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Maud Mabillard (Traducteur)
EAN : 9782940701339
330 pages
Editions des Syrtes (25/08/2022)
3.33/5   23 notes
Résumé :

Les Jours de Saveli est un petit traité de survie, écrit de manière très originale de la perspective d’un chat, mélange de tendresse, d’humour, de tristesse et de résignation, véritable métaphore de la vie humaine.
Le chat Saveli nait dans une cour d’immeuble délabré et ouvre les yeux dès l’instant où il vient au monde. Doté d’une curiosité insatiable, Saveli met son museau ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (8) Voir plus Ajouter une critique
J'étais content il y a un mois de recevoir ce livre dans ma boîte aux lettres et remercie Babelio et les Editions des Syrtes pour l'envoi de ce dernier ainsi que pour le petit mot manuscrit sur la carte postale qui l'accompagnait. Je n'avais jamais encore rien lu de cette maison d'édition mais jetterai un coup d'oeil à leurs publications.

Oui il y a un mois j'étais content, aujourd'hui je le regrette, non pas car le roman est mauvais bien au contraire mais car je sais que je ne lui ai pas accordé toute l'attention qu'il méritait. Suite au décès de ma grand-mère la semaine dernière je n'avais plus la tête à le finir. Ce roman est tombé au mauvais moment et j'écris déjà ce retour avec 2 jours de retard. Je me suis forcé hier à finir ce dernier me doutant de sa fin logique bien que plus brutale que ce que je m'étais imaginé.

Les jours de Saveli prend la forme de la biographie de Saveli, le narrateur de cette histoire, détail important : c'est un chat. Un chat curieux et plein d'entrain à nous raconter sa vie, ses souvenirs, ses expériences et pensées sur ses maîtres. Un chat qui aime bien les longues digressions aussi : sur la ville où il est né et a vécu : Moscou ainsi que sur ces maîtres successifs et des pans de leur vie.

Certains passages sont joyeux, d'autres dramatiques pour ce chat qui jusqu'à la dernière page restera libre. Je m'attendais à quelque chose de moins dense, il y a peu de dialogue et j'ai souvent eu l'impression de lire quelque chose d'assez compact avec une multitude d'informations là où je n'aspirais qu'à une lecture simple. Je m'attendais également à avoir plus d'éléments concernant la particularité du narrateur, s'il y en a bien sûr, le roman reste très tourné vers le monde extérieur que découvre ce chat et les différents maîtres qu'il aura. Sur la vie à Moscou, des chats bien sûr mais de ses habitants et de leur mode de vie.

Les jours de Saveli, je le ressens est un livre qui aurait mérité de ma part une plus grande attention lors de ma lecture pour en profiter pleinement sans que je ne le termine alors que mes pensées divaguent ailleurs, sans être pris par le temps pour écrire ce billet qui aurait été sans doute différent dans d'autres circonstances, à un autre moment.

Les jours de Saveli est un bon roman que j'aurais aimé découvrir à une autre période.
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Toutes les vies de Saveli, chien moscovite

Premier roman de Grigori Sloujitel, quadragénaire russe, Les jours de Saveli racontent à travers ses yeux, le quotidien d'un chat à Moscou. Une perspective qui nous permet d'en apprendre beaucoup sur l'évolution de la société sous Poutine.

