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EAN : 9782253143048
192 pages
Le Livre de Poche (18/02/2004)
3.86/5   66 notes
Résumé :

" Comment ! vous avez du pain blanc ! " Les deux Persans entraient dans le salon, le consul et sa femme, et c'était celle-ci qui s'extasiait devant la table couverte de sandwiches joliment arrangés.
Or, il n'y avait pas une minute qu'on disait à Adil bey :
" - II n'existe que trois consulats à Batum : le vôtre, celui de Perse et le nôtre. Mais les Persans sont infréquentables."
C'était Mme Pendelli qui parlait ainsi, la femme du ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (16) Voir plus Ajouter une critique
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Les hasards de la lecture. Ce livre me ramene inopinement a Batum sur la mer Noire, que je viens de visiter dans La madone des sleepings. Et il surencherit dans la critique du regime sovietique de l'epoque. Ecrit en 1933, il decrit un regime oppressant, ou les gens ont peur de parler, et en plus incompetent, inapte a nourrir sa population. Mais la s'arretent les similitudes, Simenon nous servant (comme a son habitude) un recit aux teintes grises noires, excellant (comme a son habitude) a sonder la psychologie du principal personnage, qui passe de l'etonnement a l'incomprehension, au stress, a l'apprehension, a la peur pure et simple. C'est suffoquant, anxiogene.

Un nouveau consul de Turquie arrive a Batum. Il se sent isole, il n'arrive a rien faire, aucune de ses demarches n'aboutit, il se sent epie, surveille, il commence a croire que son predecesseur a ete empoisonne, il a peur de subir le meme sort. Il essaye de tirer les vers du nez a la secretaire qu'on lui a adjuge d'office, la force a partager son lit et finit par en tomber amoureux. En cette Georgie sovietique c'est un amour impossible, dangereux. Il prepare donc leur fuite. Mais pourra-t-il reussir quand chaque voisin, chaque passant, peut etre un policier, un agent de la Guepeou ou simplement un mouchard, quelqu'un qui devient informateur pour pouvoir vivre?

Par une demarche un peu lente, pas a pas, Simenon genere une atmosphere pesante, qui trouble et finit par angoisser le consul, l'atmosphere asphyxiante d'une ville ou chacun se garde de son prochain, ou chacun cache ses sentiments et ses pensees et repond a tout – meme a l'amour – par des automatismes appris et interiorises de force. le systeme social, policier, controle les gestes, les paroles et peut-etre meme les pensees. Il faut se taire ou reciter une lecon si on veut vivre, si on veut manger ne serait-ce qu'une ration de pain noir. Et Simenon de souligner en passant les consequences tangentes du systeme, le marche noir, et surtout la prostitution, endemique, pour un bout de savon ou une boite de sardines.

Le consul perd peu a peu tout repere. de plus en plus nevrose, ses nerfs lacheront-ils? En le suivant, moi je n'ai pu lacher ce livre, un livre ou tout est gris et tous les gris tendent vers le noir. Une grande reussite de Simenon, ou il campe et analyse une sorte de descente aux enfers, dans un environnement qu'il depeint carrement comme un enfer.
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1933. Simenon réussit l'exploit d'écrire sept romans dans l'année et de faire un tour d'Europe pour réaliser divers reportages. Il a ainsi voyagé deux mois dans la partie méridionale de l'URSS, le long des côtes de la mer Noire, partant d'Odessa et arrivant à Batoumi, un port de la Géorgie actuelle. Si l'Histoire a retenu le retentissant « Retour de l'U.R.S.S. » d'André Gide, publié en 1936, ce récit et le reportage tirés de ce séjour par Simenon font également une analyse implacable de la réalité soviétique.

Simenon introduit son reportage par cette phrase : « un beau jour, comme je m'approchais de l'est, j'ai rencontré la Faim ». Il est frappé par le dénuement des populations locales. Dans ce roman, il décrit les files d'attente devant les entrepôts pour récupérer un maigre paquet de biscuit ; la moitié de la file n'a pas encore été servie que l'approvisionnement s'arrêt, faute de stock. le dîner d'un commissaire de la Guépéou se compose de thé et de pain noir. Le comble, c'est qu'il est impossible de trouver du poisson dans ce port de pêche. Les passants dans la rue montrent des signes de malnutrition. A contrario, les étrangers en poste dans la ville vivent dans une forme d'opulence qui leur vaut en retour la haine du peuple.

