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Critique de Woland


Encore un Maigret qui parle d'erreur judiciaire. Mais là, le commissaire, avec l'aide d'un juge bien éloigné de la devise "Un coupable à tout prix" de Coméliau, parvient à stopper la machine. le présumé coupable, Gaston Meurant, encadreur de son métier, est acquitté.

La construction du roman, assez originale, nous montre, durant les premiers chapitres, un Maigret qui, témoignant aux Assises, n'évoque le sujet du procès que par des "retours en arrière" particulièrement détaillés. Comme il l'avoue au juge sans gêne aucune, la résolution de l'enquête ne le satisfaisait pas et, du coup, alors que Meurant était déjà mis en accusation, il s'est permis de suivre une ou deux pistes. Et ces pistes l'ont amené à constater que l'épouse de Meurant, Ginette, avait au moins un amant en titre, un mystérieux personnage très brun et plutôt rablé, qu'elle rencontrait chaque semaine dans un hôtel meublé. Au regard que lui jette un Meurant, qui sait que cette révélation de dernière minute ne pourra qu'influencer les jurés en sa faveur, Maigret comprend que l'homme aurait préféré étreindre la lame d'acier de la Veuve plutôt que d'être rendu à la liberté, auprès d'une femme qu'il a sans doute profondément aimée, qu'il aime encore peut-être mais dont il sait désormais qu'elle l'a toujours trompé ...

... Et, ce qui est bien plus grave, qu'elle a aidé à monter cette machination qui devait faire accuser son mari du meurtre de sa tante et d'une fillette de quatre ans, qui passait souvent ses journées chez elle.

Même si l'identité de l'amant très brun et rablé nous reste inconnue pratiquement jusqu'aux dernière pages, ce n'est pas elle qui nous soucie mais bien ce que, remis en liberté, va faire Meurant dont le frère appartient au milieu - et a été quelque temps, lui aussi, l'amant de Ginette, ce qui a été également prouvé au procès.

La lecture est fluide et sans temps mort. Que nous soyons allongés sur notre lit ou encore assis dans un fauteuil douillet, Simenon connaît mieux que personne la recette pour nous entraîner, avec naturel et émotion, dans cette véritable traque d'un innocent, malheureux et qui souffre, mais qui entend bien se venger. Certes, nous souhaitons - et Maigret le tout premier - que Gaston Meurant ne commette pas l'une de ces bêtises irréparables qui le mènerait une fois encore aux Assises. Sa femme, une garce simple qui n'a rien d'exceptionnel, ni le poison habituellement distillé par la mégère haineuse ni ce mépris sadique de la conjointe tyrannique, mais absolument tout de la femme pratique qui veut du sexe et de l'argent et, pour cela, est prête à sacrifier n'importe qui et n'importe quoi, ne mérite pas l'honneur de se voir abattre par celui qu'elle a trahi. L'amant ne vaut guère mieux. Mais le coeur et l'orgueil blessé sont puissants chez un homme comme Gaston Meurant et, s'il épargne Ginette, ce n'est que pour mieux exécuter son complice.

Saura-t-on jamais vraiment qui, des deux, a eu l'idée de tuer la tante Léontine Faverges, dont le "coffre-fort chinois" recelait une petite fortune ? Et qui, surtout, a dressé le plan, en principe imparable, avec horaires bien calculés et indices soigneusement placés pour accuser Gaston Meurant, qui devait amener à la mort de deux innocentes dont l'étranglement-étouffement d'une petite de quatre ans ? L'amant ? D'accord, lui aussi appartenait au milieu mais le sang-froid dont, pas un instant, ne se départit Ginette Meurant, abandonnant tranquillement le domicile conjugal dès qu'elle a compris qu'elle ne parviendrait pas à "récupérer" son mari et que celui-ci demanderait sinon le divorce, à tout le moins la séparation de corps et de biens, laisse planer sur le caractère de cette femme un certain nombre de soupçons qui obsèdent jusqu'au bout le lecteur.

En se retrouvant aux Assises pour l'assassinat de son rival, on est toutefois en droit de penser que Meurant bénéficiera des circonstances atténuantes. N'empêche ... Tout cela est bien triste, bien noir. Meurant n'était pas parfait mais ce n'était pas le méchant homme. Certes, amoureux fou, il avait volontairement fait miroiter aux yeux de sa femme des espérances qu'il n'avait pas. Mais elle aurait pu le quitter en douceur : il se serait réveillé un beau matin et elle n'aurait plus été là ... Ce n'aurait pas été très élégant mais c'eût été beaucoup plus correct que cette perversité qui la pousse à révéler à son amant la fortune de la tante Faverges, toujours à portée de main dans son appartement, une fortune dont la vieille dame a d'ailleurs toujours usé pour aider son neveu à régler ses dettes. Un homme du milieu pouvait-il résister à pareille tentation ? ... Donc, bien qu'il soit techniquement l'assassin, peut-on le tenir, sans scrupule de conscience, comme le seul criminel de l'histoire ? Et quel sera le sort de Ginette après l'assassinat de son amant ? Sera-t-elle convoquée en simple témoin ou affrontera-t-elle les Assises en tant que complice du meurtre de Mme Faverges et de la petite fille ?

Sur ce dernier aspect, Simenon ne nous dit rien. Maigret est triste, et nous le sommes avec lui. Mais nous savons aussi que le geste de Gaston Meurant était inéluctable et qu'il ne s'agissait que d'une question de temps.

Cela nous console-t-il d'un tel gâchis ? Non. Mais la vie nous a habitués à un nombre invraisemblable de gâchis, des petits, des moyens, des grands, des formidables, comme celui-ci. Ce qui fait que nous soupirons et nous contentons de refermer le livre avec une délicatesse accentuée. Juste pour ne pas envenimer encore les choses et aussi par respect : respect pour les deux mortes et pour le pauvre Meurant - et respect aussi pour l'immense talent de l'écrivain et l'invincible humanité de son Maigret. ;o)
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