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Critique de Woland


Joli titre, n'est-ce pas ? Il recouvre pourtant l'un des romans les plus tristes, les plus désespérés de Simenon. Pour celui-ci néanmoins, je ne parviens pas à écrire "noir" car les enfants qui y sont impliqués y apportent, jusque dans leurs mensonges, une innocence, pour ne pas dire une pureté qui, même si elles ne parviennent ni l'une ni l'autre à égayer le récit - ces enfants-là ne sont pas vraiment heureux : petits ruraux certes mais qui pensent trop - lui insufflent une douceur bénéfique, miséricordieuse. Les adultes sont sots et ne réfléchissent guère aux conséquences : les enfants, eux, se tourmentent à l'idée que, de toutes façons, les conséquences, tôt ou tard, se rappellent à vous.

L'action se situe dans un petit village situé non loin, là encore, de la fameuse pointe de L'Aiguillon (Cf. "La Maison du Juge"), St-André-sur-Mer. La "Poison" du coin (comme nous l'eût qualifiée Guitry), Léonie Birard, receveuse en retraite qui, du temps de son activité, n'hésitait pas à conserver par devers elles les lettres qui l'intéressaient, vient de mourir intestat, avec une balle de . 22 long rifle logée dans l'oeil (gauche, je crois : les Anciens n'avaient pas tort, on le voit bien aujourd'hui en diverses occasions Mr.Red , d'appeler ce côté-là "sinister"). Il faut dire que, depuis qu'elle était en retraite, le plus grand plaisir de Léonie était de se poster à sa fenêtre et d'insulter ou de menacer de révélations terribles toutes celles et tous ceux, enfants et adultes, qui passaient devant elle. Faire enrager les autres, selon certains commentaires entendus à son enterrement, elle aimait déjà le faire alors qu'elle était toute petite, avec des tresses, dans la cour de l'école. Vous pensez bien que l'âge n'a pas arrangé les choses ! Demeurée célibataire (on ne se demandera pas pourquoi ), elle était obèse, souffrait d'une pilosité un peu trop visible sur le visage et aimait fort à tirer la langue à qui ne lui plaisait pas quand, encore, elle ne troussait pas carrément ses jupes en se retournant vers l'intéressé pour lui offrir la dantesque vision de son postérieur. En représailles, tout le monde (en particulier les enfants) lançait des ordures dans son jardin ou encore des cadavres de chiens ou de chats morts. Une fois, sa porte (ou son portail) avait été entièrement badigeonnée d'excréments ...

Bref, vous imaginez un peu l'ambiance.

Mais Léonie Birard, si atroce et si vieille sorcière qu'elle fût, était née à Saint-André-sur-Mer. du coup, lorsqu'elle meurt de façon si brutale et, qui plus est, assassinée par un tireur d'élite - pour que la balle se loge là où elle allée, il fallait ou un tireur d'élite, ou que le Hasard s'en mêlât - tout le village fait corps pour accuser un homme qui, lui, n'est pas du village, l'instituteur Joseph Gastin, arrivé de Courbevoie avec sa femme et son fils, Jean-Paul, pour enseigner dans la campagne profonde. Né citadin, homme intègre et un peu rigide, Gastin, qui est aussi secrétaire de mairie, s'est mis à dos nombre de personnes en refusant de signer les fameux "certificats de complaisance" qui assurent à la majorité des villageois le versement de diverses allocations. Gastin s'était aussi maintes fois disputé avec Léonie mais enfin, disons que, sur ce point, il était vraiment comme tout le monde à Saint-André et que personne ne considère cela comme une circonstance aggravante.

Au début, si l'on excepte le fait qu'il est "étranger" et qu'il est peu "arrangeant", rien pourtant ne l'accable. Sauf la rumeur. Il en profite pour se précipiter à Paris afin de plaider sa cause auprès de Maigret en personne, dont la réputation n'est plus à faire. Et le commissaire qui, en ce début de printemps, rêve d'huîtres et de petit blanc sec, se laisse tenter autant par ces fantasmes culinaires que par la bizarrerie du crime. Il ramène donc Gastin à Saint-André et apprend que Marcel, le fils de l'épicier du coin, affirme désormais formellement avoir vu, le jour du crime et peu après qu'ait résonné le coup de feu qui a tué Léonie, son instituteur sortir de sa cabane à outil, là où se trouvait la carabine 22 de son propre fils, Jean-Paul. Certes, c'est la parole de l'un contre celle de l'autre et le procureur devrait avoir bien du mal à échafauder là-dessus un dossier digne de ce nom. de toutes façons, Maigret le perçoit tout de suite, quelque chose cloche dans cette affaire et si hostiles que se montrent les villageois envers Gastin, ils savent tous qu'il n'est pour rien dans le crime.

En fait, et, au départ, cela énerve prodigieusement Maigret, tous, à commencer par Théo, l'adjoint du maire, toujours entre deux verres de vin dès 9 heures du matin, se doutent, à défaut de la connaître avec certitude, l'identité du coupable, du vrai. Mais la solidarité villageoise fait que tous préfèreraient voir Gastin condamné à tort plutôt que de livrer l'un des leurs. Alors, Maigret se met à l'ouvrage. Il mise sur son allure bonasse, à la fois roublarde et pourtant naïve - les gens de Saint-André ignorent après tout que lui aussi est né à la campagne - sur son instinct et sur sa logique. Un puzzle de plus pour lui qui en a résolu de plus complexes. Un puzzle dont, un à un, les pièces s'assemblent pour former un résultat qui attriste autant Maigret que son lecteur. Mais il faut bien aller jusqu'au bout de la démonstration et sauver Gastin. Dommage, seulement, que tant de têtes enfantines foncièrement innocentes aient été impliquées dans l'affaire par l'égoïsme et la mesquinerie de certains adultes ...

A mes yeux, "Maigret A L'Ecole" est une pépite précieuse, qui n'a pas sa pareille dans ce que j'ai lu jusqu'ici de Simenon. Un roman "à part", inclassable, où l'enfance prédomine sur tous les plans : c'est le comportement méchant mais enfantin de Léonie qui est à l'origine de son assassinat tout comme c'est la manie, toute puérile, de se déresponsabiliser systématiquement qui conduit l'assassin à la tuer alors qu'il ne cherchait, en réalité, qu'à l'effrayer, comme on fait peur à un vilain mioche qui menace de saboter vos plates-bandes. Et comme toujours, ce désir, conscient ou pas, d'adultes chevronnés d'accomplir mille sottises plus dignes de la cour d'école que de tout autre chose, retombe sur des enfants qui, du coup, vont "grandir" un peu trop brusquement. Léonie Birard ne ressuscitera pas, c'est vrai et l'assassin ira bel et bien en prison pour l'avoir tuée, même si telle n'était pas vraiment sa volonté initiale. Mais ces deux faits sont de peu de poids, finalement, devant l'innocence perdue et les tourments endurés par trois enfants qui, eux, avaient encore l'âge de la cour d'école et de son insouciance.

"Maigret A L'Ecole" : surtout, lisez-le. ;o)
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