AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
EAN : 9782253017301
336 pages
Le Livre de Poche (17/02/2016)
3.91/5   29 notes
Résumé :
À l’aube du xixe siècle dans une communauté hassidique de Galicie, Nahum, à peine âgé de quinze ans, a dû épouser la fille de Rabbi Melech, Sourele, pour laquelle il n’a aucune attirance. Dans l’univers clos et frénétique de la cour rabbinique, Nahum vit en marge et se réfugie dans l’étude du Talmud jusqu’au jour où il croise le regard de Malka, la très jeune femme de son beau-père. C’est aussitôt la passion qui embrase tout. Les deux jeunes gens ne résisteront ni a... >Voir plus
Que lire après Yoshe le fouVoir plus
Critiques, Analyses et Avis (10) Voir plus Ajouter une critique
3,91

sur 29 notes
5
3 avis
4
5 avis
3
1 avis
2
1 avis
1
0 avis
Israel Joshua Singer raconte dans D'un monde qui n'est plus: “Parmi les differentes histoires que les Juifs raconterent au repas, mon pere lui aussi en raconta une, celle de Yoshé le fou ; d'un fils de rebbe, Moyshe-Haim Kaminker, qui avait quitte sa femme, la fille du rebbe de Shiniave ; et quand il revint plusieurs annees plus tard aupres de son epouse abandonnee, des Juifs l'accuserent de n'etre pas Moyshe-Haïm Kaminker le gendre du rebbe, mais un mendiant du nom de Yoshé Kalb, qui avait abandonne sa femme, une demeuree… Mon pere avait connu Yoshé Kalb et raconta tres bien aux convives, ce jour-la, toute la confusion qui se produisit dans la vie juive autour de cette histoire… Tout le monde etait assis la bouche et les oreilles grandes ouvertes, plein de curiosité pour cette enigme que personne n'avait pu resoudre ; j'etais moi-meme comme frappe de stupeur”.


Le petit Israel Joshua n'oubliera pas cette histoire. Plus tard il en fera la matiere de son premier livre, Yoshe Kalb (Yoshe le veau), ou, dans sa traduction francaise, Yoshe le fou.

Un livre en trois volets. Au premier, le Rabbi des hassids de Nyesheve, Melech, a perdu sa femme et veut se remarier une troisieme fois (ou quatrieme? J'ai perdu le compte) avec une toute jeune fille. Mais pour cela il doit d'abord marier sa fille Sourele. Il precipitera ce mariage, lui trouvant un tout jeune homme, Nahum, verse dans les saintes etudes, qui ne saura comment se comporter avec sa femme, qu'il n'apprecie pas, mais (miracle!) tombera amoureux de sa jeune belle-mere. Ils consommeront leur amour (malheur!), il ne pourra se le pardonner, elle tombera enceinte et en mourra, il fuira, abandonnant Sourele et Nyesheve.

Deuxieme volet. Arrive a Bialogora un jeune homme taiseux qui passe ses journees a recite des psaumes a la porte de la synagogue. Il ne parle a personne et ne demande rien, on l'appelera Yoshe le fou. le bedeau en fera son aide, son homme a tout faire et l'amenera chez lui, ou sa fille, demeuree, croira fermement qu'on lui a amene un futur mari. Quand cette fille se fait violer, on accusera Yoshe et on l'obligera a la marier. Et la ceremonie ie du mariage a peine finie, il fuit.

Troisieme volet. Un homme arrive a Nyesheve, disant: Je suis Nahum. Sa femme, Sourele, le reconnait, il est fete par tous et bientot admire pour son savoir et son ascetisme. Mais arrive un pelerin de Bialogora qui affirme le reconnaitre comme Yoshe le fou. Est-il marie a deux femmes en deux endroits differents? S'ensuivra une grande querelle entre la communaute de Bialogora et la cour hassidique de Nyesheve, dans laquelle tous les grands rabbins de Pologne, Hongrie, Lituanie devront prendre parti, et meme les autorites civiles autrichiennes seront melees. le vieux Rabbi de Nyeveshe en mourra, mais alors qu'on pense a Nahum pour lui succeder, il fuit.


L'histoire est prenante. Israel Joshua Singer est un grand conteur. Mais surtout, j'ai senti que derriere les descriptions de la vie et des coutumes des juifs, hassidiques ou autres, emerge sa critique de toute cette societe.

