Mes apprentissages - Reportages 1930-1946

L'ouvrier entre dans le bureau du dictateur, qui suce mélancoliquement un crayon.
- Citoyen président, je voudrais que vous me disiez ce que c'est que le plan quinquennal.
Staline, le regard vague, fixe le crayon qu'il suçait et improvise :
- Tu vois ce crayon, camarade? Eh bien ! maintenant, je n'ai qu'un crayon. Dans cinq ans, nous aurons cinquante millions de crayons...
L'ouvrier sort, tout fier, retrouve son ami.
- Je sais, dit-il. Je vais t'expliquer...
Et il fouille ses poches, n'y trouve qu'une boîte d'allumettes, la brandit.
-Tu vois cette boîte? Maintenant, je n'en ai qu'une. Dans cinq ans, j'en aurai cinquante millions...
L'ami s'en va, satisfait, rencontre un troisième camarade.
- A propos, je sais ce que c'est le plan quinquennal. C'est Staline lui-même qui l'a expliqué. Attends...
Il fouille ses poches à sont tour, n'y trouve rien, regarde autour de lui et, avisant un cortège qui passe avec un cercueil rouge en tête :
- Tu vois ce cercueil ? Maintenant, il y en a qu'un. Dans cinq ans, il y en aura cinquante millions...

*Peuples qui ont faim* 1934

Le Belge, au fond de lui-même, voue au Français une admiration un peu mystique. Il voudrait se jeter dans ses bras quand il débarque. Mais il pense aussitôt :
- Encore un qui va se paye notre tête !
Ça ne rate pas. La première plaisanterie du Français en question est immanquablement :
-Alleye alors ! Tu viens une fois avec?
Et le Belge a horreur de ça ! Le Belge n'est pas nécessairement un Bruxellois d'opérette. Il est même tout le contraire.

*Europe 33 * 1933

Le plus grand crime que l'on puisse commettre contre un homme, ce n'est pas de lui prendre la vie, mais c'est de lui prendre sa dignité. Chaque homme a besoin de sa dignité. Qu'il soit O.S. chez Renault, ou qu'il soit un nègre au fond de l'Afrique mangeant sa farine de mil, il a besoin de sa dignité.

Les plus pauvres, ou simplement les familles qui ont le plus d'enfants, envoient les filles à la ville, ou à Paris, pour entrer en service.
Plus de cent mille gamines débarquent ainsi chaque année dans la capitale et le déchet est presque de moitié. Ce que deviennent les disparues, il n'est que d'arpenter le quartier des Halles, par exemple le boulevard Sébastopol, la Porte Saint-Martin pour le deviner.

*La femme en France*