Deuxième incursion dans l'écriture d'
Ali Smith. Je dois avouer que j'ouvrais ce roman avec une curiosité anxieuse tant la première rencontre avec cette auteure m'avait laissé un souvenir d'enchantement et d'originalité.
Alors, c'est vrai, disons-le d'emblée, si vous appréciez les romans de construction "classique", vous risquez d'être surpris par celui-ci.
L'onirisme, l'imaginaire, la poésie, les jeux d'écritures, les assemblages de mots pour en faire des sons, de la musique "écrite" sont l'armature du récit, le fil narratif étant l'amitié d'une fillette (au début des pages) et d'un monsieur âgé, son voisin, amitié qui sera évoquée sur une vingtaine d'années.
Le monsieur en question, Daniel Gluck, demeurant très secret quant à son histoire personnelle, apprendra à la fillette, Elisabeth, à porter un regard différent sur ce qui l'entoure, à toujours chercher et écouter où les mots prononcés peuvent l'entraîner, à se forger un autre regard sur la vérité de la réalité, la préparant ainsi à une vie hors des sentiers qui lui étaient destinés et surtout lui permettant d'avoir la volonté de choisir une vie dont sa mère se plaît à dire : "ma fille "vit" son rêve..."
C'est l'occasion de parler de ce visage de l'Angleterre plus proche du cinéma de
Ken Loach, de ses petites gens qui travaillent mais vivent difficilement, qui se réjouissent d'être sélectionnés pour un jeu télévisé, supportent les tracasseries d'une administration engorgée (nous n'avons pas à nous moquer, cependant !), de la disparition des lieux de culture, comme les bibliothèques qui ferment, laissant la place à un courant d'idées unique et martelé . C'est l'occasion de nous montrer une certaine Angleterre qui se replie sur elle-même, choisit la voie du nationalisme, refusant différence, l'émigration, l'Autre...attitude que certains exacerbent et qui conduira pour une part vers le Brexit.
Comme "musique d'accompagnement des pages qui se tournent", ce sera un lien qui devient visuel, observation, imagination dans l'évocation d'une artiste Pop Art anglaise, Pauline Boty, qui s'étire de chapitre en chapitre dans une évocation de ses collages et qui devient pour le lecteur, un droit ou un moyen de regarder "autrement" ce que Elisabeh fillette choisira de devenir et de penser en grandissant pour devenir une jeune femme "différente" !
Une façon originale et unique d'évoquer cette Angleterre qui se transforme depuis quelques années...