Chez les hassidim qu'il decrit, le Rabbi, le chef, est venere comme un saint miraculeux, alors que la plupart des fois il n'est pas un grand erudit, bien au contraire, souvent un rustre mal leche qui ne pense qu'a obtenir de plus en plus de dons de ses suiveurs, de ses fideles. Cette direction etant hereditaire, ses enfants se disputent pour la succession, pour le gros lot. Et comme chaque cour veut agrandir son influence, les masses de ses fideles et par la ses revenus, elles se livrent entre elles de vraies guerres d'influence qui peuvent conduire a des altercations et des empoignades entre les suiveurs jusque quand les synagogues: “Les disciples hassidiques de Nyesheve et de Gorbitz s'empoignaient, on assista a des scenes scandaleuses. Sous l'effet de ce nouveau conflit des rivalites professionnelles se transformerent en haines frenetiques. Des communautes en excommunierent d'autres, solennellement. Il y eut des mariages brises. Les parents rappelerent leurs enfants maries et leur ordonnerent de divorcer. Les fanatiques de Nyesheve refusaient d'acheter la viande abattue par leurs ennemis et le vin qu'ils vendaient pour la benediction. Cette viande, affirmaient-ils, était impure. Ils ne voulaient pas etre enterres cote a cote dans les cimetieres. L'agitation s'etendit aux femmes. […] Les journaux viennois publierent des articles enflammes sur la guerre civile qui faisait rage chez les « Juifs a papillotes », les fanatiques de Galicie”.

Les simples juifs ne sont pas mieux servis chez Singer. Leur religion est impregnee de superstitions et de pratiques plutot paiennes. Les differences economiques, de classe, sont enormes. Une multitude de mendiants passe de village en village, de bourg en bourg, et ils peuvent devenir menacants: “Le premier matin apres la foire, les mendiants prirent la ville d'assaut. Comme toujours, les habitants essayerent de distribuer des proutos, mais personne n'en voulut. La foire avait été exceptionnellement reussie. Les mendiants le savaient, et n'acceptaient que les vraies pieces. Ils étaient en greve; ils refuserent les proutos, le sucre et les quignons de pain, qu'ils jetaient avec rage. « Vous pouvez etouffer avec! Donnez-nous de l'argent! » Les villageois grognaient et sortaient leurs groschens”. (Apres le pain et le sucre, les proutos etaient l'aumone la plus miserable. C'etaient des morceaux de papier remboursables par la communaute a un taux bien inferieur a celui de la plus petite piece de monnaie). Et nombreux sont ceux pour qui tous les moyens sont bons afin de s'enrichir, ne serait-ce que peu. Ainsi le bedeau de la synagogue de Bialogora eteint les cierges poses par les fideles pour se garder la cire, et n'hesite pas a pecher dans les caisses de charite. Et qu'en est-il des grands rabbins erudits? Ils sont certes un modele de morale, mais le rationalisme leur est completement etranger. En fin de livre, quand tous les grands magistrats rabbiniques se reunissent pour juger Nahum/Yoshe, le dernier mot sera celui du “Saint de Lizhane": “Vous etes une reincarnation, l'ame errante d'un mort! […] vous n'etes rien vous-meme… vous etes un mort errant dans le chaos du monde!”


Il m'est clair que Singer ne pense pas beaucoup de bien de la facon de vivre et de penser des juifs des shtetl et autres petites communautes provinciales. Et encore moins des cours hassidiques. Son heros, Nahum, est une ame pure, et sa seule salvation est la fuite. Quitter ces societes fermees, anachroniques, obsoletes, non pour etre un mort errant comme on l'a accuse, mais justement pour vivre, arriver a vivre dans une societe qui, plus ouverte, pourra lui permettre de s'affirmer.

