Visions, tome 5 : La breloque du destin

Je m'accrochais à Dominic, me déplaçant sur ses genoux, mes jambes s'entrelaçant aux siennes pendant que nos corps se pressaient plus près. Je le serrais fort, me sentant merveilleusement bien. Mes émotions fusaient comme un étourdissant feu d'artifice multicolore.

Le baiser devint plus profond, violent et pourtant doux. Aucun mot ne pouvait décrire ce qui se passait. Je ne me suis pas arrêtée pour réfléchir, plongeant le cœur en premier dans ces sentiments. Quand j'embrassais Josh, je pouvais toujours penser et, parfois, je faisais même des listes et des plans dans ma tête. Josh était facile à vivre et n'exigeait rien. Dominic, lui, était aussi différent que le chaud et le froid. Sans prononcer une parole, Dominic demandait tout. La chaleur se répandit de mes jambes jusqu'à ma tête, et toutes pensées raisonnables s'envolèrent de mon esprit.

De nouveaux tabous brisés pour cette ancienne bonne fille. Tromper mon petit ami. Comment une mauvaise action pouvait-elle me faire sentir aussi bien?

Une partie logique d mon esprit (peut-être Opal me sermonnant) m'avertissait que ce moment prendrait fin un jour. Nous allions devoir revenir à la réalité : l'école, la famille, les amis... Josh. Il y aurait des conséquences. Cependant, je fis taire cette voix. Pour l'instant, Dominic était ma réalité. Je voulais n'être qu'avec lui...

Tout à coup, il s'écarta.

- Ce n'est pas bien, dit-il.

- Ça me semble bien, murmurai-je en le tenant serré et en le ramenant vers moi. D'ailleurs, il fait froid et nous conservons notre chaleur. Il s'agit de survivre. Encore des baisers, s'il te plait, ordonnai-je, comme une enfant demandant une seconde portions au repas du soir.

- Sabine, sois sérieuse. Où cela nous mène-t-il? Demanda-t-il d'une voix hachée. Tu appartiens à un autre mec.

- Je n'appartiens qu'à moi.

- Et Josh?

- C'est fini.

- Tu es sérieuse?

Dominic glissa sa main caressante le long de me mâchoire, remontant jusqu'à mes cheveux et les repoussant de mon visage.

Je n'hésitai qu'un court instant avant d'admettre ma propre vérité et d'acquiescer. Plus question de faire semblant avec Josh, même s'il était un garçon formidable et que nos amis pensaient que nous formions un couple idéal. Ce n'était pas cela, les bases d'une relation. J'avais peut-être laissé les autres m'influencer en fréquentant Josh pour être appréciée et acceptée. À présent, je m'acceptais moi-même.

Josh aurait toujours une place dans mon cœur, et je l'aimais comme on aime un bon ami. Toutefois, l'amitié n'avait rien à voir avec mes sentiments pour Dominic. Nous étions faits l'un pour l'autre ; ma tête se nichait contre sa poitrine, mes lèvres se moulaient aux siennes et ses bras s'enroulaient autour des miens. C'était plus que du désir. C'était réel.

Je ne me mentirais plus à moi-même, ni à Dominic, ni à Josh. J'avais ouvert une porte, et je ne pouvais plus revenir en arrière. Dominic était celui que je désirais.

- Alors, tu vas rompre avec Josh? Insista Dominic.

- Oui, oui, oui.

Je déposai des baisers le long de son cou.

Il gémit, puis il m'écarta doucement.

- Nous ferions mieux d'arrêter.

