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EAN : 9782246717119
337 pages
Grasset (29/08/2007)
3.93/5   7 notes
Résumé :
Tchécoslovaquie, 1942. Des parachutistes atterrissent secrètement en lisière de la ville. Leur mission : éliminer le «boucher de Prague», Reinhard Heydrich, architecte de la Solution finale. Ils y parviendront, mais les représailles nazies seront sanglantes : 10 000 Tchèques seront exécutés ou déportés en quelques jours.
C'est dans ces circonstances tragiques que la mère du narrateur, Ivana, fait la rencontre de Tomáš Bém, l'un des assassins de Heydrich.... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (4) Ajouter une critique
En exergue:
"Le glacier frappe dans le placard,
Le désert soupire dans le lit,
Et la fêlure sur la tasse s'ouvre,
Chemin vers le pays des morts." W.H. Auden

Et ce livre porte une double dédicace aux sept qui moururent le 18 juin 1942 dans l'église Saints-Cyrille-et-Méthode mais aussi à la mère et au père de l'auteur, Olga et Zdenek Slouka, qui vécurent ces années et la moitié de l'histoire.
Cela a son importance, il me semble, même si c'est bien un roman, tant on sent à la lecture de tendresse dans les souvenirs .

Quand la mère du narrateur était elle-même enfant, son père lui avait raconté une légende, la légende du monde sous les étangs:
"Sous les étangs existe un monde. Ceux qui y vivent passent leur journée à regarder vers le haut, comme des astronomes, à regarder les signes venus du monde d'en haut, pleurant ce qu'ils avaient perdu. le bouchon rouge d'un pêcheur qui touchait le ciel, la langue rose d'un chien lapant l'horizon, des enfants vêtus de bulles argentées, comme des oeufs de grenouille, qui s'épluchaient et les suivaient quand ils remontaient à la surface d'un coup de pied..Telles étaient les choses pour lesquelles ils vivaient et durant les longs hivers, ils restaient assis dans le noir glacé près de leurs bougies vert d'eau et se racontaient des histoires fantastiques sur les choses qu'ils avaient vues et qu'ils ne comprenaient pas.
Mais, lui avait dit son père , le trpaslik( elfe) qui connaissait bien le monde d'en haut dans toute sa beauté et sa corruption ,était triste pour eux. Sans comprendre qu'ils aimaient leur tristesse, que la vérité serait comme un poison pour eux, il décida de leur dire ce qu'il savait… Il les trouva, ondulant comme toujours telles des algues dans le courant, le regard levé vers leur ciel aqueux, des larmes aux yeux. Il allait les sauver, pensa-t-il. Il se mit à parler, mais au fur et à mesure, une tristesse plus grande encore s'inscrivit sur leur visage, une tristesse différente de celle qu'il connaissait, et ils se plièrent en deux comme s'ils souffraient et tentèrent de se boucher les oreilles de leurs douces mains vertes; et quand ils découvrirent qu'ils ne pouvaient bloquer le son de cette voix qui leur disait la vérité, ils lui entourèrent la gorge de ces mains vertes et le retinrent jusqu'à ce qu'il cesse de parler. Quand le trpaslik se réveilla, l y avait dans son coeur une douleur et un amour qu'il n'avait jamais connus, et il leva les yeux vers le ciel de lumière aqueuse qu'il ne comprenait pas et se dit que s'il pouvait le regarder pour toujours, il ne désirerait plus jamais rien d'autre."

Une légende qui l'a tant marquée, que quand elle-même racontait cette histoire à son fils, elle n'en racontait en fait que la moitié, et jamais la fin qu'elle prétendait avoir oubliée; comme elle ne lui parlait jamais de son propre passé. Gommé.
Pourtant, comme tous les enfants, surtout quand ils sentent qu'il existe des choses cachées, il écoutait, devinait et tâchait de comprendre. Et il savait certaines choses:
"Qu'il y avait eu une guerre. Que tous les gens qu'ils connaissaient l'avaient vécu d'une manière ou d'une autre. Que la Tchécoslovaquie , le pays d'où venaient mes parents, avait été envahie. Que certains s'étaient battus contre l'envahisseur et d'autres non.
Je savais d'autres choses encore. Je savais que dans le passé , il y avait eu quelqu' un que ma mère aimait beaucoup. Qui était parti chasser sous la pluie un matin et n'était jamais revenu. Qui s'était perdu dans la forêt. Ou qui s'était trop penché sur l'eau. Je le savais à la manière dont les enfants savent les choses et le savoir ne me choquait pas."