Il dénonce aussi le malaise lié à la surveillance constante exercée par les autorités. Dans le roman, elle est symbolisée par la présence d'une secrétaire imposée par les autorités mais aussi par le vis-à-vis permanent avec le chef de la police politique. Il décrit également la propagande et les consciences écrasées par un discours officiel qu'elles s'imposent de croire. Personne n'ose parler librement et entrer en contact avec un étranger par peur des représailles. Simenon évoque les assassinats expéditifs de la Guépéou. Lorsqu'un homme est abattu en pleine rue par ce service, personne ne cherchera à s'interposer ou à à savoir. Même les proches de la victime ne tenteront aucune démarche officielle. Si aujourd'hui la nature du régime soviétique est connue, il faut saluer la force du témoignage de Georges Simenon publié dès 1933, à une époque de nombreux intellectuels sont militants ou « compagnons de route ».

Mais « Les Gens d'en face » ne se réduit pas à dénonciation de ce système totalitaire. C'est avant tout l'histoire d'un homme, Adil bey. Ce diplomate de la jeune République turque est envoyé en mission à Batoum pour y exercer la fonction de consul. Il va ressentir un véritable malaise dès les premiers jours de son arrivée: son appartement manque de confort, il ne parvient pas échanger avec les gens qui l'entourent, ses démarches auprès des représentants de l'administration soviétique n'aboutissent pas, il ne sent pas à sa place dans les réceptions de ses collègues diplomates. Il se sent étranger, mis à l'écart, et l'ambiance pesante et mystérieuse commence à l'étouffer. Il ne parvient pas à entrer en contact avec sa secrétaire, Sonia, qui partage ses journées de travail et bientôt ses nuits, et dont il a bien conscience que sa fonction première est de le surveiller. Mais surtout il y a les fenêtres de ses voisins, si proches qu'il peut saisir les moindres signes de vie quotidienne du couple qui l'habite. L'homme est commissaire au sein du Guépéou, il partage l'appartement avec sa femme et sa soeur, Sonia. Adil bey entre alors dans une crise existentielle, sous l'oeil omniscient des « gens d'en face », ses voisins qui symbolisent les autorités soviétiques.

J'ai lu ce roman il y a une quinzaine d'année sans éprouver d'empathie pour son protagoniste. Cette nouvelle lecture m'a permis d'apprécier toute la portée d’une oeuvre qui est à la fois politique et existentielle. Simenon parvient à y rendre l'atmosphère oppressante et paranoïaque d'un régime totalitaire.
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Dans ce roman dur Simenon nous emmène loin des villes provinciales et des ports brumeux de la vieille Europe : à Batum, plus précisément. C'est bien un port, mais situé à l'est de la mer Noire. Aujourd'hui appelée Batoumi cette ville se situe en Géorgie. Au début des années 1930 elle faisait partie de l'Union Soviétique.

Les personnages aussi sont assez inhabituels pour cet auteur : Adil bey, le consul de Turquie est au coeur de ce roman sombre. Arrivé inopinément, pour remplacer son prédécesseur, mort mystérieusement, il va se retrouver pris dans un imbroglio politique et sentimental. Il n'a pas beaucoup d'expérience et sera vite dépassé par les évènements.

Il est rare que Simenon se fende d'une préface mais c'est le cas ici. Il tient à rappeler qu'il a séjourné en U.R.S.S., que ses personnages sont crédibles mais fictionnels. Paru en 1932 ce roman laisse peu de doutes sur le caractère totalitaire et policier du stalinisme naissant. On peut lui reconnaître une certaine clairvoyance que n'ont pas eu d'autres écrivains français invités dans ce pays pour en chanter les louanges.

