Je remercie chaleureusement Babelio, Masse Critique et les Presses Universitaires du Midi, car ce titre a tenu toutes les promesses de la quatrième de couverture, qui m'avait attirée. La préface, par contre, m'a fait croire un moment qu'il s'agirait d'une lecture difficile, rébarbative. de plus, le fait qu'il s'agisse d'une pièce de théâtre me rebutait, je n'avais pas relevé cet aspect lors du choix du livre. J'avais tort. L'écriture est fluide, limpide. Tout en lisant, j'imaginais les personnages sur scène.
Il s'agit de l'oeuvre d'un auteur dramatique polonais contemporain,
Tadeusz Slobodzianek. Également metteur en scène, il dirige actuellement le Théâtre dramatique de Varsovie.
Il s'est inspiré d'un fait réel, la vie de Romuald Jakub Weksler-Waszkinel, né dans un ghetto de Varsovie, confié par sa mère juive à un couple de polonais catholiques, afin de le sauver.
Leonard Neuger, dans sa préface, renvoie cette pièce au Jugement biblique de Salomon dans le Premier Livre des Rois. Deux mères se disputent un enfant. Salomon leur propose le choix entre deux solutions : soit il coupe l'enfant en deux et en donne une partie à chacune. Soit celle qui le chérit le plus le laisse à l'autre pour qu'il puisse vivre. " La mère - décide finalement Salomon - est celle qui préfère donner l'enfant à l'usurpatrice plutôt que de le condamner à mort."
Pour ma part, plus loin que ce symbole, j'y vois la quête difficile de l'identité (c'est ce qui m'a attiré dans le livre) et la critique féroce des communautés trop fermées (religieuses ici, mais on peut facilement extrapoler).
Les parents adoptifs de l'enfant (Marian dans la pièce, puis Jacob) l'ont élevé comme leur fils, avec beaucoup d'amour, et dans leur foi. Il est devenu prêtre. La pièce nous décrit alors la vie d'un prêtre ingénu et pur découvrant les dessous de la vie des religieux et des fidèles qui partagent son quotidien. Il est terrorisé par les confidences qu'il doit écouter en confession :
"Marian : Pourquoi c'est à moi que vous dites tout çela ?
Curé : C'est la tradition, mon père, vous êtes prêtre, nous nous confions les secrets de nos âmes...
Marian : Comment pouvez-vous continuer à être prêtre ? Confesser ? Communier ? Donner la communion ?"
"Marian : Mon Dieu, ai-je pensé, c'est donc ça, la vie ?"
A l'âge de 35 ans, au cours d'une conversation importante avec sa mère, il découvre qu'elle n'est pas sa vraie mère, et qu'il est juif :
"Maman : Je t'ai juste sauvé. C'est une Juive qui t'a mis au monde. Elle a dit : sauvez-le au nom de ce Juif en qui vous croyez, au nom de Jésus, il sera prêtre et enseignera..."
"Marian : Qui étaient mes parents ?
Maman : Je ne sais pas. Ton père était le dernier tailleur du ghetto.
Marian : Tu ne sais pas comment ils s'appelaient ?
Maman : A quoi bon le savoir ? Pour être torturée par les Allemands ? Si je me faisais prendre ?"
Dès lors, il se sent "double" :
"Marian : Essaie de comprendre. Maintenant, je suis double. J'ai deux mères. Deux pères. Une soeur Catholique et un frère Juif qui a été assassiné enfant. Il est toujours avec moi. Je suis Juif et je dois essayer d'être Juif parmi les Juifs."
il va rechercher des traces de sa famille juive. L'ayant retrouvée grâce à une religieuse, il prend le nom de Jacob et va en Israël pour la rencontrer. Sa volonté est de ne renier aucune de ses deux personnalités, il veut rester prêtre catholique tout en devenant juif, puisque le souhait de sa mère juive était qu'il soit prêtre catholique :
"Marian : Aujourd'hui, j'ai eu la révélation. je suis un Juif de Jésus..."
"Jacob : C'est moi. Un prêtre portant la kippa et la collerette."
Il est très bien accueilli, mais c'est une famille pratiquante (son oncle est rabbin) qui a déjà programmé sa vie future :
"Oncle Noam : On est soit un canard, soit une poule...
Voilà ce que tu vas faire. Nous avons des kibboutz religieux où les Juifs reviennent à la foi. Tu vas entrer dans un tel kibboutz. Tu ne peux pas t'appeler comme ton père. Ça n'existe pas chez les Juifs. Ça porte malheur. Nous allons te trouver une Juive, belle de corps et d'esprit, qui te donnera des filles et des fils. "
Il va tenter de faire beaucoup de concessions, mais sans succès.
"Rabbin : Peut-être n'est-ce pas une bonne place pour toi ici ?
Jacob : Pourquoi ? Je me sens bien avec vous. de quoi s'agit-il ?
Rabbin : Tu ne devais pas manifester tes sentiments de prêtre. Et pourtant tout le monde sait que tu portes une croix... As-tu entendu parler de la communauté de Jacob à Jérusalem? Ce sera peut-être un bon endroit pour toi. La communauté des Juifs de Jésus. Prêtres. moines..."
Arrivé dans cette communauté, bien accueilli, il apprend aussitôt qu'il lui est loisible uniquement de participer à des travaux ménagers : "Cuisine, lessive, ménage". Il ne doit pas utiliser Internet :
"Frère Daniel : Internet, c'est la plus grosse maladie de tous les temps".
La pièce se termine dans cet impasse :
Jacob : Merci.
J'ai étudié la philosophie,
J'ai fait mon doctorat,
Des centaines d'articles, de sermons,
Et j'ai atterri à la laverie...
(...)
Jacob : Daniel, je n'ai pas encore défait mes bagages ! Je peux m'en aller !
Frère Daniel : Alors va-t-en !
Jacob : je vais aller aux archives.
Ce sera une promenade agréable.
Je trouverai un café
Où il y a Internet.
J'écrirai à Stefa (sa soeur)
Je répondrai aux mails.
J'ai pris ma valise.
Qui suis-je ?
Je ne sais pas.
Remettre tout cela en ordre.
Je le veux vraiment.
Quel silence.
Quel abandon.
Plus personne.
Je suis sorti dans la rue
Et j'ai fermé la porte derrière moi."