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Une critique récente d'Henri l'Oiseleur avait attiré mon attention sur Claude Simon. Qu'il en soit remercié. J'avais eu le tort de passer à côté de Claude Simon. Comme - presque - tout le monde.

J'ai dévoré La route des Flandres sur deux après-midi. C'est probablement une bonne solution. Cette lecture plutôt ardue demande de l'attention mais elle devient nettement plus facile quand on s'immerge: une tension, un suspens, un hypnose s'installe. Une lecture plus fragmentée de ces trois longs chapitres qui se présentent à jet continu risque de perdre et de lasser. Avec La route des Flandres on goûte aux joies de l'apnée. Cela vous fait peur? Vous rebute? C'est assez naturel. Mais passons les préjugés. Déchirons les habitudes. Allons voir de l'autre côté de la montagne.

S'immerger dans quoi? Dans la fièvre. le chaos de la fièvre. L'esprit à sauts et à gambades. La fièvre qui abolit les distances et le temps. La fièvre qui replie les dimensions. La fièvre.
Tout cela est servi par un style déconcertant, syntaxiquement éclaté, une narration kaléidoscopique et attentive à la sensation (une touffe d'herbe au pied d'un mur au premier plan sera bien mieux décrite qu'une sentinelle allemande entraperçue furtivement.) Pour cet ouvrage de 1960 j'ai oui dire que c'était alors la période formaliste et Nouveau Roman de Claude Simon. Je sens déjà le lecteur potentiel engager la procédure de secours, la main sur la poignée d'éjection. C'est normal. Mais attendez. La forme est omniprésente (il y a tellement de travail que le travail ne se voit pas), mais elle est efficace et emportera celui qui acceptera de se laisser glisser. Je ne décris pas plus cette forme. Voyez éventuellement quelques citations. Mais en gardant à l'esprit que ce roman est probablement à peu près incitable, dès lors que - s'éloignant radicalement des critères du bon goût ordinaire (sujet, verbe, complément, une situation, des personnages, un temps un lieu, une action) - il se présente comme un écheveau narratif qui pourrait presque faire passer Proust pour Gérard de Villiers et Jacques le fataliste pour un rapport circonstancié de gendarmerie. La mer toujours recommencée: rouleaux, lames, vagues, vaguelettes, toujours au moins clapot.

Notons également que si dans cette histoire de fièvre il y a du drame, du sexe, mais aussi de l'humour (une fois le récit bien lancé). Un vrai humour de roman avec une gourmandise pour la narration et même les racontars.

Se laisser glisser dans quelle histoire exactement? C'est en gros l'histoire de jeunes hommes, à cheval, perdus dans la débâcle de mai ou plutôt juin 1940, puis prisonniers en Saxe, puis perdus dans les méandres de leur mémoire individuelle et familiale. C'est surtout l'exploration des mille et une manières d'être cocu. Cocu réel ou cocu métaphorique. Éventuellement cocu par atavisme aristocratique.
Rendus à ce point il faut sans doute convenir que ce roman est assez masculin dans le sens où il comporte (sans être une autofiction à trois sous) une part non négligeable d'éléments autobiographiques, dont la captivité en Allemagne, et porte les traces des rêveries, frustrations et phantasmes d'un homme né en 1913. Ce roman n'est donc pas un manifeste de l'égalité femmes-hommes qui revisite les études de genre. Ce n'est pas non plus un plaidoyer nostalgique de la société ancienne. Mais très ordinairement la fièvre du personnage principal lui renvoit devant les yeux une liliale princesse. du lait.

Roman de la mémoire et de la sensation. La route des Flandres peut sembler un roman très confus. La confusion est même dans les références et les allusions plus ou moins discrètes. La Liberté guidant le peuple: 1830? 1789? 2020? le paon: animal d'Héra ou de Léda? Mais ce n'est pas réellement de la confusion, jamais. C'est la marque de la folle ambition d'embrasser toute l'épaisseur de la réalité. En ce sens il y a lieu de croire que l'ensemble est très maîtrisé dans un récit tendu, mais pas dans un espace euclidien.

Bref La route des Flandres est une nourriture riche. Ce roman est à la fois très maîtrisé et en même temps une bonne partie des interprétations possibles échappent certainement à l'intention de l'auteur qui a dessiné pour le lecteur cet espace fictif et dégagé de morale. Si j'ai bien compris la règle du jeu romanesque, formulée en particulier par Kundera, c'est ce à quoi on doit pouvoir distinguer un chef-d'oeuvre.


