Mercredi 14 Septembre, vers 8 h du mat'.
Je commence à parcourir la longue liste de masse critique, je remarque la présentation des livres par ordre croissant de demandes. Haha, on me l'a fait pas à moi ! D'un raccourci clavier me voilà en toute fin de liste sur le livre le plus demandé, déjà 400 demandes. Jamais entendu parler de ce bouquin. Pourtant il s'est passé quelque chose que je ne m'explique pas. La curiosité ? La flemme de chercher ? Une démangeaison à l'index ? La connerie ? J'ai cliqué pour recevoir le livre le plus demandé.
Vendredi 16 septembre.
Reçu un mail de Babélio m'annonçant que je vais recevoir le livre. Quel livre ? Ah oui, «
La petite librairie de Riverside Drive » de Frida Skyback. J'aurais dû jouer au loto avant-hier. Ou pas.
Samedi 17 septembre :
Après renseignement, le livre est un feel good. Je ne lis pas de feel good book. Il fait 550 pages. Je ne me sens pas bien.
(Attention, ce qui suit n'est pas un vrai spoiler. Au contraire, je n'y parle que de moi et mes réticences à lire ce livre. En le sautant on tombe directement sur la fin, où je chronique -un peu- mes ressentis de lecture)
Lundi 20 Septembre :
Mine de rien, le livre commence déjà à me travailler alors qu'il n'est même pas en transit vers chez moi. C'est quoi au fond, un feel good book ? Est-ce à dire qu'on ne se sent pas bien avec les autres ?
Mercredi 22 Septembre :
Je googlise Frida Skyback. J'aurais peut-être dû commencer par ça. L'autrice est connue en Suède, le livre que je vais recevoir est son premier traduit en France. Il y a beaucoup de portraits d'elle sur la toile, on la reconnaît facilement à sa chevelure léonine. Comment, alors qu'elle n'a jamais été traduite en France, a-t-elle pu autant susciter l'intérêt des lecteurs sur Babélio avec ce livre pas encore sorti ? Les gens ont-ils fait comme moi, un raccourci clavier et un clic ? Ou bien y a-t-il un réseau feel good ? La renommée en Suède du livre et de l'autrice l'ont-ils précédé ici ? Ou y a-t-il eu matraquage médiatique et marketing ? Et enfin, un feel good book, ça se lit ou se consomme ?
Jeudi 23 Septembre
C'est arrivé à beaucoup d'entre nous. La rencontre d'une personne dont on sait déjà que ça ne va pas le faire. Il suffit de pas grand-chose, une présence, des paroles, une gestuelle, un je ne sais quoi dans l'air. Une répulsion qui peut se manifester physiquement, son propre corps qui refuse d'avancer.
Aujourd'hui j'ai reçu le livre.
J-30
Le compte à rebours Babélio est commencé. Il me reste 30 jours pour publier ma chronique. (Et surtout lire le livre). Je l'ouvre au hasard, page 291 : « Un peu avant d'arriver à la librairie, elle s'adossa à un mur et médita sur son sort : qu'avait-elle fait au bon dieu pour mériter ça ? »
Et moi donc ? Oui je sais, j'ai cliqué. C'est peut-être péché.
J-25
Ça y est je m'y suis mis hier soir, alors qu'il reste 25 jours pour la chronique. Je suis encore large. Lu 12 pages, j'en suis page 19 avec les pages blanches du début. Jusque là je me suis senti détendu en le lisant, je me suis même très vite endormi dessus. L'effet feel good fonctionne peut-être bien chez moi, même si à vrai dire je me suis surtout ennuyé.
J-20
Comment choisit-on un livre quand l'acte est réfléchi ? Qu'est-ce qui nous pousse à avoir envie de le lire ? En dehors des recommandations, conseils ou influences, il y a des codes derrière toute édition, qui nous incitent à telle lecture plutôt que telle autre, en fonction de nos goûts, de nos références, nos habitudes. le titre, l'iconographie, le genre... Les codes du feel good book semblent prôner l'optimisme (béat?), la comédie parfois dramatique mais légère, la facilité de lecture. « Un livre de plage ».
Les attentes du lecteur entrent en ligne de compte aussi. Personnellement, je ne m'attarde pas forcément sur l'histoire, même si j'aime découvrir des choses, en adéquation avec la forme. Je préfère de loin la littérature générale, pas forcément « facile » à lire. Comme beaucoup j'aime quand c'est bien écrit. Mais ça veut dire quoi bien écrit au final ? Un feel good book ne le serait-il pas, s'il retient son lecteur sans le bousculer, en réalisant son objectif de bien-être, le lecteur conscient des modalités du genre ?
