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Continents anciens rime avec lovecraftien !

Ce deuxième volume de l'intégrale Clark Ashton Smith est cette fois consacré non pas au dernier continent de la Terre, dans son très lointain futur (comme Zothique), mais au contraire à l'Hyperborée, dont le Groenland actuel n'était qu'une péninsule, ainsi qu'à Poséidonis, une île qui est la dernière partie émergée de l'Atlantide. Les textes consacrés à la première sont souvent marqués par l'ironie ou la satire, ce qui n'empêche ni la noirceur, ni l'horreur, bien au contraire. Les amateurs de Lovecraft (et du Jeu de rôle L'appel de Cthulhu) seront ravis de croiser bien des noms connus, à commencer par celui de Tsathoggua. Les nouvelles atlantes, au nombre de cinq (plus trois poèmes bilingues), sont plus dans une veine (Sword &) Sorcery plus proche de celle de Zothique (sauf une, qui relève d'une science-fantasy rappelant un peu celle de Karl Edward Wagner, sans en avoir la qualité). On reste cependant surpris de l'absence des divinités ou races marines de Lovecraft, alors que le thème s'y prêtait pourtant à merveille.

Si, dans l'ensemble, l'écriture reste toujours aussi splendide, la traduction à la hauteur, et l'intérêt de l'écrasante majorité des textes bien présent, je placerais ce second recueil un cran en-dessous de Zothique, sauf sans doute pour l'amateur de lovecrafteries, qui appréciera probablement plus Hyperborée & Poséidonis que son prédécesseur. Quoi qu'il en soit, l'oeuvre de Clark Ashton Smith dans son ensemble est à découvrir impérativement par tout lecteur de Fantasy qui se respecte, et ce second volet de l'intégrale ne fait certainement pas exception à cette règle. Même sans parler du fond, la forme, alliant richesse du style ET fluidité et facilité de lecture, en fera un must-read pour tous.

Vous trouverez la version complète de cette critique (ce qui précède n'est qu'une synthèse), avec un résumé et une analyse de chaque nouvelle, sur mon blog.
Lien : https://lecultedapophis.com/..
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Recueil de nouvelles provenant d'une partie des deux recueils anglais "Hyperborea" et "Poseidonis" de Clark Ashton Smith

Ce recueil contient des nouvelles et des poèmes d'un passé d'une autre ère quand la magie opérait et que les dieux existaient en divers endroits. Les nouvelles sont courtes et nous présentent des magiciens puissants, des voleurs rusé, des rois ambitieux et des dieux qu'il vaut mieux ne pas déranger.

Au début, je trouvais l'écriture surannée, puis, peu à peu, je me suis trouvé plongé dans ces nouvelles d'un autre âge, pleines d'imagination et de lyrisme.