Une portée de chatons, nés «dans le vieux quartier marchand de la Taganka, au fond de la ruelle Chelapoutine, sur la rive haute de la Iaouza», va devoir apprendre à survivre. Sorti de la boîte en carton nichée devant le vieil hôtel particulier des Morozov, Saveli, qui n'est pas le plus beau d'entre eux, est pourtant embarqué par Vitia pour divertir sa famille qui se serre dans un appartement vétuste. Une nouvelle vie qui lui convient plutôt bien, ayant le gîte et le couvert et l'affection des habitants dont il tente de décrypter le fonctionnement. Il pressent alors ce que pourrait être «l'étrange accord entre chat et homme». Une sorte de privilège, «quand on cesse de s'appartenir; quand on soumet sa volonté à cet être bizarre. Quand le besoin d'affection de l'homme rencontre l'instinct de survie du chat. Quand, finalement, le chat se résout à lui faire confiance, et que l'homme, comme je l'ai entendu dire, le pare de capacités mystiques, d'une aptitude à guérir, à voir les mauvais esprits dans la maison. Quand le maître tire plaisir des soins qu'il prodigue, donnant à boire et à manger au chat, et que le chat, infiniment reconnaissant, désireux de montrer son dévouement, s'applique de toutes ses forces à ne rien faire.»
Mais l'idylle est de courte durée, car il faut faire place nette. Et chercher un nouveau refuge. La chance va lui sourire à nouveau puisque Galia l'adopte à son tour. «Ma nouvelle maîtresse me donna à boire, à manger, et me nomma Kay. Elle louait un appartement dans un grand immeuble de la Bolchaïa Polianka. La jeunesse s'éteignait lentement dans ses fenêtres avec des scintillements d'adieu.» le problème cette fois, c'est qu'il n'est pas le seul pensionnaire. Un perroquet le rend fou, tant et si bien qu'il met fin à ses jours avant de s'enfuir.
En galère, il croit bien voir sa dernière heure venue lorsqu'il est raflé dans le cadre d'une opération «rue propre». Mais une fois encore, le destin va lui être favorable. On a besoin de chat au Tretiakov, car des rats ont fait leur apparition dans le musée. Avec toute une troupe, il est chargé de les chasser. Une tâche dont il s'acquitte honorablement avant de repartir pour de nouvelles aventures qui le verront successivement battu presque à mort par un vieillard, recueilli par des émigrés kirghizes, retrouver Ludwig, son voisin du dessus, tomber amoureux de Greta, découvrir le «BARACHATS» avant de boucler la boucle en retrouvant l'immeuble en ruines de la ruelle Chelapoutine
C'est avec finesse et subtilité que Grigori Sloujitel dépeint la vie à Moscou. Sans jamais en dénoncer frontalement les travers, il donne à voir les difficultés à se loger, à se nourrir, à se chauffer. On perçoit parfaitement la dichotomie entre les aspirations à davantage de liberté, à un modèle occidental et le poids des conservateurs, la chape de plomb qui au fil des années devient de plus en plus difficilement supportable. La corruption est loin d'avoir disparue, les petits trafics prospèrent, les prébendes ont toujours cours. Et la ville en constante extension s'asphyxie dans les transports, se heurte à des chantiers qui s'ouvrent un peu partout sans que jamais ils prennent fin. Et comme les chats, les habitants se débrouillent. Soit ils profitent du système, soit ils le contournent. En attendant des jours meilleurs.

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La rentrée littéraire des Editions des Syrtes a été féline : de cette rentrée entre deux romans sur les drames de chacun, des faits divers, de relations toxiques en tous genres, et je ne critique pas, je suis la première à aimer lire ce type de textes, ce roman accorde une bouffée d'air, de douceur et d'humour, bienvenus. C'est le premier roman de Grigori Sloujitel – Григорий Служитель – diplômé et comédien sur la scène aussi bien que devant la caméra, il exerce également ses talents en tant que chanteur. L'auteur russe Evgeny Vodolazkin a eu un coup de coeur pour ce roman et l'excellente idée de le préfacer : il y confie son étonnement face à la maturité de l'écriture d'un titre qui est la toute première oeuvre de l'auteur.


Effectivement, j'ai d'emblée été surprise par le langage très châtié de ce minou, de la vivacité de sa pensée, de la sensibilité et l'intelligence qui le caractérisent. Aux premiers abords, Savali à tout l'air d'un chat de gouttière, pedigree inconnu, et qui passe les premiers mois de sa vie entre sa mère et ses soeurs dans un vulgaire carton de bananes. Notre narrateur félin n'a rien à envier aux hommes qu'il côtoie en matière de capacités cognitives et en matière de goûts, qui le portent vers l'amour de l'art, c'est un mélomane averti, il ne jure que par L'Amoroso de Vivaldi et la dégustation de fromage blanc à troi pour cent de matière grasse, dont il tient le nom. C'est avec plaisir que l'on suit le récit focalisé sous la paire d'yeux de notre bête à quatre pattes auxquelles il arrivera toutes les choses qui peuvent arriver à un chat : adoptions, bagarres de rue, visites chez le vétérinaire. Et pour rajouter un peu de piment à cette histoire déjà bien facétieuse, le chat de Grigori Sloujitel est moscovite et dans son errance, entre deux foyers, il nous amène dans tous les recoins de la capitale russe depuis son lieu de naissance, la rue Chelapoutine. Dans une interview donnée à Novaya Gazeta, Grigori Sloujitel concède que Moscou fait partie intégrante de l'histoire, la vie de Saveli est une sorte de visite guidée de la capitale, et de sa transformation au fil des années, qui, comme chaque métropole, a vu l'apparition de commerces propres à notre modernité tels que les bars à chats.