J- 14 :
Dans ma vie d'avant, je veux dire quand je lisais des livres « qui ne sont pas des livres qui font se sentir bien », j'étais capable de m'envoyer un bouquin de 600 pages en deux trois jours, sans presque mettre le nez dehors. J'ai peut-être changé. Aujourd'hui j'ai fait du shopping dans la grande ville d'à côté. Fringues, déco d'intérieur. Lunettes de soleil. Café en terrasse. Visite d'expo. Je suis passé aussi à Cultura, et j'ai remarqué une cinquantaine de bouquins, alors qu'avant je ne trouvais pas ceux que je cherchais quand j'y passais par hasard. Aurélie Valognes, Joêl Dicker, ….. Tous ces auteurs que je ne voyais pas avant m'intriguent. Je discute avec la vendeuse en prétextant un livre à offrir, de préférence un feel good book, que pense-t-elle de « La petite librairie de Riverside Drive » de Frida Skybac ? Elle ne l'a pas lu mais elle a entendu dire qu'il est très bien.
J-10
J'ai remarqué le bouquin posé sur la table basse du salon, la couverture cachée. Je l'ai retourné. Pour la première fois la couverture ne m'a pas révulsé. C'est peut-être un début.
J-8
Ça vous est peut-être déjà arrivé. Une personne que l'on ne sentait pas dès la première rencontre. Une personne que l'on est malgré tout obligé de côtoyer, professionnellement ou par voie de liens familiaux, ou amicaux. Une personne que l'on découvre peu à peu, qui commence l'air de rien à nous toucher par sa maladresse, surtout quand on comprend qu'elle le sait, elle en a parfaitement conscience qu'elle est comme ça, que les gens ne l'apprécient pas souvent aux premiers contacts.
J'ai réouvert le livre.
J-7
J'ai lu le livre jusqu'à la page 37. Il m'ennuie toujours. le fond et la forme sont trop plats, convenus et (faussement?) naïfs pour mes attentes. Je ne réussis pas pour l'instant à surmonter mes réticences sur le genre.
J-5.
Nouvelle tentative. J'ai fermé-claqué le livre, énervé par ses facilités flirtant avec la niaiserie. L'effet feel good book ne fonctionne pas sur moi. Je n'ai vraiment pas envie de continuer la lecture, malgré la chronique qui doit paraître.
J-3
Je commence aussi à me poser des questions sur cette chronique écrite régulièrement. J'ai peut-être passé jusqu'à aujourd'hui plus de temps à l'écrire qu'à lire le livre. Est-ce que je n'enfonce pas des portes ouvertes ? Est-ce que je ne serais pas sous influence du livre sans le savoir avec cette chronique longue et sans intérêt ?
Fin spoiler
J-1 avant de poster cette chronique qui n'en est pas vraiment une, vu que je n'ai pas lu le livre. J'ai l'intention de déposer le pavé dans la boîte à livres de mon village. Ces derniers temps j'ai continué la lecture, jusqu'à la page 53. Toujours rien niveau sensations, si ce n'est de l'ennui. Abandon.
Jour J
Je dois poster ma chronique, mais j'ai encore les neurones qui s'emmêlent les pinceaux.
Si j'avais lu ce livre, aurais-je pu dire que je serais sorti de ma zone de confort habituelle (en lisant un feel good) pour entrer dans une zone d'inconfort, alors que tout est fait dans le genre feel good pour être dans le confort de lecture justement ? Ou bien aurais-je dû plutôt dire que je serais sorti d'une zone d'inconfort pour entrer dans une zone de confort ? Ou passé d'une zone de confort à une autre ?
Au secours.
Ce feel good book est en train de me retourner le cerveau, par sa seule présence hypnotique chez moi. Comme s'il m'envoûtait, m'exhortait à me sentir bien alors que je me sentais très bien avant qu'il n'arrive... J'ai l'impression loufoque de ne pas sortir indemne de ce feel good book sans y être seulement entré.
J+1
Je suis en retard pour la chronique, pourtant le décompte des jours me semble être passé dans le positif avec son +, je ressens paradoxalement comme un poids en moins. Avant d'envoyer la chronique, j'ai fixé la couverture, et j'ai repris la lecture sans réfléchir. Comme quand j'avais cliqué dessus le 14 septembre. J'ai ressenti au loin comme une vague lueur. C'est les vacances et je le lis par bribes, le mental débranché. L'héroïne a même commencé à me faire sourire. Ça me rappelle les lectures de magazine people dans les salles d'attente, pas du tout mon genre mais pourtant j'aime bien les lire dans ces circonstances. Là c'est un peu pareil, pas mon genre mais j'accepte. Ça me détend par moments et me fait passer le temps comme si j'étais dans une salle d'attente. Mais en attente de quoi ? (j'avais pas l'impression de m'ennuyer avant...). En tout cas je me suis mis définitivement dans la disposition d'esprit « waiting room » et je parviens à avancer un peu.