Finalement, j'ai beaucoup apprécié ma lecture de ce contemporain de Lovecraft et un de ses correspondants littéraires. À ce que je vois, chacun a influencé l'autre.
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« Dans le double silence du temps écoulé et de l'infini de l'espace sommeillent bien des histoires fabuleuses jamais écrites ni racontées, qui ne se peuvent deviner ou imaginer, à jamais perdues pour la mémoire et la postérité ». Celles tirées de leurs rêves par les mains aux vertus magiques de Clark Ashton Smith auraient pu être perdues dans un XXe siècle loin d'être prêt à rompre avec le réalisme social. Compilées dans une 2ème intégrale, les nouvelles de Clark Ashton Smith, nées du passé révolu : le cycle hyperboréen (écrites entre 1929 et 1957), et de l'étrangeté des planètes et des continents : le cycle atlante (écrites entre 1929 et 1931), sont aujourd'hui perpétuées notamment par les éditions Mnémos grâce à un financement participatif, pour être appréciées à leur juste valeur en notre siècle on ne peut plus enclin à voir dans la littérature de l'imaginaire autre chose qu'une littérature d'évasion : une littérature d'extension.
La poésie onirique de ces vingt récits, poèmes et nouvelles, préservent la raison face aux chuchotements irréels et aux rumeurs inquiétantes nées des aurores polaires aux heures les plus sombres de la nuit en Hyperborée et Poséidonis. Ces terres désertiques, l'une Arctique préhistorique, l'autre la dernière île de l'Atlantide, balayées par le vent et les tempêtes, murmurent l'horreur d'une magie noire antéhumaine, les secrets des dieux disparus et des planètes immémoriales. Les récits de Clark Ashton Smith font écho à ceux du fidèle ami Lovecraft avant de se confondre dans les contrées du rêve, l'univers mythique lovecraftien, largement évoqué dans ce recueil.
L'intégrale Hyperborée & Poséidonis est le temps écoulé et l'infini de l'espace, est les « mondes [où] la notion de perte est essentielle : perte de l'être aimé, de la capacité à s'émerveiller, de civilisations entières plus impressionnantes et vivaces que celle dans laquelle [l'auteur] était né. »
Ce recueil est une douce lueur de désespoir, une étrange invitation aux rêves, un frémissement né d'« une brise froide et surnaturelle », une incroyable « langue qui parle de l'horreur et de la beauté ».
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Seconde intégrale publiée par Mnémos et cette fois-ci nous voyageons dans les mondes premiers de Clark Ashton Smith.
Tout d'abord, et à l'instar de Zothique, une précieuse préface permet de contextualiser les nouvelles de ce recueil et de découvrir des correspondances entre Smith et son ami Lovecraft. Leurs échanges mettent en lumière l'estime réciproque que se vouaient ces deux grands écrivains. Une postface de S. T. Joshi apporte quelques précisions bienvenues mais ressasse aussi des éléments vus en préface.

Une bonne partie des nouvelles se déroulent en Hyperborée, un continent qui correspond au Groënland et qui, par les inspirations théosophiques de Smith devient une région tropicale, berceau de l'humanité.
Ce sont pourtant des territoires qui habitent une civilisation développée, riche d'un savoir magique et scientifique, d'une mythologie et de cités fastes, ou l'ayant été (cela dépend des nouvelles).
Ainsi, différents protagonistes seront confrontés à d'anciens dieux dans des périples sarcastiques. D'autres lutteront en vain contre des forces glacées venues du nord ; à la lecture de ces récits , je ne peux m'empêcher de penser à la situation écologique actuelle...
Dans cette première partie, j'ai particulièrement apprécié la nouvelle "La porte vers Saturne" où Smith nous amène à découvrir un monde totalement extraterrestre grâce à son imagination fertile.
Plus tard, c'est avec "Les sept geasa" que Smith nous entraînera dans les profondeurs des abysses à la rencontre de créatures primordiales.

Avec Poséidonis, c'est au mythe de l' Atlantide que Smith fait référence. Les protagonistes vivent leurs derniers instants sur la dernière île atlante. Les cinq nouvelles sont très différentes puisque "Voyage pour Sfanomoë" nous conte l'histoire de deux scientifiques quittant leur planète pour rejoindre Vénus à bord d'un vaisseau spatial ; alors qu' "Un grand cru d'Atlantide" utilise des pirates pour raconter une histoire évocatrice qui n'est pas sans rappeler "Nyarlathotep" de Lovecraft.
Et le puissant sorcier Malygris s'invite dans trois des cinq nouvelles dans des histoires tour à tour romantiques, horrifiques et cyniques.

Quelques poèmes de toute beauté sont également présents, ainsi que leur version originales pour mieux apprécier le talent de Clark Ashton Smith.


Cette intégrale n'échappe pas à une certaine redondance due à la compilation en recueil de ces nouvelles. J 'ai aussi trouvé la géographie moins développée ici.
Cependant, on aborde chaque nouvelle comme un grand cru (d'Atlantide), fébrile et excité à la fois, puis on se laisse porter par l'ivresse des mots.
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CIVILISATIONS ANTÉDILUVIENNES