Notre matou russe se prénomme Saveli. Mais aussi Termijan, Auguste, au gré de la volonté de ses maîtres successifs. Car avec tout le caractère de chat qui est le sien, il s'empresse de fuguer, tôt ou tard, à chaque fois que l'un de ses maîtres voudrait bien le garder à ses côtés. Saveli est davantage un chat trois-étoiles, doté d'un flegme et d'un sens de l'humour assez savoureux. Il est difficile, par exemple, de se retenir de sourire à cette description du chat du chef de l'état à l'occasion des voeux télévisés : l'auteur sait, nous savons, mais dans cette vision féline pleine de cette innocence tellement pure qui ne s'attarde que sur la calvitie du dictateur russe, est à pleurer de rire « Un homme sérieux, un peu chauve et vêtu de noir, occupa tout l'écran. Il nous regardait avec compassion et compréhension ». Je l'ai relu plusieurs fois avec le même plaisir à chaque fois. Ou l'art d'utiliser un chat pour amorcer une esquisse de satire. L'auteur russe évoque son roman comme une série de de séparations et de pertes, Saveli a effectivement un peu la guigne, de foyer en foyer, il trimbale avec lui le doux et mélancolique souvenir de sa jeunesse de chaton auprès de sa mère et ses soeurs, mais il finit toujours par retomber sur ses pattes avec toute ses ressources de félidé.

Une plume riche que l'on goûte avec plaisir, un sens de l'ironie et de l'humour qui tapent juste à chaque fois, une biographie parfaitement échafaudée, j'ai beaucoup aimé cet interlude félin et littéraire, et j'attends avec impatience les titres à venir. Sur son site internet, Grigori Sloujitel affiche les différentes couvertures de son livre, j'ai un faible pour la couverture de la version hongroise qui montre une Moscou depuis les yeux du chat, la couverture italienne met l'accent sur le côté chat de gouttière, la version estonienne montre le chat du foyer, ( je n'ai pas compris la version serbe), chacune mettant en relief l'un des aspects de notre héros à moustaches. L'anthropomorphisme de notre Saveli fonctionne totalement dans ce rôle de chat distingué et de bonne éducation, on a tous et toutes besoin d'un Saveli à lire.






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Il y a des couvertures qui attirent l'oeil, qui vous racontent une histoire avant même d'avoir lu la première page. 

Et puis, il y a des récits qui vous happent du début jusqu'à la fin.

« Les jours de Saveli » réunit tout cela. 

L'auteur, dont c'est le premier roman, nous entraîne dans l'histoire de ce chat moscovite.

Saveli naît dans une famille monoparentale, ce qui est la norme chez les chats. Il grandit auprès de sa mère et de ses soeurs, dans un carton de bananes, entourés par la bienveillance d'étrangers qui les nourrissent régulièrement, à l'ombre d'un hôtel particulier, devenu une clinique obstétrique abandonnée.

Les jours se suivent tranquillement quand Saveli est adopté de force par un jeune garçon. Mais le besoin de liberté est trop fort pour le jeune chat qui s'enfuit et découvre la vie, loin d'un maître et d'un foyer. 

Ce roman de la rentrée littéraire est très réussi. 

La vie de ce chat est une oscillation entre bonnes rencontres et mauvaise fortune, anges gardiens et bourreaux. Une vie féline pas différentes des nôtres. Mais avec un besoin viscéral de liberté, de recherche de nouveaux horizons. 

La plume est vive, maniant avec talent les descriptions et les sentiments des chats. 

J'ai également aimé suivre les pérégrinations de Saveli dans les rues de Moscou, au fil des saisons. 