Le pitch : Charlotte est une veuve du fin fond de la campagne suédoise quand elle hérite une librairie londonienne de sa tante Sara qu'elle n'a jamais connue. Qui est Sara ? Pourquoi sa mère Kristina ne lui a jamais parlé d'elle ? Pourquoi Charlotte hérite-t-elle de cette librairie ? Si le lecteur (très distrait) n'a pas compris ou rate le début des interrogations et des mystères, pas de panique il y aura des sessions de rattrapage : page 25 (« Et surtout, pourquoi sa tante la lui avait-elle léguée ? » ) page 36 (« Pourquoi Sara tenait-elle à ce qu'elle hérite de sa librairie ? » ) ou encore page 194 (« pourquoi diable Sara lui avait-elle légué la maison ? » ). Il faut dire que le travail semble mâché par ici. Pas d'ellipse, on ne semble pas faire confiance au lecteur, on lui dit tout et encore plus (voire des choses longues et inutiles) de ce qu'il doit savoir pour continuer, sans jamais faire confiance à sa sagacité. Est-ce ça le style feel good ? En tout cas il se dégage une sensation de prose bavarde, jusque dans les dialogues et ses articulations :
« – J'espère que je ne vous ai pas effrayée.
Elle secoua la tête.
– Mais non. »
Mais peut-être dans les feel good est-il utile de préciser pourquoi elle secoua la tête suite à une interrogation, ça pourrait être en effet parce qu'elle avait juste besoin d'aérer sa chevelure.
J'ai eu la sensation d'une narration qui patine, parsemée de métaphores clichés ou capillotractées sur un fond de naïveté généralisée. Est-ce la marque du feel good ? (oui je sais j'ai déjà posé la question.... je dois être sous influence). En tout cas la qualité littéraire semble oubliée par ici. Voire même la relecture : « En général, Kristina et lui étaient si occupés à s'embrasser qu'ils n'ont jamais remarqué que Kristina les regardaient par la fenêtre ».... Sacré Kristina, capable d'embrasser le copain de sa soeur Sara tout en se regardant faire par la fenêtre, dans le flash-back sur l'histoire de Sara et sa soeur (la tante de Charlotte qui a hérité) lors de leur voyage en Angleterre dans less années 80.
Quant aux personnages, je les ai trouvés à l'image du roman, à moins qu'ils le façonnent. Convenus et plats. Ça peut aller jusqu'à la psychologie féline, ronronnante : « Le chat prit un air vexé avant de se lever et de sauter lestement au sol. le museau en l'air, il s'éloigna en faisant la moue pour montrer à quel point il trouvait indigne ce genre de traitement ». Est-il utile de préciser d'un chat qu'il fait la moue quand on parle d'un chat à l'air vexé dans la phrase précédente ? (Sans parler de l'anthropomorphisme généralisé)
Mais en dépit de ses redondances dans l'écriture, il peut se passer un truc. Une vague envie de continuer, si l'on accepte d'être tiré vers le bas de l'exigence dans la forme, en se mettant dans la peau d'un lecteur un peu flemmard et heureux de l'être, si l'on accepte les ressorts d'une intrigue qui apparaît convenue elle aussi, jouant sur l'attrait du lieu (une librairie charmante et son aura culturelle avec des livres majeurs parsemant ça et là le récit comme des cheveux sur la soupe), des personnages aux contours psychologiques clichés, des disparitions bienvenues donnant lieu à des trous dans la vérité à découvrir.
J+2 :
Aujourd'hui j'ai eu du mal à continuer la lecture et à me mettre dans le state of mind « waiting room ». Alors je suis allé pour de bon dans une salle d'attente pour continuer la lecture.
Coïncidence ou pas, les discours me paraissent encore plus creux, j'ai l'impression que les gens de ce livre parlent souvent pour ne rien dire, un peu comme dans la salle d'attente justement. En tout cas je me montre très feel good envers eux et je les welcome à tout va. le médecin ne devrait pas tarder.
J+3
Voilà, j'ai lu 250 pages d'un feel good book de plus de 500. L'effort a été intense pour moi. Je ne peux pas dire s'il est bien, s'il mérite plutôt 4,37 étoiles ou 1,86 au sein de la production feel good. Disons qu'il est. Si je note par contre mon plaisir subjectif de lecture, c'est 1,5 étoiles grand maxi.
J'ai déposé le livre dans la boîte de mon village en lui souhaitant une belle vie de bouquin. Hier, le médecin de la salle d'attente où j'étais s'est montré très compréhensif quand il m'a reçu en fin de journée, après que j'ai cédé ma place à tous les clients. Je lui ai raconté mon histoire avec ce livre en lui précisant que je me sentais très bien. Il m'a prescrit un petit séjour à la maison de repos du coin. C'est marrant, elle est juste à côté de la boîte à livres de mon village, peut-être pourrai-je voir qui va l'emporter. de retour chez moi, j'ai commandé l'intégrale d' « À la recherche du temps perdu », histoire de passer le temps dans ma nouvelle demeure.
Merci à Babélio masse critique ainsi qu'aux éditions Charleston pour cette expérience de lecture (et aux courageuses lectrices ou courageux lecteurs de cette chronique s'il y en a ^^)