Tout d’abord, je crus qu’elle avait pris mon père pour quelqu’un d’autre.
Mais c’est moi qui faisais erreur.
À propos de mon père.
Par la suite, mon père m’avait conduite dans un café presque désert et nous nous étions assis à la table l’un en face de l’autre. La peine et la colère bouillonnaient en moi comme le thé dans ma tasse, et me laissaient un mauvais goût.
— Ne me regarde pas comme ça, Sabine. Laisse-moi t’expliquer, s’il te plaît, dit mon père d’une voix basse et peinée qui, habituellement, m’aurait influencée.
Mais je restai de marbre en m’abreuvant d’amertume brûlante.
Pourtant, je ne pouvais pas m’empêcher d’écouter alors qu’il parlait.
Il m’expliqua qu’avant son mariage avec ma mère, il avait rencontré Crystal au casino où elle travaillait comme croupière. Crystal était belle, débridée et imprévisible, à l’inverse des filles convenables de bonne famille qu’il fréquentait d’habitude. Il se croyait amoureux et il la demanda en mariage. Ils furent fiancés pendant seulement quelques semaines, avant qu’elle ne le plaque pour un homme riche plus âgé. Papa avait eu le cœur brisé, mais il s’en était remis rapidement, et il avait fini par épouser ma mère. Je suis née un an plus tard.
Il ne savait même pas que Crystal avait eu un enfant, jusqu’à ce que son mari meure, il y a quatre ans, endetté auprès de tellement de créanciers que sa femme et sa fille déclarèrent faillite. C’est à ce moment-là que Crystal avait cherché mon père et lui avait présenté Jade, âgée de treize ans : sa fille aînée.
— La ressemblance de Jade avec toi ne laissait aucun doute sur le fait qu’elle était de moi.

Le morne matin gris convenait à mon humeur maussade. Je m’étais levée tôt et j’avais sauté le petit-déjeuner; à présent, mon
estomac grondait. Je n’avais pas voulu conduire jusqu’ici, pourtant, je me sentais attirée par cette maison comme une mouche par un papier collant.
Je devais voir la rouquine encore une fois. Je ne lui avais jamais parlé, et je ne connaissais presque rien d’autre que son nom : Jade. J’avais essayé de me mettre au diapason avec elle psychiquement, mais mes émotions instables court-circuitaient mon sixième sens, et je n’avais rien obtenu.
La partie rationnelle de mon cerveau savait que la fille n’avait rien fait de mal. Néanmoins, je la détestais quand même, et je voulais la blesser aussi profondément qu’elle m’avait blessée. Elle était mon ennemie — la demi-sœur secrète que mon père avait cachée jusqu’à hier.

Pourquoi les adultes disaient-ils toujours cela? Comme s’ils savaient tout et qu’ils croyaient qu’être jeune, c’était être idiot. Mais papa avait tort — je comprenais davantage qu’il ne le pensait. Il n’était pas le seul à avoir des secrets.
J’en cachais un énorme à Josh — mon séduisant et doux petit ami qui avait confiance en moi. Josh n’avait pas été très disponible, dernièrement; nous n’avions donc pas passé beaucoup de temps ensemble. Peut-être étions-nous en train de nous éloigner l’un de l’autre. Je n’en étais pas certaine, mais, à moins de nous séparer, c’était incorrect de ma part de désirer un autre garçon. Pourtant, c’est ce que je ressentais pour Dominic (homme à tout faire et apprenti employé par ma grand-mère Nona) depuis que nous travaillions ensemble pour découvrir un remède pour la maladie de Nona. Pis encore — dans un moment étincelant de vie ou mort, j’avais embrassé Dominic, et j’en avais éprouvé du plaisir. À présent, je ne pouvais plus m’arrêter de penser à lui.
Comment pouvais-je juger mon père, alors que j’étais aussi coupable?

Cela avait été un hasard — ma découverte.
Alors que papa me reconduisait à la maison (après une journée angoissante meublée par la trahison, la violence et les policiers), son portable avait sonné. Je voyais bien à la façon discrète de papa de murmurer et de me jeter des coups d’œil qu’il se passait quelque chose d’étrange, alors j’avais fait semblant de dormir. Cependant, la comédie avait pris fin quand papa avait fait un crochet par cette maison, où il avait été accueilli par une fille d’à peu près mon âge et par une femme que je supposais être sa mère. À part ses cheveux roux, la fille me ressemblait de façon choquante. J’éprouvai encore un plus grand choc quand elle enroula ses bras autour de mon père et qu’elle l’appela «papa!»