Et les humains ? Ne vous inquiétez pas, ils ne sont pas absents du récit. Ils sont même très présents, pour la plupart, abîmés par la vie. Sans oublier qu'évoquer la vie des félins est une façon détournée de parler de notre vie à nous. 

Ce roman est un belle reconstitution de tranches de vie moscovite, de sa beauté et de ses échecs. Un récit doux-amer à découvrir ! 
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Gregori Sloujitel' a une connaissance approfondie des chats et de Moscou. C'est ainsi que son roman nous décrit sa ville et ses habitants du point de vue d'un chat nommé Saveli. C'est d'abord un chaton qui découvre la vie dans un carton de bananes, avec sa douce mère et sa fratrie. Il a un sens de l'observation affûté et rien ne lui échappe du comportement des humains, des êtres si étranges. Et des relations avec eux et entre eux. le fil conducteur c'est la vie de Saveli conditionnée par les différentes personnes qui l'hébergent et ses rencontres avec d'autres chats. C'est un personnage très attachant que j'ai eu envie de suivre. Avec lui on pénètre dans le Moscou de l'intérieur et la vraie vie de ses habitants que ne connaîtront jamais les touristes. Au passé et au présent.
Saveli a de la jugeote, un certain humour et une grande sagesse acquise au fur et à mesure des lieux et des péripéties pas banales qui se succèdent. Vivre à Moscou, c'est survivre, qu'on soit un animal ou une personne. La cruauté sauvage d'un vieillard fou y est ici contrebalancée par la sollicitude d'émigrants kirghizes.
J'ai été particulièrement touchée par les trois derniers chapitres, la cohabitation au Château, rappelant le conte des animaux de Brême, la douceur de l'amour et le tragique sans pathos.
La traduction est fluide et les notes de la traductrice apportent de nombreuses précisions sur les realia russes (vie quotidienne, culture, histoire, littérature). Par contre le recours fréquent aux imparfaits du subjonctif alourdit le style et rend les phrases étranges. Son usage (qui n'existe pas en russe) est désormais quasiment obsolète en français contemporain.
Merci à Babelio pour cette masse critique et aux éditions des Syrtes qui m'ont offert ce livre avec un marque-page et une carte assortie. Je ne les connaissais pas et je suis contente qu'elles aient édité cet auteur en français. Leur catalogue de littérature étrangère en fin de volume comporte beaucoup d'auteurs russes et m'intéresse vivement.
L'illustration de couverture montre un chat gris sur un toit sur fond de ville, coupoles et immeubles. L'image est plaisante, mais les couleurs, jaune, vert et bleu ne me conviennent pas pour représenter Moscou. Je préfère la couverture de l'édition russe avec plusieurs chats et des couleurs sourdes en écho à celles de la ville.
J'ai eu du mal à écrire une critique concise parce qu'il y aurait bien davantage à dire sur ce livre, sur le don de Gregori Sloujitel pour susciter les émotions et aussi raconter les trajectoires de vie (comme celle de Sveta) et la grande Histoire avec un regard très personnel, par exemple la conquête portugaise en Amérique du Sud :)
Je laisse le plaisir de la découverte à ceux/celles qui auront la curiosité de le lire.
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Citations et extraits (6) Voir plus Ajouter une citation
(Les premières pages du livre)
EVGUENI VODOLAZKINE
Les Jours de Grigori