Singer lui-meme a fait ce parcours. Il a fui la communaute hassidique de ses parents pour s'ouvrir au monde, a la civilisation occidentale, tout en restant juif et ecrivant en yiddish. Et son ecriture reste attachante, enivrante, meme en traduction francaise. Yoshe le fou, son premier livre, en est deja un bel exemple.
Commenter  J’apprécie          690
C'est l'effervescence dans la communauté hassidique de Nyesheve : le Rabbi Melech marie sa plus jeune fille, Sourele, avec Nahum, le fils d'un autre Rabbi. Mais le fiancé a à peine quinze ans et il n'éprouve aucune attirance pour sa lourde et lente promise. le mariage n'est pas heureux et Nahum se consacre entièrement à l'étude du Talmud. Un jour, il croise le regard de braise de Malka, la très jeune et très jolie troisième épouse de son beau-père. Pauvre Rabbi Melech ! « Que lui restait-il au monde en dehors de… de sa femme ? Ses enfants étaient ses ennemis. Ils attardaient le jour de sa mort pour se partager l'héritage de son empire rabbinique. Aucune n'avait d'affection à lui donner. Mais elle… elle était si jeune, si belle. » (p. 79) Malka se livre tout entière à sa passion pour le jeune époux de sa belle-fille. Nahum tente de résister, mais comment repousser l'amour vrai quand il se présente ? Évidemment, les conséquences seront dramatiques et Nahum disparaît. Quinze ans plus tard, Yoshe arrive à Bialogora. Tout le monde le trouve bizarre, mais on le respecte quand même. « Yoshe ne disait rien. Ses lèvres remuaient, mais pour entonner des Psaumes. Jamais il n'arrêtait de dire des Psaumes, ni quand il allait en courses, ni quand il entretenait le poêle, ni quand il balayait la synagogue. » (p. 179) Voilà que la peste s'abat sur Bialogora : Yoshe est-il coupable ? Il reprend la route et son chemin s'achève à Nyesheve : est-ce Nahum qui est de retour ? Mais qui est Yoshe ? Qui est Nahum ? « Qui êtes-vous ? / Je ne sais pas. / Vous ne savez pas ? […] / Aucun homme ne sait qui il est, répondit l'étranger. » (p. 320)

Ce roman paru en 1933 est terriblement moderne, porté par un style fluide et riche. le mariage n'est pas présenté comme un sacrement heureux et fertile, mais comme l'enchaînement de deux êtres pris au piège d'un serment presque arraché sous la contrainte. L'amour ne s'épanouit pas dans les liens maritaux, mais il survit coûte que coûte au temps et aux séparations. Il y a quelque chose du conte fantastique et de l'épisode biblique dans la disparition et le retour de Nahum/Yoshe. le questionnement identitaire s'étend à la communauté juive dont les visages sont multiples, mélangés, superposés. La lecture de Yoshe le fou nourrit et fait exploser mon intérêt pour la culture juive et sa littérature. À suivre, donc, M. Singer !
Commenter  J’apprécie          150
Ce livre est profond. Il y a tellement de choses à dire que je risque sûrement d'oublier de vous parler de certaines choses. Je ne suis pas une grande critique. Je suis quelqu'un d'assez simple. Je ne veux heurter personne et excusez-moi par avance si mes propos semblent critiquer une communauté. Je préviens le lecteur de ma critique que je vais un peu spoiler. ;-)
J'ai refermé ce livre avec des sanglots coincés dans la gorge; tout d'abord en raison de l'aspect humain. Cela a été un crève-coeur de voir la souffrance de Nahum errant en n'ayant que dans la bouche la récitation des psaumes pour se faire pardonner d'avoir perdu sa bien-aimée en pensant avoir commis un pêché impardonnable. Je pense qu'il s'auto-flagelle dans l'espoir d'être pardonné en haut et de pouvoir la retrouver.
Le plus triste dans cette histoire, c'est que son esprit est hanté par le pêché qu'il a commis et le fait qu'il ait perdu Malka.
Le monde hassidique est tellement exigeant et nous le découvrons dans le roman. En même temps, on ne peut que louer le respect d'une loi, une éducation bien structurée et respectueuse du divin. Malheureusement, mon côté humain et empathique fait de multiples objections. Il faut savoir se libérer de certaines contraintes pour vivre dans l'amour. Quand on tombe sur une mauvaise personne, il est évident de ne pas s'enfermer à perpétuité dans un malheur sans amour.
J'ai été très surprise aussi par la sévérité et parfois le manque de tolérance des hassidiques; ce qui m'a choqué c'est la violence physique aussi. C'est un monde très extrême qui ébranle mon coeur fragile. Je suis une grande romantique et je pense qu'il vaut mieux blesser une personne en la quittant que de rester et la rendre malheureuse. Sourele aussi aurait pu être heureuse plutôt que de subir sans broncher. Elle a le rôle de la personne abandonnée et qui n'a plus le droit de vivre parce que son mari s'en va. On la juge sévèrement en pensant que c'est sa faute. Trop de sévérité. Pourtant, la torah nous enseigne d'aimer son prochain comme soi-même. Il ne faut pas oublier l'amour. le seigneur est amour.
Je suis mitigée parce qu'il y a aussi un profond respect qui règne dans ce roman. Un respect silencieux qu'on a peur d'ébranler et le silence a toute sa place dans ce livre et on le comprend. Je crois que c'est ce silence qui ébranle le coeur du lecteur.
Je conseille ce livre qui nous secoue de par sa différence, par un monde pas toujours facile à comprendre mais qui nous aide à réfléchir et à comprendre même à travers les non-dits.
Je n'ai pas tout dit. Je trouve qu'il y a un sentiment d'inachevé mais en même temps, il faut parfois s'arrêter avec cette souffrance parce qu'on ne peut finalement pas revenir en arrière !
Commenter  J’apprécie          10
Israël Joshua Singer est le frère aîné d'Isaac Bashevis Singer dont j'apprécie particulièrement les romans et les contes.

