Il était une fois un jeune homme, intelligent mais de caractère vagabond, nommé Honoré Cuendet. Il était né en Suisse, d'une brave femme, Justine, et d'un homme pas si méchant que ça mais qui, malheureusement, buvait, Gilles Cuendet. Il avait une soeur qui, elle, fit sa vie de fort belle façon, en épousant un fonctionnaire de l'UNESCO, à Genève. Mais Honoré, lui, avait des problèmes. Ou plutôt un seul, mais de taille : l'irrépressible besoin de voler. Au début, en effet, on put croire à ce que l'on n'appelait encore "kleptomanie" que dans certains milieux : Honoré chapardait tout et n'importe quoi. Pis : il conservait absolument tout et ne revendait jamais rien. Toutes les caractéristiques d'une pie voleuse et compulsive.
Avec le temps, cela évolua et Honoré, qui se montra cependant toujours excellent fils et bon concubin, à défaut de se marier avec la femme qu'il aimait, embrassa sans barguigner la profession qui réussit si bien à Robert Macaire. Avec cette différence que, Honoré, c'était un solitaire, un discret, un taiseux, un tranquille. Il trouva le moyen de s'évader du centre pénitentiaire où on l'avait coincé, en Suisse, passa la frontière et s'installa à Montmartre. Il fit venir sa mère, qui restait veuve dans le Vaudois et puis, il entreprit de réguler son existence : il y eut donc des périodes, plus ou moins longues, où il vivait tranquillement chez sa mère et des périodes où il s'en allait pour son travail. Il louait une chambre, si possible face à l'immeuble où résidaient ceux qu'il voulait cambrioler, il observait leurs habitudes, répérait chaque détail ... et s'introduisait chez ses victimes sans attendre même que celles-ci partissent en vacances. le fait qu'elles fussent là, présentes, à quelques mètres de lui, dans leur chambre, en train de dormir, cela faisait partie de sa manie. Plus d'adrénaline sans doute.
Bien sûr, certains diront que, avec des habitudes pareilles, Honoré aurait pu glisser facilement du vol à
l'assassinat - on voit cela si souvent non seulement dans les films mais aussi dans la réalité - mais Honoré ne sortait jamais armé et il croyait en sa chance.
Elle l'abandonna pourtant un soir et deux agents-cyclistes découvrirent son corps, abandonné au Bois de Boulogne. Ils en appelèrent à l'inspecteur de service, l'inspecteur Fumel, du XVIème, et celui-ci, à son tour, téléphona au commissaire
Maigret qu'il réveilla très précisément à quatre heures du matin. Pour Fumel, il y avait quelque chose de bizarre dans tout cela. Bizarre que le médecin appelé en urgence sur les lieux confirma : l'homme avait été tué de plusieurs coups sur le crâne avec ce qu'il est d'usage d'appeler un objet contondant, mais il avait été tué ailleurs. Et c'était aussi ailleurs qu'on lui avait ensuite massacré le visage. Pas assez cependant pour que
Maigret, avec toutes ses années de métier et qui avait déjà eu affaire à Honoré Cuendet, un personnage qui l'avait fortement intéressé et pour lequel il avait, ma foi, oui, une certaine estime, ne reconnût presque instantanément le défunt.
Le roman, qui date de 1961, nous dépeint un univers policier et judiciaire qui est en train de changer. Désormais, c'est le Parquet qui mène le bal et
Maigret est plutôt regardé de travers par le juge Cajou et le procureur que le règlement a contraint Fumel à convier, eux aussi, à la petite fête. Dès le début, le Parquet tranche, sans appel : ce ne peut être qu'un crime crapuleux, un règlement de comptes.
Maigret est prié de retourner à la très importante enquête qu'il mène en ce moment sur une série de hold-ups : mieux vaut en effet veiller sur banquiers et la finance que sur les simples citoyens. C'est curieux : ce que je viens d'écrire me rappelle un peu notre époque ... Pas à vous ? ;o)
Bref, passons. On renvoie donc
Maigret dans son bureau du Quai des Orfèvres mais, avant même qu'il quitte la scène de crime, le lecteur a compris que le commissaire faisait de
l'assassinat d'Honoré Cuendet une priorité - et pratiquement une affaire personnelle. La résoudra-t-il ? Oui et non. Oui, puisque, avec l'aide officieuse de Fumel, il reconstituera les circonstances du crime et en retrouvera les protagonistes. Non, parce que le Parquet, effrayé par le statut social de l'ex-époux de la personne impliquée dans l'affaire, fera classer le dossier sans suite.
N'empêche :
Maigret aura eu le dernier mot. Et ça, croyez-moi, dans la vie, c'est sacrément important !
Une analyse psychologique complète, très fouillée, qui passionne autant que la recherche du "cambriolé" potentiel qui est aussi, par la force des choses,
l'assassin du malheureux Cuendet. S'il n'y a pas eu préméditation, le cambriolé ayant simplement réagi comme devant n'importe quel voleur, on ne saurait oublier le visage volontairement défiguré pour retarder l'identification et, bien sûr, le déplacement du corps au Bois de Boulogne. Pour le mort comme pour ceux qui l'ont tué, ce serait, en quelque sorte, la faute à pas de chance. Seulement, ce qui n'est guère moral, c'est que les relations sociales des seconds les rendent intouchables.
Certes, ce n'est pas la première fois que, dans l'univers simenonien, nous assistons au phénomène.
Maigret en conçoit l'amertume habituelle, apaisée seulement à l'idée des scrupules de conscience et des sueurs froides qui accableront, à un moment ou à un autre, le procureur et le juge. Et puis, l'essentiel n'est-il pas que Honoré, toujours prudent, ait mis son magot en lieu sûr, auprès de quelqu'un qui pourra en faire profiter sa mère,
la vieille Justine ? A vous de juger. ;o)