Est-ce que la vérité aurait vraiment été un poison, comme dans la légende, est-ce que ne pas raconter à son enfant sa propre histoire, ne le laisser construire sa propre identité qu'à partir du « monde visible », en le préservant des drames d'un monde englouti , en pensant qu'il est possible , comme dans certains quartiers de Prague , de reconstruire une autre strate de vie comme les habitations ont été reconstruites , de laisser le temps enterrer le passé de plus en plus profondément , est vraiment possible? Je ne le sais pas, mais cela donne en tout cas à un romancier du matériel à creuser..

Tout comme enfant,il interrogeait l'entourage de ses parents pour chercher à en savoir plus sur ce que soit disant sa mère avait oublié,mélangeant un peu tout ,le monde de l'étang , les hommes dans la crypte, qui ils avaient tué, comment, pourquoi, cherchant à combler les vides d'incompréhension laissés par les silences adultes, le narrateur devenu lui-même adulte va continuer l'enquête sur place, à Prague, interrogeant tous les anciens témoins ayant survécu susceptibles de le faire parvenir à reconstituer l'histoire de sa mère , de l'homme qu'elle a passionnément mais très brièvement aimé, et du couple formé par ses parents . de sa propre histoire familiale donc. Bien sûr, il n'y parviendra pas. Ou très peu. Des bribes de mémoire..:
"Ils avaient été là, tous, et maintenant ils étaient partis. Comment expliquer une chose pareille? Ils s'étaient adossés à un mur chauffé par le soleil, en cet après-midi particulier de juin, s'étaient frotté le nez avec le poignet, avaient écarté de leurs doigts les deux oreilles d'un abricot trop mûr. Et maintenant ils n'étaient plus. J'en étais venu à aimer deux d'entre eux: leurs voix, si je devais l'entendre à nouveau dans ce monde, me serait plus familière que la mienne. Mais d'autres les avaient connus. Moi pas- pas vraiment.
Quelqu'un a dit un jour: à la fin de toute vie, il y a un point final, et la mort se moque que le texte soit fragmentaire. C'est à nous, les vivants, de fournir une forme quand il n'en existe pas, de sauver des flots même ceux que nous n'avons jamais connus. Comme des mendiants, nous devons raccommoder l'univers de notre mieux."

Alors, pour raccommoder cet univers , dans le dernier chapitre intitulé 1942, Un roman, cette histoire de passion et de mort, il va l'inventer. du moins en inventer les détails car le contexte historique est bien réel . Celui de l'assassinat de Reinhardt Heydrich par des résistants tchèques, des représailles qui suivirent au cours desquelles 10 000 tchèques furent exécutés ou déportés, et de ce qu'il advint de ces résistants , réfugiés dans une église orthodoxe et dont aucun ne fut capturé vivant.
C'est un chapitre effectivement très fort, mais que j'ai trouvé finalement assez retenu quand on en lit un peu plus sur les évènements survenus. L'histoire d'amour( en fait, les deux histoires d'amour..)est, elle, magnifique.

C'est un très beau roman , très fin et très tendre , qui parle du monde de l'enfance et ses perplexités, des non-dits familiaux et de la nécessaire recherche d'une vérité dans son histoire familiale qu'on ne pourra bien sûr que réinventer . Et aussi de la possibilité de construire sa propre identité en sachant que cette histoire familiale est toujours un "roman" dans lequel subsisteront toujours des mystères qu'il faut accepter.

"Je me demande comment il la retrouva dans une telle obscurité. S'il ne dit rien du tout et se contenta de la ramener- car que pouvait-il faire d'autre?-lui tenant le bras sur le sentier jonché de branches cassées, cette femme rendue invalide par la douleur. S'il y avait un moyen sur cette terre, dans cette vie, pour qu'elle ne le haïsse pas à cause de ça.
Mais je lui souhaiterais maintenant-une forêt infinie et vingt ans jusqu'à l'aube."