Après avoir regardé les trois saisons de la série « Shtisel » sur Netflix, j'ai eu envie de rester un peu dans l'univers des juifs orthodoxes.

Ce roman nous entraîne dans une communauté hassidique d'Europe de l'Est à la fin du XVIIIème siècle.

Le jeune Nahum, à peine pubère, est marié à Sourele,14 ans, fille du Rabi de Nyesheve. Si Sourele, qui n'a pas un physique des plus agréables, se sent investie de la mission de rendre son époux heureux, le jeune homme, lui, ne la regarde qu'à peine, passe ses journées à étudier les textes sacrés et évite de remplir son devoir conjugal.

Leur vie commune aurait pu s'écouler ainsi pendant des années. Mais, le Rabbi de Nyesheve vient de se remarier pour la quatrième fois. La nouvelle épousée, Malka, est à peine plus âgée que sa fille Sourele et jouit d'une grande beauté.

Nahum, pour son plus grand malheur, va tomber fou amoureux de Malka, sa jeune belle-mère. Il s'enfuira de la cour du Rabbi et errera sur les routes pendant 15 ans, passant ses journées à réciter les Psaumes. Il sera surnommé Yoshe le fou.

Son retour après cette longue absence va déclencher un cataclysme dans la communauté hassidique.

J'ai aimé ce roman parce qu'il m'a fait découvrir l'univers des cours rabbiniques avec ses coutumes, ses croyances mais aussi ses mensonges, ses hypocrisies, les maux et les dérives causés par une religion extrêmiste.

Au moment de la parution en 1932 de ce roman, Israël Joshua Singer fut comparé par les critiques à Balzac, Dickens, Tolstoï. Je suis d'accord : il a le talent de décrire sans complaisance cette société, que ce soit les plus fortunés ou les mendiants.

Commenter  J’apprécie          40
Israel Josha Singer, dès son premier roman, montre toute la palette qu'il développera si bien de conteur d'histoires où la vie quotidienne et les traditions ashkenazes sont complètement liées. Dans Yoshe le fou, il y a une histoire d'amour interdit mais surtout la présence constante des oppositions parfois violentes entre juifs hassidiques et mitnagdimes (ou opposants) - les premiers figurants un courant plus humanitaires de la foi, les seconds la version ultra-orthodoxe de l'application de la Loi - et surtout un style et un sens du récit qui arrivent à rendre très facile à lire ce qui aurait pu à priori se révéler un peu ardu ou rébarbatif. J'ai appris plein de choses sur les coutumes, les rituels, et même si il est impossible de retenir tous les termes et leurs significations, leurs historiques,etc l'ensemble est abordé sous une forme de récit passionnant. Ca ne veut pas dire qu'il soit facile de s'y retrouver dans la foultitude des personnages dont les noms, à mon niveau, se ressemblent tous. C'est d'ailleurs une des caractéristiques majeures de Singer que de savoir brosser les portraits des protagonistes qui les rend tous (et ils sont nombreux!) très présents et intéressants.
Une oeuvre dont le seul bémol est d'être un peu trop courte, ce que Singer saura dépasser dans plusieurs de ses romans suivants, notamment son chef d'oeuvre à mon goût Les frères Ashkenazi.
Né d'un père rabbin hassidique, Singer se révoltera contre la tradition et on sent déjà ici sa vision acerbe et très critique de l'absurdité d'une société basée sur la religion et les interdits, et le respect au sens strict de la Loi talmudique. Gageons que, s'il avait vécu à la création de l'état d'Israel et qu'il ait décidé d'y émigrer (déjà, ça serait étonnant), on l'aurait plutot retrouvé à Tel-Aviv qu'à Jérusalem...
Commenter  J’apprécie          20

