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Critique de Woland


Woland
21 septembre 2015
Le seul véritable tueur en série que l'on peut recenser jusqu'ici dans la série des "Maigret" est celui, à motifs sexuels d'ailleurs, de "Maigret Tend Un Piège" . Que ce fût l'époque qui le voulût ainsi ou tout simplement par goût naturel, Simenon s'est peu intéressé à ce type de meurtriers. Il faut dire que, pour analyser, sans trop risquer de se tromper, les motifs qui font agir un tueur en série, il faut vraiment creuser longuement, profondément, douloureusement ...

Dans "Maigret et le Tueur", l'auteur liégeois pose tout de même les bases d'une analyse de ce type. Un soir qu'il dîne avec sa femme chez les Pardon, la servante du médecin vient annoncer un client, "l'épicier italien", qui attend, tout affolé. le temps d'enfiler un manteau et les deux hommes suivent le malheureux Pagliati qui leur raconte que, revenant du cinéma avec sa femme, ils ont été témoin d'un homme à terre qui, sous une pluie battante, en poignardait sauvagement un autre, rue Popincourt. En les voyant arriver, l'agresseur a paru avoir le réflexe, bien normal, de fuir mais non, il est revenu pour "achever" sa victime de trois autres coups. Pagliati a laissé le corps à la garde de sa femme et couru carillonner chez le Dr Pardon, qui habite tout près. le médecin constate d'énormes dégâts mais, pour l'instant, la victime, un jeune homme relativement bien habillé, portant un mini-magnétophone à une chaîne autour du cou, est encore vivante.

Pas pour longtemps ...

A première vue, il n'y a vraiment rien à comprendre. Déjà, le portefeuille n'a pas été volé, ce qui permet d'identifier tout de suite le mort, Antoine Batille, fils de famille dont tout le monde racontera bientôt à Maigret et ses hommes qu'il n'avait qu'une seule passion : se promener dans le métro, dans la rue, dans les bars ... pour enregistrer, sans qu'ils s'en rendent compte, ce que disaient ceux qu'il croisait. Evidemment, l'on finit vite par penser qu'il a enregistré sans le vouloir des paroles prononcées dans un bar par quelques malfrats évoquant un "coup" futur ou achevé et déjà recelé. Mais si tel est le cas, pourquoi, alors que le tueur est revenu achever Batille, ne lui a-t-il pas arraché le magnétophone ? Ce que l'on cherche se trouve peut-être sur une autre bande ? Mais non : c'est bien la bande qu'utilisait ce soir-là le jeune homme qui donne la clef de l'énigme. En tous cas, qui semble la donner. Sans le vouloir, Batille avait bel et bien enregistré quelques phrases évoquant un cambriolage dans une villa recelant d'assez belles toiles. le chef du gang, Julien Vila, n'est pourtant pas du genre à tuer. Voler, oui. Tuer, non ... Très vite, Maigret sent que la piste Vila n'est pas la bonne ...

Dans ce cas, c'est qu'il y en a une autre, comme dirait M. de la Palice. Mais laquelle ?

Alors, au 36, sans se lasser, on passe et on se repasse, la, puis les bandes. Rien. Mais rien de rien.

Pour une fois, c'est la presse qui va faire avancer l'affaire. Elle publie en effet des entrefilets en première page sur la mort du jeune Batille, qui était le fils d'une célébrité et, d'article en article, finit par donner le nom de Vila et de sa bande. le résultat ne se fait pas attendre : le journal qui a titré la nouvelle reçoit une lettre, écrite à l'encre verte, et certifiant que Vila n'a rien à voir avec l'affaire de la rue Popencourt. L'auteur veut bien être un tueur mais il ne veut pas envoyer un innocent à la guillotine à sa place.

Ah ! Là, Maigret, il le sent bien, tient enfin quelque chose. Entre deux bouffées de sa pipe, il s'empare de ce fil d'Ariane inespéré et il le déroule, tout doucement, nous guidant ainsi jusqu'au vrai et seul coupable et entreprenant, sans le savoir, une véritable analyse du tueur. Un tueur qui, lui-même, ne sait pas pourquoi il est "comme ça." Il sait seulement que, à certains moments, le désir monte en lui - le désir de tuer - et il doit lui obéir tout de suite. Aussi frappe-t-il au hasard, femme ou homme, peu importe. La notation sexuelle est discrètement sous-entendue dans la réponse du tueur à Maigret lorsque celui-ci lui demande pourquoi il est venu achever Batille : "Ce n'était pas pour l'achever," dit-il en substance. "Simplement, je n'avais pas encore atteint le moment de ma plénitude."

Signalons d'ailleurs qu'il avoue de bonne grâce avoir assassiné pour la première fois quand il avait quatorze ans. Il en a ressenti du plaisir mais aussi une terreur abominable. le tueur en série de Simenon , comme on le voit, n'est pas un banal. Ni intello, ni stupide, ça fait plus de trente ans qu'il cherche "pourquoi" et que, à sa façon, il souffre. Il ne plaide pas la folie mais il admet que, à ses yeux, quand il tue, il n'est plus lui-même. Tout en le restant. Comprendra qui pourra.

Analyse passionnante, patiente aussi, bien différente de ce que font les Américains dans le genre, et qui cherche à retrouver, au fond du monstre, la parcelle, si infime mais encore palpitante, d'humanité. le Tueur de Maigret est aussi passionnant à étudier, si j'ose dire, que celui qui le traque et que la traque elle-même. Dans ce genre de cas, et peut-être êtes-vous comme moi, je me dis toujours : "Et si, parmi mes proches, j'avais eu un parent de ce genre : cousin, frère, etc, etc ... Comment aurais-je réagi ? Aurais-je cherché à comprendre ? Aurais-je rompu tout net, trop horrifiée pour vouloir regarder la vérité en face ? ... Aurais-je pensé à la génétique ? ... Aurais-je ... ?"

En particulier, bien sûr, si le proche en question s'était montré bon père de famille, bon frère ou cousin, etc, etc ... Les tueurs en série ayant subi un ou plusieurs traumatismes dans leur enfance et ayant souvent été des enfants-martyrs, sont et restent à part. Mais ceux qui ont été aimés, choyés, etc ... justement, c'est encore plus difficile de les comprendre, non ?

Un excellent Maigret, solide, curieux, avec beaucoup de profondeur, qui ne se lit pas en une heure. Il faut revenir parfois en arrière, réfléchir par nous-même. C'est en bref un "Maigret" un peu à part - comme son Tueur. En tous cas, tel est mon avis. N'hésitez pas à venir nous en dire ce que vous, vous en aurez pensé, surtout ! ;o)
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