Ne disent-ils pas : « le temps passe » ? Mais là-bas, chez eux, le temps montait tout droit à la verticale de la terre, tout droit vers Dieu. Et les jours et les saisons montaient aussi. Il y avait des hivers à loups et des hivers où les loups se faisaient oublier. C’était toute la différence. Eux n’attendaient rien de l’extérieur – aucun changement – aucune aventure. Ils ne faisaient pas de projet pour plus tard ; et de souvenir, ils n’avaient que celui d’avoir jadis erré ailleurs, d’avoir ailleurs mûri leur existence d’aujourd’hui ; mais tout n’avait eu de sens qu’en fonction de cet aujourd’hui. Et quand les événements ont cessé de jouer un rôle dans la vie d’un homme, alors commence sa vraie vie, sa vie à lui et à personne d’autre.
Elle – impassible – elle – immobile – dernier point fixe du monde qui tourne et chavire – moyeu de roue de la carriole emballée – elle, la garce, la lente, la sûre, la vraie merveille – toute blanche dans sa robe et dans sa peau – elle qui n’a pas souri en recevant mon bouquet. Elle l’a pris dans ses mains comme on prend une bête vivante, un oiseau, en fermant doucement les doigts sur lui. Et elle n’a pas souri. L’absence de son sourire sur sa bouche était comme une aurore. Grave et les cils baissés, elle se ressemblait d’une manière frappante. Une mèche avait glissé sur son oreille et sur sa joue, doucement.
Il existe une antichambre de la vie. En attendant d’être introduite – j’ignore d’ailleurs où et par qui – je tâche de me faire des surprises, de me causer des malheurs tranquilles, des joies simples. Ce livre que je m’écrivis en cachette pour mon vingtième anniversaire, j’avoue n’en avoir pas encore coupé les pages. J’attends, prudente, qu’un ami sûr me le conseille. À une époque où tout alphabète s’improvise littérateur, j’ai quelques raisons de me méfier.
Ce n'est pas Dieu qui me contredira : l'honnêteté c'est d'être soi-même. Et peut-être la sainteté n'est-elle pas autre chose. Personne n'a le droit de juger l'homme qui a été lui-même.
L`écrivain Christiane Singer est décédée le 4 avril dernier. Elle apprend le 1er septembre 2006 qu`il lui reste six mois à vivre et décide d`écrire le journal de son agonie. "Derniers fragments d`un long voyage" a paru le jour même de sa disparition. Jérôme Garcin a choisi de nous lire le moment de l`annonce par le jeune médecin viennois du verdict.