On retrouve dans ce roman son pessimisme foncier sur la nature humaine.
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Plus je découvre Simenon, plus je m'éloigne de mon a priori négatif de pondeur de romans de gare et plus j'apprécie son talent incroyable pour créer des atmosphères incroyablement denses qui embarquent littéralement le lecteur dans les pages.
L'atmosphère de celui-ci est particulièrement réussie : froide, sombre, oppressante, elle vous emmène comme dans un trou de ver dans l'univers anxiogène de la période stalinienne, où même en ce bord de la mer Noire les vents marins semblent s'arrêter et ne parviennent pas à aérer la noirceur du climat, la densité du vide dans les rues et la morosité résignée d'habitants taciturnes, au bord de la misère et comme enfermés en eux-mêmes. Une atmosphère immobile, délétère qui empoisonne et qui broie Adil bey, jeune consul turc envoyé dans cette ville de fin du monde de Batum et qui va faire l'expérience d'une solitude effroyable, à rendre fou.
On ressort de cette lecture avec soulagement, mais comme délesté de quelques pans de raison, et d'illusions.
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Roman étonnant que celui-là, le premier pour lequel, selon ses dires, Simenon ressentit le besoin d'écrire une préface. L'action, déjà, se situe à Batoum, en URSS, dans les années trente, pays où le romancier avait visiblement passé quelque temps et en était arrivé à des conclusions sur le régime communiste que le Temps n'a fait que conforter . Comme héros, il a choisi Adil Bey, que la République de Mustapha Kemal expédie là-bas comme consul. A noter que, à cette époque, il n'existe à Batoum que trois consulats étrangers : l'italien, le persan et le turc. Autre fait à signaler - il est important : le prédécesseur d'Adil Bey est mort d'une crise cardiaque - conclusion officielle - mais tout le monde évoque ce décès à mots plus ou moins couverts.

Il est vrai que, sous le régime stalinien, on parle toujours plus à moins à mots couverts de tout. Très souvent, on nie carrément l'évidence. Surtout les autochtones appelés à côtoyer les "étrangers" que sont les gens des consulats. Dans l'URSS de Staline, tout le monde mange à sa faim, tout le monde est chaudement habillé pour l'hiver, tout le monde est heureux - tout est parfait . (Cessez de rire, s'il vous plaît, vous, là-bas, au fond ! ) Mais, dès le début, Adil Bey se rend compte que tout cela n'est que duperie. Il voit, à la porte des coopératives, les queues des citoyens lambda dont, tous les jours, près de la moitié retourne chez elle sans avoir pu acheter quoi que ce soit. Il voit les femmes qui, sur les docks, font les débardeurs, comme les hommes : une blouse sale et un cache-sexe, pas même de chaussures et un travail épuisant qui leur paie à peine de quoi ramener un peu de pain à leur famille. Quand il sort pour "faire la fête" avec John, de la Standard OIl Company, un Américain qui semble vivre à demeure à Batoum depuis des années, c'est pour s'apercevoir que les prostituées, les musiciens, les serveuses et même les clients du bar où ils se trouvent jouent, eux aussi, la comédie de la joie, voire de l'ivresse. Et lorsqu'il sort de la boîte, c'est pour voir un homme tomber dans la pénombre sous les balles de poursuivants arborant les casquettes vertes du Guépéou. Là aussi, tout le monde détourne le regard et quelqu'un saisit à temps le bras d'Adil Bey, lequel, malheureux et probe innocent, voudrait se renseigner, aller voir de plus près, porter éventuellement secours à l'homme écroulé.

Le Guépéou ... Il est partout et nulle part. Mais Adil Bey est tout de même singulièrement gâté en la matière puisque ses voisins d'en-face, les Koline, sont intimement liés à cet organisme. le mari en fait partie, son épouse finira par trouver un poste qui lui est lié et sa soeur, Sonia, qui n'est autre que la secrétaire nommée par les Soviétiques auprès d'Adil Bey, est elle aussi, même si le Turc met longtemps à en obtenir la preuve tangible, non seulement membre du Parti mais aussi aux ordres de la Police politique de Staline.

Dans ce monde glacé, dont il ne comprend pas la volonté d'élever le mensonge et l'obéissance absolue au Parti au rang de vertus pleines et entières, Adil Bey est vite déstabilisé. D'abord, il ne parle pas le russe - bien qu'il en apprenne pas mal, tout de même, au fil des mois passés dans la ville pétrolière. Ensuite, il se demande - vous me passerez l'expression pour un musulman mais il faut dire qu'il a été élevé chez les Frères Chrétiens, à Ankara - si c'est du lard ou du cochon . Sa secrétaire, Sonia, l'attire singulièrement - elle finira par devenir sa maîtresse. Mais en même temps, il doute de la sincérité de ses sentiments. Elle est "aux ordres", il le sent. Mais pourquoi ?

Pourquoi espionner tout le temps, tout le monde, et partout ?

La paranoïa stalinienne qui, pourtant, n'a pas encore atteint son zénith mais se déchaînera sous peu dans toute son horreur, empoisonne l'existence du pauvre Adil Bey au point de le faire sombrer dans la dépression. Mais il y a pire. Il commence à cracher du sang, il s'affaiblit ... Et il se met, lui aussi, à se méfier de toutes et de tous : bientôt, il est sûr qu'on l'empoisonne. Mais qui ? comment ? et plus encore, pourquoi ?