En découvrant dans ma boîte aux lettres un texte intitulé Les Jours de Saveli, j’essayai, comme c’est mon habitude, de deviner de quoi il parlait. Le titre m’envoyait dans deux directions: la veine historique et la veine campagnarde. Si l’on pense aux Jours des Tourbine1 , c’était plus probablement l’historique. Le roman parlait d’un chat. Je parcourus les premiers paragraphes, et déjà je ne pouvais plus m’arrêter. Non pas à cause du chat (j’aime infiniment les chats), mais des qualités du texte. L’auteur évitait tous les pièges des débutants: on entendait la voix tranquille et puissante d’un Maître. Cette voix appartient à Grigori Sloujitel, acteur du Studio d’art théâtral. Quand, par la suite, j’émis l’hypothèse que ce n’était sans doute pas son premier roman, il me répondit que si: le premier. Un cas étonnant du domaine de l’art théâtral. Je ne sais pas comment c’est possible. Cela dit, il ne s’agit pas seulement d’un studio: c’est le théâtre de Jenovatch. On y a une oreille particulière pour la littérature, car la majeure partie des spectacles de Sergueï Jenovatch sont des mises en scène de textes littéraires. Je ne suis pas sûr que demain toute la troupe de ce théâtre entrera dans la littérature russe, mais le fait que l’auteur des Jours de Saveli vient de là est symptomatique. Les acteurs et les écrivains se ressemblent beaucoup: les uns comme les autres jouent des vies. Différemment, mais ils jouent. Les écrivains se mettent dans la peau d’un soldat, d’un coiffeur, d’un président – et pour un temps deviennent l’un, l’autre, le troisième. Dans toute écriture de texte, il faut incarner absolument tous les rôles. Le jeu ne prend fin qu’avec le point final. Pour les acteurs, au contraire, c’est à ce moment qu’il commence. Les écrivains sont des créatures empesées, avec des voix ronflantes et mal placées. Leur gestuelle ne vaut rien. Conscients de cet état de fait, ils ne lisent pas volontiers leurs textes en présence d’acteurs. Par des moyens scéniques d’une grande sobriété (un regard baissé, un sourcil levé), les acteurs font comprendre aux écrivains ce qu’ils pensent de leurs capacités d’interprétation. En même temps, écrire un texte est, parmi les acteurs, une chose peu courante. Les acteurs savent que, dans de tels cas, les écrivains, malgré le peu de moyens à leur disposition, sauront toujours afficher une douce tristesse. Une séparation nette des sphères d’activité respectives est à la base de la symbiose entre écrivains et comédiens. Mais il arrive qu’un comédien talentueux et un écrivain talentueux s’unissent en une seule et même personne. Et dans ce cas, les deux talents commencent à agir l’un sur l’autre, se renforçant et s’entretenant mutuellement. C’est ce qui s’est passé avec Grigori Sloujitel. En tant que spécialiste de la littérature, je m’obstine à essayer d’expliquer la naissance d’un écrivain dans sa pleine maturité créative. Je pourrais supposer que l’énonciation, sur scène, de bons textes, forme une personne au style – peu importe si elle écrit ou non. Mais je pense surtout (pas en tant que spécialiste de la littérature) qu’un vrai don, en fin de compte, n’a pas d’explication. Les chats ne sont pas un thème nouveau en littérature. Je ne vais pas faire la liste de tous ceux qui ont écrit sur ces animaux archaïques et intouchables, même si je les recense mentalement. Je ne vais pas non plus parler du fait que, derrière les chats, on devine chaque fois des gens, et je ne vais même pas mentionner la distanciation selon Chklovski. Je me contenterai de dire que les personnages de Sloujitel – quels qu’ils soient, chats ou hommes – sont vrais. Solitaires et souffrant, riant et aimant. Il faut parler à part de l’amour dans ce roman. Il est – par la force des choses – platonique. La plus haute forme d’amour.
En lisant Les Jours de Saveli, je me prenais à penser que, dans ce roman, l’auteur est devenu un chat à part entière. C’est une occupation inhabituelle, on peut dire exotique, pour un habitant de la capitale, mais ô combien importante pour un écrivain. Par son roman, il a prouvé qu’il pouvait désormais se changer en n’importe qui, pendant que nous, assis au parterre, assistions le souffle coupé à ses transformations. En passant du rire aux larmes. Et en nous réjouissant qu’un tel Saveli soit apparu dans notre littérature. Et aussi un tel Grigori, bien sûr.