Il est bien temps (un an plus tard ?!) de revenir à « l'intégrale » (qui n'en est donc pas une, même au seul registre de la fantasy) de Clark Ashton Smith publiée aux éditions Mnémos, avec ce deuxième volume issu du financement participatif et consacré, nous dit-on, aux Mondes premiers que seraient Hyperborée et Poséidonis, après un premier volume consacré aux Mondes derniers Zothique et Averoigne. Notez que le contexte de publication est cette fois un peu différent, car ce volume précisément, au-delà du seul financement participatif, a connu une commercialisation sous une forme « normale », ce qui avait été à l'époque le cas pour Zothique, mais pas pour Averoigne (mais c'est prévu, je crois). Mais c'est bien de l'édition issue du financement participatif dont je vais vous parler aujourd'hui – et, répétons-le, c'est un travail admirable, des livres absolument superbes, magnifiques objets au contenu pas moins magnifique, textes et illustrations en couleurs, et qui laissent augurer du meilleur pour la future édition des oeuvres de Lovecraft financée pareillement par le même éditeur.



Mondes premiers, donc – même si cette appellation est peut-être là encore à débattre. L'Hyperborée et Poséidonis ont bien des traits communs, et tout d'abord, effectivement, celui d'être situés dans le passé de la Terre. Sur la base du mythe de l'Atlantide ou de ses déclinaisons, chères aux occultistes de la fin du XIXe siècle et du début du XXe, il s'agit de mettre en scène des civilisations littéralement antédiluviennes, et qui avaient atteint un degré de perfection largement supérieur à celui des tristes nations du temps de l'auteur, fades et « réalistes » – ce qui ne les a toutefois en rien prémuni contre l'entropie. le thème du continent perdu, et plus précisément englouti, était alors incontournable : à l'Atlantide classique, déjà fort malmenée depuis la lointaine fable de Platon dans le Critias et le Timée, théosophes et autres charlatans prétendument illuminés ajoutaient Mu ou la Lémurie – et l'Hyperborée antique pouvait prendre de nouvelles couleurs au travers de ce traitement particulier. Les auteurs tels Smith, Lovecraft, ou, tant qu'on y est, Howard, en ont d'ailleurs beaucoup fait usage – consultant les traités les plus grotesques, certes pas pour adhérer à leurs thèses farfelues, mais pour y trouver un matériau de choix, tout indiqué dans leurs entreprises littéraires respectives. À vrai dire, l'idée de ces civilisations antédiluviennes est une caractéristique essentielle de l'oeuvre de chacun des « Trois Mousquetaires » de Weird Tales, mais avec des connotations différentes chez les trois.



Chez Smith, cet appel des Mondes premiers débouche donc sur deux cycles, celui d'Hyperborée et celui de Poséidonis, rassemblés dans cet unique recueil. le terme de « cycle » est à vrai dire peut-être un peu hardi, surtout dans le cas de Poséidonis, ensemble somme toute assez bref, mais l'Hyperborée a été davantage développée, même sans atteindre aux proportions de Zothique. Au-delà, les deux mondes ont leurs singularités.



L'Hyperborée est donc une ancienne civilisation sise là où se trouve aujourd'hui le Groenland, et bien au-delà, mais qui connaissait à l'origine un climat tropical – las, la bascule du monde et les glaciations ont progressivement rongé ce continent très développé, jusqu'à sa disparition totale ; sans véritable chronologie interne, les divers textes se rapportant à l'Hyperborée décrivent ainsi une apocalypse molle et lente, pas moins saisissante – mais il faut noter également que ces histoires semblent présenter des versions contradictoires quant aux causes de ce phénomène global, ou en tout cas de son reflet microscopique : l'abandon de la vieille capitale de Commoriom.