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Très bon roman, en plusieurs parties. On y apprend beaucoup sur la Tchécoslovaquie pendant l'occupation et la vie de ceux l'ont quittée. Cet homme fait le chemin à l'envers pour comprendre ses parents, leur tristesse, leur vie avant. Il essaye de faire son deuil tout en intégrant qu'avant d'être parent, il y a un individu avec son parcours, il ne juge pas. Une belle leçon de vie et d'amour. Un texte très fin, recherché.
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Une structure complexe, en trois parties pour ce roman. D'abord une partie présentée comme le journal de l'auteur aux USA. Ensuite un Intermezzo à Prague. Et enfin une troisième partie dénommée roman. Mais pour brouiller encore les pistes, l'auteur précise avant tout, que le livre est un roman, et que les personnages, les événements, sont de l'imagination de l'auteur.
Les lecteurs de recueil de nouvelles le lac perdu se retrouvent en terrain connu dans le début du livre, c'est toujours la même famille, le narrateur et ses parents originaires de Tchécoslovaquie, qu'ils ont fuit à la fin de la deuxième guerre mondiale. Et ils retrouvent aussi souvent que possible leurs amis originaires du même endroit, et pendant cinq ans ils passent le maximum de temps dans une petite maison de vacances auprès d'un lac qui leur rappelle le monde qu'ils ont laissé. Mais je trouve ce livre infiniment plus touchant et fort que le recueil de nouvelles, peut être parce que le récit n'est plus centré sur des personnages étrangers à la famille, mais sur celle-ci, le petit garçon d'une grande sensibilité est vraiment complètement au centre, avec ses impressions et ressentis, et le couple de parents, avec leurs douleurs secrètes, leur passé, jamais dit complètement, mais que l'enfant ressent douloureusement, en empathie avec son père et sa mère. La famille, bien que vivant aux USA, et le petit garçon y étant né, semble vivre dans un monde à part. Déjà parce que tous leurs amis semblent de la même origine. La langue aussi, n'est pas l'anglais. Et le narrateur se remémore avec une nostalgie douce et douloureuse à la fois, le livre de contes qu'on lui lisait, récits finalement terriblement cruels, même si fascinants. L'enfant semble comme englué dans le monde de ses parents, un monde qu'il n'a jamais connu, sauf par ce qui lui en a été raconté, mais ces récits semblent plus vrais que la réalité, comme le temps du conte, ils sont éternels, on ne peut les quitter une fois qu'on y est entré. Il y a aussi les relations entre ses parents, ce père aimé sans restriction, et cette mère qui parfois semble regretter d'être là. L'enfant devine quelque chose, une séparation, une douleur, une faille, une histoire qui fait que le présent n'est pas suffisant. Il finit par savoir qu'il y a eu quelqu'un d'autre, un autre homme, mais ne peut savoir réellement ce qui c'est passé.

Et c'est pour cela qu'il va aller à l'ancien pays de sa famille, essayer de faire parler les gens de cette époque, de ses parents. Mais il ne saura rien de ce qu'il cherchait. Des bribes des histoires, des bribes de vies, passionnantes mais pas celles qu'il recherche. Alors il va inventer un roman, le récit de cet amour dont il ne sait rien vraiment, et qu'il va donc imaginer, en partant des différentes bribes qu'il a recueillies. Pour donner sens à ce qu'il a vécu enfant. Et même s'il sait que ce n'est qu'une fiction.

C'est tellement difficile de parler de livres que l'on a vraiment beaucoup aimé, bien plus difficile que d'assassiner un mauvais livre. Les deux premières parties m'ont tout simplement enchantées, ce monde de l'enfance tendre et cruel, triste et joyeux, cette nostalgie poignante, cette relations de famille dont on sent que le narrateur ne va jamais se libérer, avec souffrance et délice plongeant dans cet univers de souvenirs. Amour qui peut devenir haine par moments, ou envie de haine. Une sensibilité exacerbée, un don d'observation hors du commun sont les caractéristiques du narrateur enfant, il vit les choses, les petits moments de la vie, avec une grande intensité, et nous les restitue d'une façon frappante. Et cette impossible relation entre ses parents est rendue avec une très grande finesse, et malgré toute la tendresse présente, révèle son tragique petit à petit. La partie qui se passe en Tchécoslovaquie (qui existait encore à l'époque) est aussi très réussie, ces moments de rencontres, ces bouts de récits, montrent en filigrane beaucoup de choses de la vie de ceux qui les livrent, mais sans rien de démonstratif ni d'appuyé. Comme le récit de ce vieux monsieur rencontré dans un café de Prague qui raconte que le niveau du fleuve montant progressivement, les rez-de-chaussée des immeubles dans certains quartiers sont progressivement comblés, et deviennent des caves, et les premiers étages les rez-de-chaussée. Ainsi le monde s'enfonce petit à petit, et le monde d'hier n'est plus accessible, car il se situe à une couche plus ancienne à laquelle l'accès n'est plus possible.