Citations et extraits (12) Voir plus Ajouter une citation
Ensuite, très tard dans la nuit, deux vieux Juifs édentés, d’honorables habitants de Nyesheve, vinrent le chercher pour le conduire à la chambre nuptiale, lui parlant mystérieusement du premier devoir d’un mari et des commandements auxquels il doit obéir. Ils le poussèrent dans la chambre et claquèrent la porte derrière lui. Perdu, dans le désarroi, Nahum se sentit comme un enfant abandonné par sa mère dans un endroit inconnu. Au milieu d’une mer de coussins et de couvertures blancs, une paire d’yeux le fixait. Il leur jeta un regard terrifié, entrevoyant des joues en feu, et une étrange tête féminine enveloppée dans un fichu blanc avec des rubans rouges. Il fut stupéfié. Une sueur froide lui couvrit tout le corps. Dans son angoisse où se mêlaient la peur et la honte, il chuchota silencieusement : « Mama. » Le lendemain matin son beau-père le convoqua dans sa chambre et lui ordonna de s’asseoir. Rabbi Melech s’assit en face de lui, rapprochant sa chaise tout près. Il colla son visage contre celui de Nahum ; la colère faisait trembler sa barbe et ses papillotes. « C’est une sale affaire ! dit-il d’un air menaçant. Une très sale affaire ! C’est dégoûtant ! Nous ne comprenons pas ce genre de chose à Nyesheve. On ne se conduit pas de cette façon ! Dégoûtant ! » Nahum recula, se faisant le plus petit possible. Il avait la langue paralysée. Il avait peur de son beau-père, avec sa terrible barbe. Il avait peur des hordes qui l’entouraient. Il avait même peur de ce visage au milieu de la mer d’édredons, peur des yeux ouverts et des joues en feu, dont le souvenir l’ahurissait encore. Un seul mot, « Mama », se forma sur ses lèvres mais aucun son ne sortit.
Commenter  J’apprécie          400
Les premiers jours de la peste les Juifs durent s’en remettre aux médecins. Un flot incessant de femmes en haillons se dirigeait vers la maison de Samson, le guérisseur. Il ne pouvait s’occuper de tous. Elles frappaient sur sa porte avec leurs poings. « Assassin ! Ouvrez ! » Les bourgeois allèrent chez le médecin polonais, Yeretzki, un homme excentrique au mauvais caractère. Il détestait les Juifs. Il criait après eux comme s’ils lui avaient infligé une blessure. Il les battait même parfois. « Pantin ! » disait-il méchamment en imitant leur yiddish. « Moishe ! Montre-moi ça, oï veh ! — Prince ! le suppliaient les Juifs, la tête découverte. Après Dieu, Professeur, vous êtes le plus grand. » Les Juifs riches consultaient le médecin cosaque, Shalupin-Shalapnikoff, un général dont la barbe descendait jusqu’à la taille. Il était toujours de bonne humeur, même en présence d’un malade agonisant. « Nitchevo, mon cher, nitchevo ! » disait-il toujours de sa voix profonde, consolante. Les médecins travaillaient, examinaient, donnaient leur diagnostic, faisaient des ordonnances et se lavaient soigneusement les mains à l’eau chaude. Cela ne servait à rien. La peste s’étendait de jour en jour. Puis les Juifs, désespérés, se tournèrent vers Reb Borouch, qu’ils appelaient le Rabbi des femmes. Il se mit à travailler toute la nuit, fabriquant des amulettes ordinaires, et d’autres détenant un pouvoir spécial contre l’apparition d’un mal général. Ils lui demandèrent aussi des herbes séchées qui, pilées et enfermées dans de petits sachets, avaient des vertus particulières. Reb Borouch possédait en outre certains remèdes rares et précieux contre la maladie et la mort. Des morceaux d’ambre sur lesquels le Maggid de Kozhenitz, bénie soit sa mémoire, avait dit des prières, des fragments de sucre noir qui avaient touché les lèvres du saint grand-père de Shpoleh, des colliers de dents de loup, des doigts de Satan, des ceintures en vieux tissu, de l’huile bénite de la ville de Safed en Terre sainte. […] Les femmes stériles mesurèrent la circonférence du cimetière avec des coupons de lin qu’elles donnèrent aux bonnes œuvres pour le trousseau des jeunes mariées pauvres. D’autres alignèrent des mèches de bougies tout autour du cimetière. Elles espéraient ainsi créer un cordon infranchissable devant l’Éternelle Maison des Morts, afin qu’elle n’accueille plus de vivants. Ce fut peine perdue. La peste s’étendait de jour en jour.
Commenter  J’apprécie          210
Reb Pesachiah n'élevait jamais la voix. Il avait ordonné sa vie selon les enseignements des moralistes, et maîtrisé tous ses mauvais penchants. Il savait que la colère était un mal ; céder à la rage équivalait à s'agenouiller devant une idole. Il savait aussi que les sages avaient dit : un homme coléreux ne peut être professeur. Durant toutes ses années de labeur, jamais il n'avait adressé une parole dure à un élève, même sous le coup d'une extrême provocation. A Rachmanivke, il lui était parfois arrivé de lancer un regard sévère à Nahum ; à présent il pourrait encore moins se le permettre, car Nahum était le gendre du rabbi de Nyesheve ! Il se contentait de lui lire une page ou deux de l'ouvrage d'un sage en guise de sermon.
Commenter  J’apprécie          60
Un seul lieu était encore éveillé –la synagogue. Le rabbi et ses disciples disaient les prières du premier soir de Shavouot. Une faible lumière éclairait les fenêtres. Malka n’écouta pas les voix des fidèles, elle ne vit pas la lueur de leurs bougies. Elle voyait seulement la nuit, elle entendait les voix muettes de la forêt. Chuchotements secrets, senteurs mystérieuses, évocatrices. S’éloignant de la cour, elle approcha des bois, distinguant l’odeur de chaque arbre. Ses narines frémissaient comme celles d’un animal en chasse. Ses yeux grands ouverts, avides, suivaient le tracé des sentiers, parfois attirés par un ver luisant. Elle percevait l’éclat phosphorescent du bois en décomposition. Autour d’elle la nuit prenait vie.
Commenter  J’apprécie          00
« Yoshe ne disait rien. Ses lèvres remuaient, mais pour entonner des Psaumes. Jamais il n’arrêtait de dire des Psaumes, ni quand il allait en courses, ni quand il entretenait le poêle, ni quand il balayait la synagogue. » (p. 179)
Commenter  J’apprécie          20