Restent en ce qui me concerne deux questions :
- Pourquoi autant d'utilisations de l'adjectif "grumeleux"?
- Que veut dire, en 1960, l'utilisation de ce que je croyais être un simple smiley issu de la culture SMS: " :) "? ( deux points suivis d'une parenthèse de fermeture).
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Etrange comme tout s'efface... Les souvenirs anciens, les rêves et le passé récent... Ceci est le deuxième commentaire sur La route des Flandres. J'y écrirai la même chose et autre chose que dans le premier, disparu à jamais dans les profondeurs de mon ordinateur. J'y retrouverai la longueur haletante, sans répis, assommante et fascinante de la phrase simonienne (l'impression qu'il n'y a (je veux dire "qu'il n'existe") qu'une seule prase, sans commencement, sans fin, toute pleine du monde passé, présent, à venir, à songer). Je retrouverai les temps indécis des histoires racontés par on ne sait pas toujours qui à un autre ou à lui-même, le cheval mort, le jockey qui chevauche Corinne, quatre rosses égarées dans la boue d'une guerre qui n'en est même plus une, une débâcle à laquelle on s'habitue, dont on ne sait pas si elle est plus vraie que le suicide de l'ancêtre, sur le tableau, héroïque ou cocu, jockey ou chevalier. Je me reposerai les mêmes questions : qu'est-ce qui tient en haleine ? J'évoquerai encore un Proust qui échoue, un temps spacialisé en un no man's land. Je ne saurai toujours pas l'impact de ce livre, avalanche de mots, d'images horribles ou charnelles (horribles et charnelles, plutôt), tableau flou (ou fou) d'un monde qui en est plusieurs et aucun, et comme Georges (ou Blum, ou de Reixach), je serai perdu au milieu d'un monde peut-être même pas absurde.
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Claude Simon est un écrivain emblématique des Editions de Minuit, une figure de proue du Nouveau Roman, le roman expérimental des années 1950 à 1970, avec Beckett, Nathalie Sarraute, Alain Robbe-Grillet, Robert Pinget, Michel Butor ou Marguerite Duras. A roman expérimental, nouvelle expérience de lecture, donc : si vous pouvez lire d'un trait 289 pages écrites presque sans pause, ni rupture, ni respiration, vous devriez aimer La Route des Flandres, publié en 1960. Mais n'est pas un lecteur de Claude Simon qui veut...

De quoi s'agit-il ? le protocole exige pourtant que je vous apporte les réponses, au lieu de vous poser des questions, mais voilà : si je l'ai bien lu jusqu'au bout, je suis bien en peine de vous le résumer. Heureusement, la 4e de couverture peut suppléer à mes déficiences : « le capitaine de Reixach [prononcer Reichac], abattu en mai 40 par un parachutiste allemand, a-t-il délibérément cherché cette mort ? Un de ses cousins. Georges, simple cavalier dans le même régiment, cherche à découvrir la vérité. Aidé de Blum, prisonnier dans le même camp, il interroge leur compagnon Iglésia qui fut jadis jockey de l'écurie Reixach. Après la guerre, il finit par retrouver Corinne, la jeune veuve du capitaine... »

L'auteur s'est orienté vers un long monologue intérieur qui cherche à reproduire les mécanismes de la mémoire (le « foisonnant et rigoureux désordre de la mémoire », disait Simon). La narration doit figurer le flux anarchique de nos pensées, ces images cérébrales qui nous animent. Elle se compose par collages, par associations d'idées, brossant un tableau confus où les époques et les évènements s'entrecroisent, s'entremêlent, se superposent et finissent par se confondre. On retrouve aussi ses influences majeures : ses lectures de Joyce et Faulkner, et l'impact de ses propres oeuvres de peintre dans son écriture faite de juxtapositions, ajouts, interpositions et superpositions. Comme un fleuve sans digues, la plume coule sur le papier, déversant souvenirs et émotions. C'est un peu comme dans la vie : un va-et-vient incessant, des flash-back constants, rien n'est donné définitivement au lecteur qui doit rester attentif et rechercher des points de repère. le procédé cherche pour ainsi dire à tutoyer l'essence même de l'homme : Je pense, donc je suis. Et Je suis ce que je pense.

