AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de ClaireG


Un monde sur mesure. Quel titre bien choisi !

Le monde de la mode. La mode est un monde et après lecture, on comprend mieux les arcanes d'un domaine qui semble tellement superficiel. Dans « Au Bonheur des Dames », Emile Zola pointe le formidable essor économique de Paris, la construction des boulevards haussmanniens et le développement des grands magasins où la fièvre acheteuse de la bourgeoisie crée quantité d'emplois dans la mode féminine. Ces temples du prêt-à-porter signent aussi la disparition des petits commerces.

Il y a des similitudes et des traits de caractère aussi.

Vêtements, habits, fripes, fringues, loques, chiffons, shmattès en yiddish.

C'est l'histoire très brève mais ô combien touchante de la saga familiale de l'auteure depuis les années 1920 jusque dans les années 2000. Son arrière-grand-mère paternelle, fille de tailleurs, émigre de Pologne à Charleroi (Belgique) où, pour survivre, elle se met à acheter et vendre ce qu'elle peut sur les marchés, sans renoncer à exercer un jour le métier familial. Ainsi démarre l'aventure belge qui, au cours de la Deuxième Guerre mondiale, connaît des coupes sévères et douloureuses dans ses rangs.

Dans les années 1970, les parents de Nathalie nourris par leurs gênes, ouvrent un premier magasin de vêtements à Gand. Ils voient grand et s'adaptent très vite à une clientèle exigeante et changeante. La croissance du bien-être donne une impulsion très dynamique au commerce gantois qui va se démultiplier jusque dans Bruxelles. le père gère et la mère opère ses achats au Sentier à Paris, quartier mythique du textile où elle fait ses choix aussi bien chez les grossistes que chez les fabricants.

Avoir l'oeil et le flair est une condition sine qua non dans ce commerce qui se répand comme une traînée de poudre. La concurrence est rude, les clients veulent sans cesse de la nouveauté, ce qui est « tendance » mais pas comme tout le monde. le travail est inépuisable, acheter, stocker, étiqueter, changer les étalages, susciter l'attrait de la clientèle, lui donner l'envie de dépenser son argent.

Suivant la tradition, Nathalie travaille dans l'entreprise familiale durant sept ans comme directrice et coresponsable des achats. Accompagnant sa mère au Sentier, elle découvre ficelles et arrangements d'un métier qu'elle a toujours connu mais pour lequel elle ne se sent guère d'affinité.

Dur constat d'un monde qui l'est tout autant : « L'esprit de compétition nous aveuglait. Il nous faisait nous méfier de tous. Notre course seule ne nous intéressait pas, nous ne lui donnions de la valeur qu'à condition d'être mise en comparaison avec celle de nos rivaux. Nous n'étions grands et forts que par rapport aux faibles et aux petits Personne n'existait en soi. Seul l'autre avait la capacité de nous reconnaître. Une loi intangible jusqu'à l'absurde » (p. 160).

Les Juifs d'Afrique du Nord se sont bâti une solide réputation de bons faiseurs dans le Sentier. Dans les années 90, dépassés par leur succès, ils cherchent des ateliers d'appoint, de la main-d'oeuvre fiable, discrète, rapide et endurante. C'est ainsi que peu à peu les Chinois de Paris rachètent des locaux délaissés et deviennent les principaux fournisseurs en shmattès de la place.

Ainsi va la vie, tout change en permanence. Dans les années 2000, les parents Skowronek ont anticipé la crise économique et ont revendu leurs magasins. Les grandes enseignes internationales font à présent les délices de notre société de consommation. La concurrence est toujours aussi âpre. Les ateliers de confection des pays producteurs, clandestins ou non, sont construits à la va-vite et parfois un immeuble s'effondre et cause la mort de centaines et de centaines de personnes comme le Rana Plaza au Bangladesh en 2013. Remplacés aussitôt par d'autres. Sinistre retournement des valeurs, le profit domine la vie humaine.

Autre vie pour Nathalie, tenaillée par l'écriture. Son premier roman paru en 2011 « Karen et moi », touchante rencontre littéraire d'une petite fille avec l'oeuvre de l'auteure de « La Ferme africaine », est d'emblée finaliste de plusieurs prix littéraires belges, dont le Rossel.

Un Monde sur Mesure est le quatrième livre de cette auteure belge à la plume lisse, érudite et observatrice de son monde, extérieur et intérieur. A recommander chaleureusement.

Commenter  J’apprécie          592



Ont apprécié cette critique (48)voir plus




{* *}