1. Les Jours des Tourbine: célèbre pièce de Mikhaïl Boulgakov tirée de son roman historique La Garde blanche, qui évoque Kiev au temps de la guerre civile. Quand Vodolazkine parle d’un « Maître » quelques lignes plus bas, on ne peut s’empêcher de penser au Maître et Marguerite du même Boulgakov. (Sauf indication contraire, toutes les notes sont de la traductrice.)


Te souviendras-tu de nos jours lumineux? Te souviendras-tu comme chaque matin nous regardions le soleil paraître sur la Iaouza, comme nous le suivions sur la Bolchaïa Polianka? Te souviendras-tu de nos promenades à pas tranquilles sur la Baumanskaïa?
Te souviendras-tu comme nous descendions la Basmannaïa, dodelinant nos queues à l’unisson?
Souriras-tu, comme à cette heure où le premier rayon tombait sur la coupole dorée de Nikita-le-Martyre, éblouissant tes yeux d’émeraude?
Et la Pokrovka, la Solianka, la Khokhlovka, dis, t’en souviendras-tu?
Seigneur, où tout cela est-il passé?
Où tout cela est-il?

L’HÔTEL PARTICULIER

Je dois reconnaître que, dès le début, je me singularisai par une capacité rare chez mes congénères: je pus observer une petite parcelle du monde avant même d’y être venu. Plus précisément, ce n’était pas le monde, mais les appartements temporaires que l’on a coutume de nommer entrailles maternelles. Comment les décrire? C’était... c’était comme de se trouver à l’intérieur d’une orange tiède, au battement régulier. Au travers des parois troubles en mica, je pouvais discerner les silhouettes de mes frère et sœurs. Mais je n’étais alors pas certain qu’ils n’étaient pas moi. Parce qu’il n’y avait pas encore de « moi ». Quant à vous dire en quoi consistait ce « même pas-moi », j’en serais incapable.
Quelque part, au loin, s’élevait une rumeur. Cette rumeur me semblait hostile. Parfois, j’essayais même de me boucher les oreilles avec mes pattes. Ou plutôt, de boucher ce qui me tenait lieu d’oreilles avec ce qui me tenait lieu de pattes.