A roman expérimental, nouvelle expérience de lecture : j'ai donc expérimenté le roman expérimental. Cette lecture fut tellement heurtée que je ne peux pas dire que j'ai aimé l'expérience. Mon attention s'est égarée cent fois et les incessantes interruptions dues aux contingences de la vie quotidienne compliquaient encore les choses : par où reprendre la lecture de ce récit sans début, ni fin ? Où cette histoire nous conduit-elle ? Il m'a bien fallu une centaine de pages de persévérance pour m'accoutumer un tant soit peu et entrer dans cette innovante sarabande langagière.
J'avoue quand même être impressionné, et même admiratif, devant une telle richesse de vocabulaire, devant un tel sommet de technicité littéraire et d'ingénierie stylistique où le temps s'efface sous la plume de l'auteur. Mais je n'ai pas eu de réel plaisir de lecture et n'ai guère réussi à me passionner pour cette histoire. le fond ne m'a pas plu, la forme m'a gêné: un rendez-vous manqué, hélas...
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La Route des Flandres est un admirable et foisonnant roman de guerre, qui a intimidé les lecteurs français à cause des relations de l'auteur avec le mouvement théoricien du Nouveau Roman. L'ouvrage a été inscrit au programme de l'agrégation de lettres, ce qui a suscité une masse d'études critiques s'ajoutant à toute la science linguistique du mouvement néo-romanesque.
*
Pourtant Claude Simon n'écrit pas son livre à partir de théories savantes, ni ne met vraiment ses pas dans ceux de Robbe-Grillet, Sarraute, Ricardou ou Butor. Il puise dans son expérience personnelle d'ancien combattant de la guerre de 40, de la débâcle et de la captivité. Certes, le récit qu'il en fait n'est pas simple à lire, car il s'efforce de créer une forme romanesque adéquate à l'expérience qu'il a vécue. Autrement dit, il fuit les généralités, les idées toutes faites, les grands discours, pour lesquels son personnage, Georges, n'a que mépris (voir les passages hilarants contre Rousseau). Et de même, il tente de restituer l'expérience sensorielle de la guerre, fatigue, ivresse, captivité, danger, et aussi odeurs, sons et couleurs, qui prennent le dessus dans le récit et en chassent les pensées rationnelles et verbales. Aussi le monde est-il perçu par la chair et le sang, non pas conçu par l'esprit ou le "coeur". La mauvaise littérature se contente de nommer paresseusement les choses et se consacre aux clichés et aux sentiments. Quand Claude Simon décrit un talus herbeux tel que le voit un soldat couché au sol, un visage, un cheval mort, un mur de briques, la présence sensorielle des choses est extrêmement puissante.
*
Ce choix littéraire de la présence du monde n'aurait pas été possible sans une critique radicale des grands discours traditionnels. Ce qui la rend possible, c'est la guerre et la débâcle, qui donnent au narrateur et peut-être à l'auteur une impression de fin d'un monde, voire de fin du monde. Les "quatre cavaliers" sur les routes de Flandres, évoquent bien ceux de l'Apocalypse. Certaines métaphores de la nuit donnent à la guerre la dimension d'une catastrophe cosmique. Pourtant, les personnages, pendant leur captivité dans un Stalag allemand, s'efforcent de passer le temps en reconstruisant par la mémoire, les récits, les discussions, des événements du passé familial de Georges, des courses de chevaux, le suicide de plusieurs officiers, des histoires d'adultères démultipliées. Les hommes ne peuvent se passer de la magie du langage, qui les console ou les distrait dans cet univers menacé de sombrer dans le néant. On osera dire que ces prisonniers bavards du Stalag ressemblent un peu aux lecteurs que nous sommes, et aussi, qui sait ? à cette "humanité dans les chaînes" qu'imaginait Pascal dans les Pensées, se divertissant comme elle peut en attendant la mort. On a beaucoup évoqué Faulkner, celui d'Absalon Absalon, pour ce roman. On pourrait aussi penser au Malraux de L'Espoir et de la Condition Humaine, du moins dans ses tableaux de guerre, à condition d'en ignorer les bavardages idéologiques.
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J'ajouterai pour finir que je n'ai jamais rien lu d'aussi beau sur les chevaux et les cavaliers.
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Comme toute l'oeuvre de Claude Simon, « La Route des Flandres » s'écrit dans l'après-guerreS –les deux guerres mondiales, la guerre d'Espagne, les guerres de l'Empire et de la Révolution-, c'est-à-dire dans ce moment d'une coïncidence traumatisante et aliénante de la mémoire de soi et de la mémoire historique : pour la génération née en 1910, l'histoire individuelle et l'Histoire se confondent, alors qu'elle se découvre non seulement promise à mourir en 1940 mais aussi à voir mourir en elle une deuxième fois ses pères tués en 14-18.