J'avoue avoir été moins séduite par la troisième partie, l'histoire des parents du narrateur pendant la guerre. Revendiquée comme roman, je l'ai trouvée un peu trop invraisemblable et pleine de pathos. Rien de moins que l'attentat contre Heydrich, et la terrible répression qui a suivi. Et les personnages sont terriblement idéalisés. Mais d'une certaine façon, c'est compréhensible, pour expliquer ces non dits et souffrances, qui resteront à jamais inexpliquées, le narrateur, en compensation en quelque sorte invente une histoire forte, immense, à la hauteur de l'amour qu'il porte à ses parents. Et c'est une belle histoire, qui touche, et dont on a envie de savoir la fin. Mais en ce qui me concerne, je trouve que trop d'émotion tue l'émotion, et j'aurais sans doute préféré quelque chose de plus sobre et contenu, à la mesure des deux tiers du livre. Mais encore une fois, je comprends bien le parti pris de l'auteur.

Une très belle lecture vraiment pour moi.
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Paru en 2007. Traduit de l'américain.
Toile de fond : la Tchécoslovaquie durant la deuxième guerre et les Etats unis.
Histoire personnelle, familiale.
Le roman se divise en trois parties. Tout d'abord "Le nouveau monde" où se sont réfugiés les parents et où a vécu le narrateur.
Ensuite Prague, à trente-sept ans, sans trop en connaître la raison . Veut-il marcher sur les traces de ses parents , découvrir "comment notre histoire particulière cadrait avec l'histoire plus large" ?
La troisième partie "Un roman" ,nous ramène en 1942, à l'assassinat de Reinhard Heydrich, le "boucher de Prague", par sept jeunes tchèques formés en Angleterre et les représailles terribles qui s'ensuivirent.
Le narrateur imagine la rencontre de la jeune fille qui deviendra sa mère avec l'un d'entre eux.

J'avais acheté ce roman par hasard. Il m'a vraiment intéressée et j'en ai apprécié l'écriture savamment travaillée.
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Citations et extraits (4) Ajouter une citation
Puis il me dit tout ce que je savais déjà : qu'ils étaient sept. Qu'ils avaient été formés en Angleterre par la RAF. Qu'ils avaient été parachutés dans le Protectorat pour assassiner le Reichsprotektor Reinhard Heydrich qui, je ne l'ignorais sûrement pas, était le préféré de Hitler et son successeur probable ainsi que l'architecte de la Solution finale.
p 179
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Les gens se dirigent à reculons vers l'héroïsme comme des crabes, me dit un jour mon père. Ou bien ils trébuchent dedans par maladresse. ils se précipitent dans le feu, aveuglés par la gloire, et parviennent à survivre jusqu'au moment de parader sur le boulevard, ou bien ils s'aventurent stupidement à la surface des choses et réussissent leur traversée par un ensemble de lois physiques et de chance, puis se retournent et appellent ça du courage. p. 119
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Il était dorénavant interdit à toute personne d'origine juive de pénétrer dans des lieux publics tels que les théâtres, les cinémas, les restaurants... Ecouter des radios étrangères était un crime passible de mort. Absurde. Ce n'était pas une guerre. C'était une maladie. Ils étaient partout où se portait votre regard : dans les voitures, au coin des rues, arpentant les trottoirs, telle une infection dans le corps.
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On aurait dit que ce lieu adoucissait les gens, les soulageait involontairement de quelque chose comme une douleur. Je ne sais pas ce qui provoquait cela, à cet endroit, exactement.
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