Qui est vite trouvé : c'est Sonia. Au cours d'une scène d'une intensité rare, car Adil Bey est pratiquement le seul à parler, à bouger, à trahir des sentiments humains pendant les trois quarts des feuillets où elle s'inscrit, la jeune Soviétique avoue sans détour. Tout comme elle avoue avoir empoisonné le précédent consul turc. Et à Adil Bey, qui lui demande, effaré, pourquoi elle a agi ainsi, si c'était sur ordre ou pas, Sonia déclare que c'est surtout parce qu'elle ne supportait plus tous les privilèges dont bénéficient les "étrangers" alors que les Soviétiques, y compris les agents du Guépéou, comme son frère et elle, ont tant de peine à se procurer de quoi manger chaque jour à satiété. Elle demeure imprécise sur la réalité d'ordres qui lui auraient été donnés en ce sens, elle pleure, elle passe la nuit avec Adil Bey et accepte de partir avec lui. Sans visa pour elle et tout à fait à l'aventure : si les autorités ont vent de ce projet, elle risque tout bonnement sa vie. Tous deux se donnent rendez-vous le soir ...

Et le soir ...

Adil Bey sera le seul à quitter Batoum. (Enfin, un autre personnage, Nelja, aura pris la place laissée disponible par l'absence inexplicable de Sonia, laquelle n'a pas reparu au consulat de toutes la journée, et ceci malgré sa promesse très ferme de faire comme si de rien n'était en ce jour qui devait être le dernier pour elle à Batoum.) Si sa santé n'a plus rien à craindre, il sait aussi que Sonia a été arrêtée, probablement interrogée et fusillée ou déportée. Mais qui l'a dénoncée ? Son propre frère peut-être ? Sa belle-soeur ? La femme de ménage du consulat ? John, qu'Adil Bey avait été bien forcé de mettre dans la confidence ? ... Il ne le saura jamais. Il s'en va rejoindre Ankara, le coeur lourd et plein de souvenirs dont il se serait bien passé.

Nous savions déjà que, pour Simenon, la nature humaine n'était un summum ni de beauté, ni de bonté. Mais "Les Gens d'En-Face", où aucun personnage ne parvient vraiment à sortir de la grisaille ambiante et où le lecteur suspecte à peu près tout un chacun - sauf l'intéressé lui-même - d'en vouloir à la vie d'Adil Bey, est un roman complètement désenchanté où se profile déjà la rouille inéluctable qui finira par détruire l'URSS : paranoïa des dirigeants, espionnite aiguë sur tous les sujets, ordres, contre-ordres, absence totale d'explications logiques à telle ou telle interdiction (ou autorisation), ralentissement d'une vie qui ne compte que des joies factices et qui est truffée de pièges dans tous ses coins et recoins. On en sort persuadé que Simenon a détesté l'URSS - mais épaté par la façon dont il a restitué la chose pour ses lecteurs. En fait, ce livre, on peut le lire comme une vengeance de l'écrivain contre une société encore plus médiocre que celle qu'il dépeignait d'habitude. Pour le romancier belge, la médiocrité est supportable - voire pardonnable - tant qu'elle n'est tributaire que du Destin : quand elle se fait l'esclave d'une idéologie totalitaire, elle devient insoutenable. ;o(
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[...] ... - "M. John est chez lui ?

- Il déjeune, là-haut."

Jamais il n'avait vu la salle-à-manger de John et il fut surpris de trouver celui-ci dans une pièce confortable, servi par un domestique en veste blanche et plastron empesé.

John, lui, avait retroussé les manches de sa chemise et, les yeux flous, il tendit la main à son visiteur.

- "Ca va ?

- Sonia a disparu.

- Un couvert," dit John au domestique.

- Je n'ai pas faim. Je suis pressé.

- Cela ne fait rien.

- Il faut absolument que je sache ce qu'elle est devenue. Je peux vous dire la vérité. Elle a passé la nuit chez moi. Ce matin, quand elle est partie, elle m'a promis de revenir à neuf heures. Dans les bureaux, on m'a reçu d'une manière étrange, à la fois moqueuse et menaçante."

Il parlait vite, à en perdre la respiration, tandis que John continuait à manger, puis se levait et attirait Adil Bey près d'une fenêtre pour lui montrer une cour au sol non pavée, au sol de terre noire, derrière un mur surmonté de trois rangs de fil barbelé.