Confrontée à la monstruosité d'une apocalypse sans cesse réitérée, l'humanité voit alors s'anéantir sa foi dans le progrès tandis que se trouvent dénoncées la vanité des constructions humaines en même temps que l'inutilité de la littérature. Et pourtant, face à la débâcle, subsiste la pulsion d'une parole conjuratrice ; mise en tension avec la terrible certitude de la vacuité de l'entreprise, cette pulsion rythme l'ensemble des dialogues, toujours au bord de la rupture ; la voix humaine en effet est la dernière possibilité de résistance, comme « un enfant siffle en traversant un bois dans le noir » : « deux voix faussement assurées, faussement sarcastiques, se haussant, se forçant, comme s'ils cherchaient à s'accrocher à elles espéraient grâce à elles conjurer cette espèce de sortilège, de liquéfaction, de débâcle, de désastre aveugle » (121)…

Et donc, pour survivre, il faut parler ; mais parler à qui ? A la putain de «L'Acacia» ? Au journaliste du «Jardin des Plantes» ? A Corinne ? « En tous cas pas à [elle] » (p.90) « La Route des Flandres » se heurte sans cesse à cette interrogation, au problème de la réception du discours. Cette indécision est aussi celle du lecteur, placé face à une énonciation infixable, labile et subversive, détruisant sans cesse les fragiles certitudes que l'on croyait acquises, soumise au surgissement anarchique des souvenirs ; perdu, malmené, asphyxié, happé par les flux du temps et de la mémoire, ce lecteur devient alors le double du narrateur et accède à l'expérience même qui lui est racontée.

