L'épouse silencieuse

- Il a dit qu'il m'avait vue, qu'il m'avait désirée, et qu'il savait que j'étais trop coincée pour lui adresser la parole, alors il était obligé de me forcer.
- Tommi, tu sais que ce n'est pas ta faute, appuya Sara.
- Ouais, il faut arrêter de demander aux victimes de viols ce qu'elles ont fait de mal, et commencer à demander aux hommes pourquoi ils violent.

Les téléphones portables à l’intérieur d’une prison pouvaient être très dangereux, même si tous les prisonniers ne les utilisaient pas dans un but délictueux. L’État prenait sa commission sur tous les appels passés à partir de la ligne fixe, à raison d’un minimum de cinquante dollars pour acheter une carte téléphonique, auxquels venaient s’ajouter cinq dollars pour un appel de quinze minutes, et encore cinq dollars supplémentaires à chaque fois qu’on voulait ajouter du crédit sur sa carte. La solution alternative consistait à louer un téléphone à clapet auprès d’un autre détenu pour, grosso modo, vingt-cinq dollars de l’heure.

Et puis, il y avait les motifs délictueux. Les smartphones pouvaient être utilisés pour trouver des informations personnelles sur les surveillants, superviser des organisations criminelles par le biais de textos cryptés, racketter les familles des autres détenus en échange de « protection » et, surtout, se faire de l’argent.

Dès le départ, Sara avait fait avec Jeffrey tout ce qu’il n’aurait pas fallu. Elle s’était laissé flatter, ce qui ne lui ressemblait absolument pas. Elle avait joué les femmes faciles et avait couché avec lui dès leur premier rendez-vous. Elle s’était mise en danger, car Jeffrey était le premier homme avec qui Sara avait une relation après avoir été brutalement violée à Atlanta.

D’habitude, Sara trouvait toujours une façon de le tirer de sa coquille mais, ces derniers temps, elle avait atteint une limite dans ce domaine. Elle aimait Will de tout son être. Elle ne désirait rien de plus au monde que passer le restant de ses jours avec lui. Elle ne réclamait pas de feu d’artifice ou de parade, mais elle aurait au moins voulu qu’il lui pose cette foutue question. « Ça fera plaisir à ta mère », c’était un but dans la vie, pas une demande en mariage. Et que Will ait laissé passer quarante-trois jours sans plus jamais aborder le sujet, c’était tout simplement exaspérant. Sara ne voulait pas d’un mari silencieux. En tout cas, une chose était sûre : elle n’accepterait certainement pas d’être une épouse silencieuse.

Un an au moins s’était écoulé depuis qu’elle avait demandé le divorce. Jeffrey avait cru que la colère de Sara finirait par s’éteindre d’elle-même, mais elle avait pris la forme d’une flamme éternelle. D’un point de vue intellectuel, il comprenait pourquoi elle n’arrivait pas à tourner la page. Non seulement il n’était qu’un connard infidèle, mais en plus il l’avait humiliée au passage. Sara l’avait littéralement surpris la main dans le sac : dans leur lit, dans leur maison, avec une autre femme. N’importe quelle épouse normale aurait eu de bonnes raisons d’être furax. Mais c’est ce que Sara avait fait ensuite qui était terrifiant.