L'Hyperborée a une autre particularité notable, tout spécialement au regard des passions de votre serviteur : des univers créés par Clark Ashton Smith, c'est sans doute celui qui établit le plus de passerelles avec l'oeuvre de H.P. Lovecraft, l'ami et correspondant. Mais il s'agit d'emprunts réciproques, comme en témoigne tout spécialement la nouvelle « Ubbo-Sathla », de longue date intégrée dans la version « canonique » des Légendes du Mythe de Cthulhu assemblée par August Derleth (et à vrai dire, elle ne se rattache que par la bande à l'Hyperborée ; j'avais déjà lu et relu, etc., cette nouvelle, du coup – mais c'est la seule dans ce cas, ici). Mais d'autres créations de Smith ont rencontré un écho plus particulièrement marqué à cet égard : la divinité Tsathoggua, notamment, ou encore le sorcier Eibon et son fameux livre ; et d'autres noms, outre celui d'Ubbo-Sathla, ont pu être croisés ici ou là, tels Abhoth, Atlach-Nacha ou peut-être Rlim Shaikorth. le jeu de rôle L'Appel de Cthulhu, comme de juste, en a fait un abondant usage. Notons au passage qu'il y a peut-être aussi, via Lovecraft le cas échéant, des passerelles avec l'oeuvre de Robert E. Howard – Smith met en scène des Hommes-Serpents qui font assurément penser à ceux qui hantent la Valusie, laquelle était d'ailleurs un autre exemple de ces continents perdus alors endémiques, faisant face à un plus célèbre, l'Atlantide, où était né le roi Kull…



L'Atlantide ? On y revient, sans faux-semblants, avec Poséidonis : il s'agit d'une île très isolée, le dernier fragment de l'Atlantide, dont tout le reste avait alors disparu sous les flots. On retrouve ici l'idée d'une apocalypse lente, l'engloutissement inéluctable de Poséidonis offrant un miroir à la glaciation de l'Hyperborée. Ce qui m'amène d'ailleurs à envisager ces Mondes premiers comme des Mondes derniers – tout dépend bien sûr du point de référence, mais, à cet égard, ces deux cycles ne sont pas forcément si éloignés de celui de Zothique



Le cycle de Poséidonis est bien plus bref que les autres (et plus concentré aussi dans les dates de composition) – en outre, il est composé de textes souvent courts ; il n'a peut-être pas développé, du coup, une mythologie aussi fouillée que les autres (en y incluant Averoigne), mais il faut tout de même accorder une place particulière à un personnage hors du commun et très récurrent, le sorcier Malygris, qui évoque pour partie Eibon, mais peut-être plus encore les nécromanciens de Zothique...



Sur ces bases, Smith livre des textes assez divers, même si quelques grands ensembles peuvent être distingués. Les récits d'Hyperborée et de Poséidonis me paraissent moins baroques, globalement, que ceux de Zothique, mais cette dimension n'est certes pas absente de ce recueil – qui développe régulièrement une forme d'onirisme dunsanien très saisissante. On trouve par ailleurs régulièrement des sortes de « contes moraux », même dans un contexte qui exprime la décadence, notion certes pas inconnue de l'auteur – les criminels sont châtiés, l'hybris tout autant sinon plus. Mais, si certains textes se montrent douloureusement mélancoliques, d'autres, et plus nombreux en fait, ont un caractère bien plus léger, et enjoué, à la limite de la fantasy humoristique, même s'il s'agit souvent plutôt d'ironie noire ou de cruelle satire.



À ces divers degrés, on perçoit bien l'importance de Clark Ashton Smith dans l'histoire de la fantasy et peut-être plus encore du registre sword and sorcery : si l'auteur, en définitive, a sa place qui lui est propre – et sa plume magique y est pour beaucoup –, certains de ses textes, ici, résonnent plus particulièrement avec ceux de Robert E. Howard, même si sur un ton délibérément plus léger, et peuvent aussi annoncer, ici Fritz Leiber et le duo constitué par Fafhrd et le Souricier Gris dans le « cycle des Épées », là Jack Vance et son Cugel dans La Terre mourante (qui résonnait déjà forcément avec Zothique). C'est qu'elle est riche, cette oeuvre de fantasy – et c'est peu dire !



Je vais tâcher maintenant de donner un aperçu des différents textes composant ces deux cycles, non pas dans l'ordre de leur présentation (qui est a priori l'ordre de leur composition, sauf le cas échéant pour les poèmes ?), mais en fonction de mon ressenti.