Une lecture difficile mais indispensable et inoubliable ; une oeuvre magistrale.
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Puisque ce texte est sans couture sa critique se doit de l'être aussi puisque rien n'a moins de sens que ce chaos puisque c'est ce chaos lui-même qui prend forme dans cette écriture décousue "et je me souviens..." les chiens ont mangé la boue quelle image insensée moi non plus je n'avais j'avais entendu l'expression c'est comme ce narrateur qui dit 'je' puis qui disparait et qui dit 'il' enfin puisqu'il est un autre, comme s'il sortait de ce corps, de ce texte en changeant de chapitre quel déséquilibre d'ailleurs il n'y a rien de clair tout est enfoui les images les mots les souvenirs on n'est obligé de creuser nous même dans cette terre souillée par le sang les cadavres les chiens les chevaux puis tout à coup l'image semble s'éclaircir se clarifier se dessiner presque et il nous parle d'une femme qu'il a aimé comme d'une carte postale et tout ça part en fumée ou bien piétiné par ces soldats par leurs bottes dans la boue c'est triste violent sombre sans espoir on se demande quand on pourra reprendre notre souffle et enfin il y a un point. Alors on pense que l'on va finir par comprendre qui il est ce qu'il fait là de qui il parle et pourquoi il est revient obstinément sur la description de chevaux, il y a ce capitaine aussi dont on croit qu'il est l'assassin lui même semble incapable de nous dire qui a tué qui si même quelqu'un est mort si ce n'était pas un cauchemar un mauvais rêve oui c'est un peu le sentiment qu'on a lorsqu'on referme le livre on ne sait plus très bien ce qui nous est arrivé étourdis perdus et pourtant envoûtés nos idées tourbillonnent se mélangent et l'on se dit que finalement ce qu'il faut retenir c'est que la guerre c'est une horreur qu'on ne peut raconter alors qu'on y mette les formes qu'on y mette des points, des virgules des paragraphes des personnages après tout c'est pareil ce qu'il reste ce n'est qu'un tableau criblé qu'un chemin troué boueux avec des chiens, ceux qui ont mangé la boue.
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Sans doute parce qu'il est le premier (parmi les contemporains) à travailler ainsi la mémoire, à la raccommoder ainsi pour en faire une trame littéraire. Aussi parce que c'est l'anti Voyage au bout de la nuit. Là où Céline nous laisse enlisés dans les tranchées de 14/18, C.Simon nous élève en cherchant à s'en libérer. A ceux qui parle de la phrase de Céline, je dis que la phrase n'est rien quand elle ne mène nulle part.
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Dans l'apocalypse de la bataille de France, quatre cavaliers rescapés d'un escadron sont les personnages principaux de ce roman. D'abord Georges avec son copain Blum, et puis le capitaine de Reixach (à prononcer « Reichac »), accompagné de son ordonnance Iglésia, qui est également son employé dans le civil. de Reixach, est issu d'une vieille famille de la noblesse (il est aussi un vague cousin de Georges), son attitude est la caricature parfaite de l'aristocrate, droit, élégant, digne, impénétrable et imperturbable, mais « il n'y avait en lui rien de hautain, de méprisant : simplement distant, ou plutôt absent ». Cette dignité, ce calme qui frise la témérité, fait qu'il s'expose et se fait tuer bêtement sous les yeux de Georges lors de la débâcle. Georges soupçonne que cette indifférence face au danger cachait en réalité une indifférence à la vie et va en chercher la cause dans une romanesque histoire d'amour. Il essaye de la reconstituer avec l'aide de Blum et à partir des témoignages d'Iglésia, alors qu'ils sont prisonniers de guerre dans un camp.
Mais ce qui frappe au premier abord, ce n'est pas l'intrigue, pourtant passionnante, c'est le style et la construction chaotiques. Avant La route des Flandres je n'avais lu de Claude Simon que La Bataille de Pharsale, et je ne connais rien d'autre, mais j'ai l'impression qu'il y a une très forte corrélation entre ces deux romans. Pas seulement dans le thème central de la défaite française, ce même espace atemporel, ces images précises, qu'elles soient fixes ou en mouvement, ce même amour des chevaux (et cette incongruité de voir un escadron de cavalerie confronté à des Panzers ou un cavalier dégainer son sabre devant une mitraillette, ces sortes de failles temporelles), il y a aussi dans le style et dans la construction une grande similitude.
Les deux romans sont divisés en trois parties aux styles sensiblement différents. Ils sont très chaotiques dans la première partie, une succession d'images qui s'enchaînent rapidement, puis le rythme va en s'apaisant dans les deux autres parties, les narrations sont plus longues et ordonnées. Et je note au passage que la troisième partie de la route des Flandres contient un magnifique morceau de littérature, dans lequel l'auteur a mélangé une scène de sexe avec des épisodes de la vie de prisonniers de Georges, en multipliant les analogies et les associations d'idées, vraiment très réussi. Dans tout le roman les analogies sont omniprésentes et les comparaisons récurrentes (« comme » est sans doute le mot le plus utilisé). Elles permettent à Claude Simon de sauter d'image en image, de donner l'impression d'une mémoire préoccupée et lancée à fond de train, où les souvenirs s'enchainent comme dans la réalité et non pas comme dans un roman, c'est-à-dire sans ordre chronologique mais plutôt analogique. Claude Simon a montré quelque chose que je crois inédit dans la littérature (en tout cas jamais porté à ce point), sur le fonctionnement de l'esprit (qu'il rêve, se remémore ou pense).
Ceci dit, à la différence de la bataille de Pharsale, l'intrigue romanesque de la Route des Flandres est captivante, même si Claude Simon la traite avec une distance presque ironique, comme si cette préoccupation du comportement suicidaire de de Reixach, toute cette histoire d'amour, n'était qu'un moyen pour Georges et Blum de s'occuper l'esprit, de rêver et de ne pas songer directement à leur triste sort de prisonniers.
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Je découvre par hasard cet auteur à la médiathèque où je vais. Il eut le Prix Nobel de littérature en 1985, ce qui est loin d'être une raison d'être apprécié. Je l'ai lu jusqu'au bout et l'ai trouvé plutôt indigeste. Sa prose narrative d'abord m'a déplu : pas assez de ponctuation, des phrases interminables, trop de mots ou d'adjectifs collés à la suite les uns des autres sans ajouter beaucoup à la compréhension du texte. Lourd, lourd, lourd. Pourquoi n'a-t-il pas fait comme Stendhal ? Mettre le Code Civil à côté de sa prose pour tenter de l'alléger au maximum et d'aller à l'essentiel. J'ai cherché en vain un intérêt à son écrit mais comme il le décrit lui-même, je n'ai trouvé que « voix se mêlant en une sorte de choeur incohérent, désordonné, de babelesque criaillerie ». Une sensation d'avoir perdu mon temps à le lire, j'aurai mieux fait de relire ou Proust, ou Céline. Il a parlé du bombardement de Leipzig et de sa paraît-il irremplaçable bibliothèque. Moi je parlerai de mon fantasme de pilonnage de tous ses bouquins. Et pourtant en lisant « le tissu de mémoire » par Lucien Dällenbach, je m'aperçois que La route des Flandres est le plus lu des romans simoniens. Eh bien, cela ne m'incite pas à lire un autre de ses ouvrages. M. Dällenbach dit aussi que c'est un texte pour se perdre. Il parle de la désorientation du lecteur, cela a été mon cas. Désorientée, en perte de repères, j'ai refermé le livre sans en avoir retenu « la substantifique moelle ». Bye bye, Claude Simon.
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J'ai mis longtemps à finir La route des Flandres ; je n'ai pas aimé le lire, mais j'adore l'avoir lu ! Il est très frustrant pour moi de ne pas être arrivé à l'apprécier plus, et à m'y investir plus, alors que ce roman est un des plus remarquables que j'ai lu.