Video de Israël Joshua Singer (1) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Israël Joshua Singer

Erri de Luca La Fabrique de l'ombre
Erri de Luca --La Fabrique de l'ombre -- Où Erri de Luca, après la projection du film de Robert Bober : "A Mi-Mots : Erri de Luca", parle de son histoire avec Naples -"je dois t'apprendre, après je dois te perdre"-, des arbres qui fabriquent de l'ombre, de la surface, de la profondeur et de Hofmannsthal, de la compagnie des livres, de l'écriture et de la lecture, des langues, le Grec et le Latin, le Français, de l'Anglais et de Harry de Luca, de l'Hébreu ancien et du Yiddish, de Israël Joshua Singer et du Russe, à l'occasion de "Paris en Toutes lettres", au Centquatre à Paris - 7 mai 2011 - Erri de Luca -La Fabbrica dell'ombra - Dove Erri de Luca, dopo la proiezione del film di Robert Bober: "A Mi-Mots : Erri de Luca", parla della sua storia con Napoli, degli alberi che fabbricano dell'ombra, della superficie, della profondità e di Hofmannsthal, della compagnia dei libri, della scrittura e della lettura, delle lingue, del Greco e del Latino, del Francese, del Inglese e di Harry de Luca, del Ebraico antico e del Yiddish, di Israele Joshua Singe e del Russo, in occasione di "Paris en Toutes Lettres", al Centquatre a Parigi - 7 maggio 2011
+ Lire la suite
autres livres classés : pologneVoir plus
Les plus populaires : Littérature étrangère Voir plus


Lecteurs (91) Voir plus



Quiz Voir plus

Jésus qui est-il ?

Jésus était-il vraiment Juif ?

Oui
Non
Plutôt Zen
Catholique

10 questions
1830 lecteurs ont répondu
Thèmes : christianisme , religion , bibleCréer un quiz sur ce livre

{* *}