LA PATRIE D'EIBON



Hyperborée comprend dix nouvelles, un poème et un fragment en prose. Je ne me sens pas de dire grand-chose de ces derniers, respectivement « La Muse d'Hyperborée » et « La Maison d'Haon-Dor », mais il faut cependant préciser que le fragment, pour ce qui en subsiste, se déroule dans l'Amérique du XXe siècle, et à vrai dire rien ne le rattache au cycle d'Hyperborée au-delà du nom « Haon-Dor » dans le titre (on a plusieurs occasions de croiser ce personnage dans les autres nouvelles),



J'ai envie de commencer par mes deux nouvelles préférées de ce cycle. Ma préférée, dans l'ensemble du recueil à vrai dire, est probablement « Les Sept Geasa » (ce terme vient de la mythologie celtique irlandaise, et désigne des sortes d'injonctions magiques irrépressibles), un récit qui tient de la fable cruellement ironique, et qui narre le sort guère enviable d'un bourgeois arrogant de Commoriom, promené de Charybde en Scylla, mais trop insignifiant pour retenir vraiment l'attention de ses bourreaux successivement désignés. C'est très drôle en même temps que très noir, très baroque aussi, avec un vrai défilé de figures mythiques souvent intégrées, dès lors ou plus tard, dans le canon du Mythe de Cthulhu, et c'est très futé par ailleurs – comme une illustration déviante et narquoise des obsessions « cosmiques » du gentleman de Providence ; un texte vraiment excellent !



Mais, s'il en était un qui devait rivaliser dans ce recueil, je crois que ce serait « L'Avènement du Ver Blanc » (sous-titré « Chapitre IX du Livre d'Eibon »), récit plus sombre, dans lequel un sorcier se retrouve contraint de suivre une sorte de Grand Ancien qui ravage le monde au fil des pérégrinations d'un immense iceberg, son antre mobile, La teneur froidement (…) apocalyptique du récit s'accorde merveilleusement bien avec les doutes et les angoisses du sorcier réduit malgré lui au rang de sbire puis de subsistance d'une incarnation de la destruction, amorale en tant que telle, mais qui ne manquera pas d'évoquer pour le lecteur quelque figuration du mal à l'état pur. Brillant, très inventif, saturé d'images fortes.



Deux autres nouvelles m'ont vraiment beaucoup plu, si je crois qu'elles se situent tout de même un cran en dessous. La première est « Le Testament d'Athammaus », qui narre, à la première personne, les véritables raisons de l'abandon de l'ancienne capitale de Commoriom – un bourreau nous fait le stupéfiant récit d'un condamné à mort qui ressuscite sans cesse, et revient toujours plus redoutable… Ce qui est merveilleux, dans cette histoire, c'est la parfaite alchimie entre un dispositif ouvertement grotesque, et qui pourrait en tant que tel être avant tout drôle, et la manière de conter ces étranges événements, qui leur confère la noirceur et l'effroi du plus terrible des cauchemars. C'est une nouvelle vraiment remarquable d'équilibre.



Autre réussite marquée, finalement, et dans un registre pas forcément si éloigné, d'ailleurs, « Le Démon de glace ». À la base, il s'agit d'une nouvelle de plus dans laquelle la cupidité des hommes est sanctionnée par des pouvoirs qui les dépassent, C'est un schéma que l'on retrouve souvent chez Smith (y compris dans le présent recueil, et « L'Histoire de Satampra Zeiros » en est sans doute l'illustration la plus éloquente, mais il y en a d'autres), et je dois dire que ce procédé, le plus souvent, ne m'enchante guère – il débouche un peu trop souvent sur des textes « faciles », sans véritable enjeu, et manquant d'âme. Ce n'est pourtant pas le cas dans cette nouvelle, et là encore parce qu'elle décrit en définitive un très oppressant cauchemar – bien plus que la plupart des autres nouvelles jouant de ce thème ; l'idée de cette grotte vampire, dans un environnement glacé qui devient en lui-même un monstre, est brillamment traitée, pour un résultat très efficace ; typiquement, un texte qui n'a l'air de rien au premier abord, mais s'avère en fait étonnamment riche.



