenir intouchable, il fallait se montrer malhonnête et sans états d'âme. C'est en cela que "Le Relais d'Alsace" éclate de noirceur. Une noirceur franche et qui ne s'embarrasse pas de délicatesse, une noirceur qui sourd tout d'abord des personnages secondaires, tous ces gens qui épient et souhaitent voir arrêter un homme qui ne leur a jamais fait le moindre mal, bien au contraire, puis qui s'élève un peu dans le niveau social avec la lâcheté de Mme Meurice et de sa fille et qui rejoint enfin les suprêmes et glaciales altitudes du cynisme cultivé comme un animal blessé atteindrait un refuge. M. Serge a cru qu'il pouvait revenir en arrière dans le temps, au moins durant quelques mois, M. Serge a même rêvé à un nouveau départ mais M. Serge réalise - et avec quelle brutalité - qu'il est prisonnier à jamais : non de M. Serge et certainement pas de la Justice, simplement de la médiocrité humaine.

Celle-ci est partout, telle est la fatale conclusion à laquelle nous mène, avec une douceur toute relative, un Simenon qui, dans cet épilogue, se sent aussi bien que dans l'un de ses "Maigret". Il ne nous le clame pas, bien sûr, il nous le chuchote avec ironie : Vautrin avait raison hier et aujourd'hui, il a toujours raison. C'est parce qu'elle règne en maîtresse dans notre monde, cette bassesse démesurée de l'être humain, que l'on doit s'élever au-dessus d'elle pour qu'elle ne nous corrompe pas. Etre un escroc de haut vol, qui ne s'attaque qu'aux riches, ça sent encore un peu son Robin des Bois. Mais n'être qu'un sournois, un envieux et un falot sans aucune envergure et doué d'une connerie aussi haineuse que monumentale, cela fait de l'être une simple bouse tout juste bonne à engraisser le fumier - à moins qu'elle ne le pourrisse intégralement et le rende inutilisable. ;o)

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L'auteur nous fait prendre un bol d'air frais dans le massif des Vosges, au pied du col de la Schlucht menant au sommet du Hohneck. Dans ce roman très court, l'intrigue se met progressivement en place dès les premières pages, imprimant un rythme lent, saccadé, presque monotone à la narration. Fidèle à ses pratiques de fin psychologue, Georges Simenon s'attachera à décrypter avec une précision d'orfèvre toutes les facettes de la personnalité des personnages de ce livre qui se lit très facilement, d'une seule traite.

J'ai particulièrement apprécié la manière très habile dont le romancier a façonné la tournure de son récit, soulignant le caractère fourbe du principal protagoniste de l'histoire : un escroc sans scrupule qui usera de tous les stratagèmes, des plus astucieux jusqu'aux plus farfelus, pour se défier de son entourage y compris de la police afin de parvenir à ses fins.
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- Relecture -

Un suspense très présent, un roman qui se lit rapidement et dont l'action se déroule dans un lieux très limité en Alsace.
L'univers habituel de Simenon : lent et feutré, sans violence mais d'une grande cruauté sinon d'un formidable cynisme. La noirceur de l'âme humaine et son désespoir en somme.

Un vol est commis au Grand-Hôtel. On soupçonne en particulier l'un des clients du Relais d'Alsace qui se retrouve au même moment avec un gros paquet d'argent. Il n'est pas le seul, chacun des personnages a quelque chose de louche à se reprocher.

C'est un roman dur moitié polar, moitié psychologique. C'est aussi le premier des romans « durs » de Simenon (1931).

Relire Simenon sera toujours pour moi un immense plaisir. Je recommande.
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Lire Simenon est toujours une réussite. Et celui ci fut une très belle découverte. On retrouve le rythme lent, la maitrise de l'imparfait, on se retrouve enveloppé par la routine des personnages, quand soudain tout s'accélère.
Par curiosité, j'ai regardé sur google maps et me suis rendue compte que les hôtels existent bel et bien...
Sans Maigret, et avec une fin inattendue, il restera comme un de mes préférés.
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Fredel et Gredel !


Au col de la Schlucht, dans les Vosges, entre Gérardmer et Munster, au Relais d'Alsace, en face du Grand-Hôtel, Mr. Serge, un quinquagénaire cultivé et distingué sème le trouble chez ces dames. Il est là depuis cinq mois, a du mal à payer sa facture, passe son temps à se promener dans les environs, va même se faire renvoyer du Relais quand brusquement, alors que le soir d'avant il n'en avait pas, il a de l'argent au matin, alors qu'un vol a été commis au Grand-Hôtel durant la nuit. L'inspecteur Mercier d'abord et le commissaire Labbé ensuite enquêtent. Et si Mr. Serge était le ‘Commodore' recherché par toutes les polices du monde ?


Premier roman de Georges Simenon paru sous son nom (il avait écrit des ‘romans de gare' pendant dix ans avant que de faire paraître à partir de 1931 sous son véritable nom ses premiers ‘Maigret') -en juillet 1931- qui ne soit pas un ‘Maigret' (mais cela ne change strictement rien à l'affaire), ‘Le Relais d'Alsace' bien que concentré dans un lieu unique où ne vivent que peu de personnes (en fait une constante chez Simenon), est empreint d'un fort mystère. Mr. Serge, bien que démuni sur le plan matériel, est tellement au-dessus de Mme et Mr. Keller, les rudes propriétaires du Relais d'Alsace, de Gredel et Lena, leurs deux jeunes naïves employées, de Fredel, le retors pompiste du Grand-Hôtel, et si proche de la mystérieuse Dame du chalet et de son éthérée fille, que tout le pays se pose des questions…


Comme toujours chez Simenon, les personnages priment sur l'intrigue et la densité de ceux-ci sur l'action : il a toujours su traquer les failles chez les êtres humains, quel qu'ils fussent et quelle que fut leur carapace ; et c'est ce qui rend ses nouvelles et romans aussi prenants aujourd'hui qu'hier : ils sont indémodables : ils parlent de l'être humain qui, même si le décor autour de lui -progrès oblige- change, ne change lui pas d'un poil, englué qu'il est dans sa propre histoire, son propre caractère, son âme pas toujours propre. Et si vous alliez passer un petit week-end dans les Vosges ?
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un policier sans crime. ou presque... juste une disparition à Venise... loin de la Schlucht où se passe le roman. quasi indolore :)
une description de la vie dans un lieu touristique mais pas du genre "planches de Deauville". le quotidien tristounet des tenanciers du Relais d'Alsace, entre nettoyage de salle et quelques habitués... ça ne semble pas plus joyeux du côté du pisteur de l'hôtel d'en face.
dans cette grisaille va se nouer une sorte de drame, chacun ou presque en aura sa part.
M Serge, l'homme qui intrigue tous ces gens "ordinaires", les servantes du relais, la jeune veuve distinguée comme le pisteur.
quel sentiment le policier gardera-t-il de cette affaire?

j'ai lu dans d'autres critiques que c'est un "roman dur".
connaissiez-vous cette appellation?
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Décidément, j'aime vraiment Simenon. En plus, je trouve qu'aucun de ses livres ne ressemble à un autre. On retrouve quand même ici une critique sociale propre à certains autres romans (y compris les Maigret). Je retire une demi-étoile, parce que j'ai trouvé le chapitre "Le coup de filet" un peu tordu pour rien, et la fin un peu hâtive, mais ça, c'est récurrent dans les récits policiers de cet auteur. N'empêche que je l'ai trouvée jubilatoire, avec une vengeance et une critique sociale bien caustiques.
Un très bon "roman dur" de Simenon.
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