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Steven Spielberg et Tom Hanks ont réalisé deux séries télé sur la vie et la mort de soldats américains pendant la dernière guerre mondiale. La première relate à partir du livre de Stephen E. Ambrose les péripéties de la Easy Company du mythique 101ème régiment de parachutistes engagé sur le front de l'Ouest à partir de 1944, la seconde celles d'une section de servants de mortiers de la 1er division de marines dans le Pacifique. Pour ce second opus, les réalisateurs ont construit leur oeuvre sur la base de ce livre d'Eugène Sledge, « Frères d'armes ». Il existe une sorte d'asymétrie entre les qualités respectives des images et des mots.Autant à mon humble avis, le livre d'Ambose se révèle décevant par rapport à la qualité des images, autant ce livre d'Eugène Sledge domine la série « The Pacific » pourtant aussi réussie que « Band of brothers ». Ce livre n'est pas un manuel d'histoire sur la guerre du Pacifique, il ne traite même pas de l'intégralité des deux brasiers dans lesquels l'auteur et ses camarades ont été jetés, irradiés, Peleliu et Okinawa. Si deux ou trois annexes, avec quelques cartes, une chronologie n'auraient pas été inutiles il n'en demeure pas moins que ce livre peut être lu sans pré-requis. Autre réserve, l'affreuse couverture de l'édition française des « Belles lettres ». La photo avec ce marine « GI Joe » qui ajuste virilement sa cible est complètement décalée, me semble t-il, avec le propos du livre. Ce n'est absolument pas un livre d'aventures guerrières ; la photo d'un visage ravagé, d'un cyclone, voire d' une tombe eussent été beaucoup plus appropriées. Car s'il s'agit d'un extraordinaire témoignage historique, c'est d'abord un exceptionnel récit d'une terrible descente aux enfers d'un être humain, qui du gendre idéal devient un guerrier expert, une machine à tuer. La banalité du mal...où comment un gentil fils de médecin, famille tranquille, peut congédier des valeurs sur le respect de la vie, du prochain. Au fil de cette descente aux enfers, Eugène Sledge a trouvé le temps, les mots, ne serrai-ce qu'au plus profond de son être, pour mémoriser, graver ce dégoût de lui, des événements avec une force hallucinante. Il a su capturer ses émotions, au-delà des réactions attachées aux actes de survie les plus primaires imposés par cette guerre. Le livre proprement dit, n'a été écrit et publié que bien plus tard (1981). On pense inévitablement à Jorge Semprun avec « L'écriture ou la vie », la tragédie du survivant du camp qui doit choisir entre raconter et réapprendre la vie. Car c'est l'autre dramatique révélation, la fin des combats ne met pas un terme aux épreuves, la réinsertion dans la vie « civile » est douloureuse, voire impossible pour nombre de vétérans ; trouver un travail, réapprendre des relations humaines... . Une fois éteints les feux d'artifice de la victoire, les héros deviennent vite des indésirables, leur regard, leur silence portent l'horreur, la déshumanisation absolue des jours et des nuits de feu et de sang. Cet ouvrage a aussi le mérite de relater des aspects situés dans un angle mort de l'histoire officielle de ce conflit. Pour beaucoup, les combats ont cessé le 08 mai 1945. Cette date correspond « uniquement » à la capitulation allemande, le cauchemar ne s'est arrêté que le 02 septembre 1945. Entre temps, Okinawa, Hiroshima, Nagasaki…excusez du peu... Oubli sur la phase finale, mais aussi sur le début. La guerre en Asie a commencé non pas à Pearl Harbour en 1941 mais avec l'invasion par les troupes japonaises de la Chine en 1931. Il y a une forme de racisme académique dans le positionnement du curseur, comme si les souffrances inouïes de la population chinoise, les milliers de morts ne comptaient pas, s'agissant d'une guerre uniquement entre jaunes. Un livre dont la lecture devrait être programmée au lycée comme l'est par exemple le journal d'Anne Franck ; enfin tant que les sciences humaines représentent encore un intérêt pour les managers de l'Educatnat. Respect, Eugêne + Lire la suite |