Je dois dire qu’alors mes pattes se distinguaient fort peu de mes oreilles, qui elles-mêmes se distinguaient fort peu de ma queue. D’ailleurs, rien ne se distinguait vraiment de quelque chose, à ce moment. Tout était uni et tiède. Tout était tout. Merveilleuse indifférenciation. Rien ne se connaissait et rien n’avait de nom.
Bien entendu, je ne comprenais pas que je grandissais. Au lieu de cela, je me disais que mon havre était en train de rétrécir. Je passais le temps très agréablement et, si l’on m’avait donné le choix, j’aurais sans doute préféré rester là-bas. Cela étant dit, j’eus souvent l’impression, après ma naissance, que je n’avais jamais quitté mon enveloppe originelle. Dans tous les cas, Il avait eu besoin, on ne sait trop pourquoi, que ce sol fût foulé par quatre pattes supplémentaires, que ce monde fût observé par une paire d’yeux supplémentaire (lesquels s’étaient ouverts, comme on l’a déjà dit, avant le terme établi), et que, pour la trillion-et-unième fois, l’écheveau certes réduit, mais combien efficace, d’un cerveau félin, s’efforçât d’ordonner tout cela en pensées.
Mais il semble que j’anticipe un peu 1 . Permettez-moi de décrire les circonstances qui entourèrent les premières semaines, l’aube de ma vie.
Ainsi donc, ma douce mère donna naissance à moi-même, mon frère et mes deux sœurs en juin. L’accouchement fut facile et rapide: ayant senti que « ça venait », elle se glissa sous une Zaporojets couverte d’une bâche et se mit à attendre. La Zaporojets n’avait pas bougé de cet emplacement depuis de longues années, l’asphalte s’était un peu affaissé sous ses roues, la bâche était élimée par endroits. La voiture n’avait plus ni volant, ni sièges, ni phares, ni cendrier, ni manivelles pour lever ou abaisser les vitres, ni aucun autre organe interne. Elle restait là, toute rongée et rognée, comme le cadavre d’une bête sauvage au fond d’un bois. Où était son propriétaire, à présent? Telles étaient les pensées de ma douce mère tandis qu’elle attendait le début des couches. Une petite pluie gouttait doucement, et, avant qu’elle eût cessé, nous étions nés.
Le monde ne tressaillit pas à mon apparition, les cloches de la voûte céleste ne sonnèrent pas. D’ailleurs, à propos de voûte céleste. Cet été-là, les tourbières étaient en feu autour de Moscou, et le ciel était caché sous un smog jaune. Mais je ne connaissais pas d’autre ciel, et celui-ci me semblait magnifique. À travers la brume, j’aperçus les traits du museau de maman.
Ma douce mère portait le beau nom de Gloria. Elle était toute jeune. Elle avait une fourrure rase et lisse, gris foncé. Dans chacun de ses yeux bleus, il y avait une tache qui s’agrandissait et noircissait dans les instants de colère ou de danger. Au-dessus de son sourcil droit courait une ligne blanche oblique qui donnait à tout son être une expression tragique. Ses moustaches étaient longues, bien lustrées: maman prenait toujours soin de sa personne, même dans les moments les plus difficiles. Elle nous renifla et nous lécha consciencieusement. Puis elle enleva le liquide de l’accouchement et nous déposa l’un après l’autre dans un vieux carton à bananes préparé à cet effet. Nous ressemblions à des bonbons Montpensier multicolores et un peu collants, poussions de petits miaulements et nous exposions voluptueusement au soleil. Ô, mon carton ! Mon berceau capitonné de coton de peuplier, qui sentait les bananes Chiquita un peu pourries. Lieu de mes rêves d’enfant, de mes espoirs fervents, de mes peurs, et cætera, et cætera. Profitant de l’avantage de la vue, je pris les devants sur les autres ch
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Bien que Mitia Pliasskine, Abdoulloh et la vendeuse Zina m’eussent souvent pris dans leurs bras, ce n’est qu’à ce moment, en sentant sur moi cette menotte d'enfant, que je ressentis, ou plutôt, pressentis, ce que pourrait être, dans mon avenir, l'étrange accord entre chat et homme. Quand on cesse de s’appartenir; quand on soumet sa volonté à cet être bizarre. Quand le besoin d’affection de l’homme rencontre l'instinct de survie du chat. Quand, finalement, le chat se résout à lui faire confiance, et que l’homme, comme je l’ai entendu dire, le pare de capacités mystiques, d’une aptitude à guérir, à voir les mauvais esprits dans la maison. Quand le maître tire plaisir des soins qu'il prodigue, donnant à boire et à manger au chat, et que le chat, infiniment reconnaissant, désireux de montrer son dévouement, s'applique de toutes ses forces à ne rien faire. p. 38
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Quand je me réveillai, j'étais déjà à la maison, à Chelapoutine. On m'avait mis une drôle de collerette et j'avais affreusement mal aux testicules. Je passai deux jours dans un état second. Au troisième jour, je pus me promener dans l'appartement sans assistance. Au cinquième, on m'enleva le stupide jabot, et je compris ce qui s'était passé. J'avais l'impression d'avoir maigri de cinq kilos, même si, à la dernière pesée, mon poids n'était que de 3,4 kg. Il me semblait m'être déchargé d’un pesant fardeau, aussi lourd qu'une boule de démolition en fonte. Puis mon sentiment de soulagement fit place à la panique. Quoi, c'était fini? Jamais? Avec personne? Pas le moindre chaton ne serait conçu derrière les fagots? L'instinct paternel, qu'entre nous soit dit je n'avais jamais soupçonné en moi, poussa un dernier cri plaintif avant de disparaître. Ô mes testicules! Mes petits œufs de velours! Mes donateurs laineux! Mon capital inutilisé, hélas, était perdu à jamais. p. 84
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Ma nouvelle maîtresse me donna à boire, à manger, et me nomma Kay. Elle louait un appartement dans un grand immeuble de la Bolchaïa Polianka et s'appelait Galia. La jeunesse s'éteignait lentement dans ses fenêtres avec des scintillements d'adieu. p. 91
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Sur la place Andronik, les voitures qui nous croisaient nous adressèrent des saluts respectueux, klaxonnant et s'arrêtant dans un hurlement de freins, leurs pneus dessinant d'élégantes ondulations. Ayant reçu de maman nos premières leçons d'étiquette, nous nous inclinâmes à notre tour et sourîmes avec courtoisie. Le tramway n°20 nous enthousiasmait tout particulièrement. Notre douce mère était partie un peu en avant, et nous nous attardâmes sur les rails, conquis par le charme désuet de l'engin. Lent et brinquebalant, avec un trapèze absurde sur son toit, il arrosa la chaussée d'étincelles, puis s'immobilisa dans un grincement de ferraille, ses grilles-moustaches nous surplombant.
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