Il n'y a pas vraiment d'intrigue (George revit, dans le désordre, ses souvenirs de guerre ; obsédé par la mort faussement accidentelle de son cousin éloigné, le capitaine de Reixach, il ressasse les conditions qui l'ont mené à son suicide assisté, le compare à son ancêtre qui se serait lui-aussi suicidé dans des conditions similaires ; revenant sur des détails, sur ce qui s'est passé ou aurait pu se passer, tout en traversant des paysages de guerre qu'on peut résumer à une entropie dans toutes les directions de ce qui est vivant, mort , ou inanimée, le temps lui-même se figeant ou faisant des boucles sur ces évènements) mais ce roman est instructif d'un point de vue littéraire. La ponctuation disparait puis réapparait, en général sous forme de virgules ; les points sont rares, les phrases sont longues, des parenthèses restent ouvertes suffisamment longtemps pour oublier qu'il s'agissait d'une parenthèse, avec des incises dans des incises dans des incises. Cela peut porter à confusion si l'on n'est pas attentif. Et du fait des phrases longues, du rythme monotone, et du contenu en grande partie descriptif du texte, j'ai eu du mal à garder toute mon attention dessus. C'est un tort car il y a des choses admirables, même en dehors des caractéristiques techniques de la prose et de la ponctuation ; l'auteur s'exprime avec un style élégant mais aussi comique lorsqu'il souligne le côté pathétique des personnages et de leur situation. J'ai beaucoup apprécié la manière dont le narrateur ou le protagoniste transitionne d'une époque à l'autre dans l'évocation confuse et mélangée de sa mémoire, passant d'un souvenir à l'autre fluidement et sans transition, au cours de la même phrase et en l'espace de quelques lignes ; le parallèle tracé entre le capitaine de Reixach et son lointain ancêtre, la manière dont l'auteur parle de plusieurs choses en même temps, tout est bien construit, bien écrit, et le sujet (débâcle de 1940) est digne d'intérêt.

Claude Simon ne voulait pas écrire un roman mais une oeuvre d'art littéraire, et de ce point de vue c'est une réussite. Attention toutefois, si vous cherchez un roman plus romanesque, la lecture s'annonce difficile – non du fait de la compréhension du texte (on s'habitue vite au style) mais du fait de l'(anti-)intrigue qui peut revêtir un caractère fastidieux (et l'ennui est peut-être le but ; certaines scènes se répètent trois ou quatre fois au cours du roman, parfois sous un angle légèrement différent, de manière à créer cette impression de ressasser encore et encore les mêmes pensées, qui tournent en boucle lorsqu'on a de la fièvre, ou qui "s'enroulent sur elles-mêmes" comme dirait Stephen Zweig, sans qu'on puisse les arrêter. L'effet est réussi, et c'est justement ce qui le rend désagréable).
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