Etoiles notabénistes : *****
ISBN : 9782258093577
Je me rends compte que je n'avais pas fait de fiche sur
Simenon depuis ... 2016 ! Ce que c'est barbant, les longues maladies ! Mais il n'est jamais trop tard pour reprendre les bonnes habitudes . Aujourd'hui donc, évoquons ce qui m'a semblé tenir à la fois du récit et du roman : "
Les Trois Crimes de Mes Amis."
Première particularité : l'emploi de la première personne mais cette fois-ci, il ne s'en cache pas, c'est bien l'auteur qui intervient.
Seconde particularité : comme il est simple de se replonger dans
Simenon, cet auteur pourtant si complexe ! On se sent tout de suite comme chez soi ou, plutôt, dans sa bonne vieille piscine remplie d'eau divinement tiède et plaisante. On palpite, on frétille, on reprend ses marques et presque tout de suite ses aises : on a retrouvé l'univers de
Simenon, celui de ses romans dits "noirs" ou "durs" certes mais également, taillé, tel un diamant de collection, d'une toute autre façon, dans les "
Maigret."
Bref, on se sent bien - à sa place. ;o)
Dans ce roman-récit tout à fait à part, je le répète,
Simenon évoque, par de fréquents retours en arrière, le Liège de son enfance - donc d'avant la Grande guerre - par une série de petits détails, certains nostalgiques, d'autres choquants, d'autres encore simplement égrillards, qui nous plantent la ville sous les yeux avec un tel naturel, une telle véracité qu'on pourrait presque la toucher, mieux, y entrer d'un pas au début peut-être un peu hésitant mais de plus en plus élastique et assuré.
Sur les trottoirs de Liège, défilent une partie de l'enfance de
Simenon et de nombreuses scènes de son adolescence (avec quelques apparitions remarquées de Mme
Simenon mère). On y apprend entre autres comment il est devenu reporter et avec qui il fonda son premier journal. Ce camarade, le dénommé Deblauwe, escroc-né mais qui impressionne le jeune Georges, est aussi un assassin en puissance, ce que
Simenon, devenu cette fois-ci le
Simenon parisien et déjà en vogue, n'apprendra qu'à cette époque.
Mais, plus impressionnant que Deblauwe, lequel en impose pourtant beaucoup par son entregent même au lecteur qui voit au-delà du tout jeune
Simenon, bien plus impressionnant que le triste petit K ..., dont le suicide n'est pas sans évoquer à l'initié l'inspiration qui présida à la naissance du "Pendu de Saint-Pholien", se dresse devant nous la silhouette, imposante, cultivée, ambiguë, mystérieuse, repoussante, énigmatique du bouquiniste Danse chez qui le jeune
Simenon allait revendre ses livres de classe.
Mythomane et mégalomane, d'une sexualité plus que douteuse même si l'on se demande parfois si elle existe réellement, Danse, qui finira par assassiner froidement sa mère et sa compagne - cette dernière faisait le tapin pour lui mais, justement, s'apprêtait à le quitter - le tout au fond d'une obscure maison de campagne qu'il avait louée en France, non loin de Paris, viendra s'échouer, lui aussi, devant les Assises. Notons qu'il était également poursuivi en Belgique mais pas pour assassinat.
Et
Simenon de nous raconter les faits et surtout de se demander si la fréquentation, dans sa jeunesse, de trois hommes dont l'un, d'ailleurs tuberculeux, finit par se pendre et les deux autres tuèrent de sang-froid des personnes qui, selon leur optique, ne pouvaient plus leur servir à rien, a pu orienter son propre destin d'homme bien sûr mais avant tout d'écrivain tourné essentiellement vers le genre policier ou "noir." Il est rare en effet que, dans les romans dits "psychologiques" de l'auteur belge, ne se produisent un ou deux crimes.
Tel qu'il est, "
Les Trois Crimes de Mes Amis" plaira ou, au contraire, paraîtra insignifiant au lecteur. Certains se demanderont sans doute ce qui a bien pu prendre ainsi
Simenon de se pencher sur son passé ailleurs que dans ses énormes "Mémoires." Disons tout de même qu'il en avait bien le droit et que ce "document" est principalement dû, à notre sens, au
Simenon "écrivain", s'interrogeant soudain (très précisément en 1937) sur son parcours et sur son oeuvre, déjà fort impressionnante à l'époque. Pour le lecteur qui s'intéresse tout particulièrement à l'incroyable fertilité romanesque de l'écrivain, il est certain que "
Les Trois Crimes de Mes Amis" fournit certaines pistes mais pas toutes, bien loin de là. Pour celui qui ne s'intéresse qu'à l'intrigue simenonienne et cherche systématiquement l'empreinte de Jules
Maigret dans tous les livres de
Simenon, ce livre aura par contre bien moins d'importance, voire aucune. Peut-être même le prendra-t-il pour une plaisanterie.
Mais "
Les Trois Crimes de Mes Amis" est tout, sauf une plaisanterie. Et c'est peut-être la preuve que
Simenon était fait pour le Crime comme le Crime était fait pour lui, les deux parties ayant transigé pour ne consommer leur union que par écrit ... Mais quels écrits, quels romans, quel univers - quelle oeuvre, mes amis !
Nous en reparlerons d'ailleurs prochainement avec "
Le Suspect". D'ici là, bonne lecture si vous vous résolvez, par curiosité, à aller voir du côté des trois amis criminels de
Georges Simenon. ;o)