- "Qu'est-ce que c'est ?"

Dans la cour bordée de bâtiments en brique, on ne voyait personne. Adil Bey ne comprit pas d'abord, se souvint soudain du passeur de frontière.

- "C'est là ?"

Il était bouleversé mais pas comme il eût cru l'être. En somme, toutes ses allées et venues depuis le matin avaient Sonia pour centre. C'est pour elle qu'il courait de la sorte ! Et pourtant comme, en regardant la cour sinistre, il essayait d'évoquer son visage, il se trouva impuissant à le reconstituer. Les traits restaient vagues, sans expression, comme si la Russe eût été loin, très loin de lui.

- "On n'a pas pu la fusiller ? (...)" ... [...]
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Adil Bey ouvrit les fenêtres de sa chambre, retira son veston et il eut une sensation angoissante de vide.
Ce n'était pas seulement sa chambre qui était vide, mais la ville où ne subsistait que le petit point chaud et lumineux du bar.
Est-ce que tout le monde dormait? N'y avait-il donc pas, parmi tant de gens qui erraient tout à l'heure sur les quais, des couples qui chuchotaient, un homme qui lisait avant de s'endormir, une femme soignant sous la lampe un enfant malade, n'importe quoi, un signe de vie, la palpitation d'une ville?
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" Sonia ! "
Il la prit dans ses bras, si ému qu'il ne pensa pas tout de suite à l'embrasser. Il la tenait par les épaules. Elles étaient maigres. La chair n'était pas très dure. Il se penchait sur son cou, il se frottait la joue à sa peau, relevant un peu les cheveux blonds, et il était étonné de la sentir s'abandonner.
" Sonia... "
Il toucha ses lèvres. Il les pressa contre les siennes et faillit perdre l'équilibre tant elle se renversait en arrière. Quand elle se redressa, il resta immobile, dérouté. Elle n'avait pas lâché le pauqet de linge. Elle souriait drôlement, en arrangeant ses cheveux d'une main.

(Georges SIMENON, "Les gens d'en face", 1933, librairie Arthème Fayard chapitre V, pages 100-101 de l'édition en Livre de Poche)
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J'ai écrit un roman. Batum est vrai. Les gens sont vrais. L'histoire est vraie.
Ou, plutôt, chaque détail est vrai, mais l'ensemble est faux...
Non ! L'ensemble est vrai mais et chaque détail est faux...
Ce n'est pas encore ce que je veux dire. C'est un roman, voilà ! Est-ce que ces mots-là ne devraient pas suffire?
Et, pour ma part, j'aime mieux l'écrire que l'expliquer.
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[...] ... Seule une jeune fille s'était levée, une blonde vêtue de noir, qui était assise à une petite table et qui attendit, après une ombre de révérence.

Adil Bey ne pouvait rester à la porte. Vingt paire d'yeux braqués sur lui, il s'avança jusqu'à son fauteuil cannelé et s'assit d'un air aussi important que possible, tandis que le montagnard en profitait pour pousser le passeport vers sa main.

Ce qui était étrange, impressionnant, c'est que tout ce monde se taisait. Et ce n'était pas par respect, puisque certains fumaient et que le parquet sale était étoilé de crachats ! Depuis combien de temps attendaient-ils ? Qu'est-ce qu'ils voulaient ?

- "Mademoiselle ... ?" dit Adil Bey en français.

- Sonia," répondit la jeune fille en noir, qui prit place de l'autre côté de la table.

- Je suppose que vous êtes ma secrétaire ?

- Je suis la secrétaire du consulat, oui.

- Vous parlez le turc ?

- Un peu."

Elle était toute jeune, mais pas intimidée du tout. Elle avait déjà son stylo à la main et elle regardait le passeport comme quelqu'un qui va se mettre au travail.

Adil Bey aussi regarda le passeport, mais il n'y comprit rien, car c'était un passeport soviétique. Il prenait son temps. Il feignait de lire. Il regardait autour de lui à la dérobée. C'est ainsi qu'il s'aperçut qu'il y avait un appareil téléphonique sur son bureau. Il constata aussi que ses visiteurs étaient de pauvres gens aux vêtements disparates. Une femme, devant lui, allaitait son bébé, et le vieillard assis à côté d'elle, un bonnet d'astrakan sur la tête, était pieds nus. ... [...]
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