Mais revenons à « L'Histoire de Satampra Zeiros », du coup – la première nouvelle du cycle. Très honnêtement, cette histoire n'a pas grand intérêt en tant que telle : des voleurs vont dans un temple de Tsathoggua et font les frais de leur cupidité… Comme d'hab', quoi. Mf... Mais la nouvelle fonctionne – parce qu'elle est à la première personne, et que ce bouffon arrogant de Satampra Zeiros a du bagout, à défaut de sens moral (et ça aussi c'est tant mieux !). En cela, il se pose en référence du registre sword and sorcery au-delà de la seule badasserie howardienne, et il annonce vraiment le Souricier Gris ou Cugel ; c'est ce qui rend la nouvelle tout à fait charmante (bon, ce n'est peut-être pas le mot, vu la conclusion...).



Smith lui a concocté tardivement une « suite », qui est le dernier texte du cycle, « Le Vol des trente-neuf ceintures » : on y fait plus que jamais dans l'aventure sword and sorcery, assez réjouissante à vrai dire, dans un texte d'un ton très, très léger – et même un peu grivois, comme une parodie de certains récits de Conan voleur chez Robert E. Howard, dans un esprit qui évoque plus que jamais les libertinages de Fafhrd et du Souricier Gris, en même temps que Satampra Zeiros y vire plus que jamais au loser magnifique à la Cugel. Ces deux textes sont d'un niveau bien inférieur à ceux que j'ai cités jusqu'alors, mais ils sont assurément efficaces et divertissants.



Je citerais à peu près au même niveau deux autres nouvelles, bonnes en tant que telles, simplement moins bonnes à mes yeux que les premières citées, Et c'est ici que votre lovecraftophile serviteur situe « Ubbo-Sathla ». C'est clairement un très bon texte, mais tout de même d'un registre très particulier. À vrai dire, il fonctionne plus ou moins bien en tant que nouvelle – il m'a toujours fait l'effet d'une sorte de (long) poème en prose, genre qu'affectionnait l'auteur et dans lequel il brillait particulièrement. le lexique, et quelques références çà et là, renvoient sans doute à l'Hyperborée, mais tout de même plutôt par la bande – et ce récit qui débute à Londres (sauf erreur) du temps de l'auteur vire assez vite au périple philosophique, dans le temps plutôt que dans l'espace. Il débouche sur une version smithienne du sentiment « cosmique » cher à Lovecraft – et je ne suis pas bien certain (oserais-je ?) que l'éminent S.T. Joshi ait forcément le dernier mot quand il remarque que cette odyssée demeure terrestre plutôt que véritablement cosmique. Quoi qu'il en soit, « Ubbo-Sathla » développe un dispositif en même temps philosophique et onirique qui, au-delà du seul lexique cthulien, et au-delà de l'horreur, offre une lecture parallèle des principes philosophiques lovecraftiens ; et c'est sacrément intéressant.



« La Porte vers Saturne » est une autre nouvelle tout à fait sympathique, mais dans un registre tout autre – et le fameux sorcier Eibon n'en sort pas exactement grandi ! Mais ce périple très fantasque sur la planète Saturne, pour fuir quelque inquisiteur qui s'avérait surtout un magicien jaloux… et qui passe dans l'autre monde avec son rival, ce périple, donc, est riche de moments grotesques (avec une légère touche grivoise là aussi), au travers d'un imaginaire débridé, onirique et même surréaliste. C'est très drôle, en même temps que très coloré.



Reste deux textes, qui ne sont pas à proprement parler mauvais, mais m'ont tout de même paru bien inférieurs – disons un peu médiocres. C'est tout d'abord le cas de « L'Infortune d'Avoosl Wuthoqquan », qui est un autre de ces « contes moraux » où la cupidité est sanctionnée. Mais l'usurier Avoosl Wuthoqquan n'a pas le charme du voleur Satampra Zeiros, et tout ceci est finalement assez convenu, même si assez drôle, jusqu'à la scène ultime davantage cauchemardesque (mais sans l'ampleur du « Démon de glace », par exemple).



Quant à « La Sibylle Blanche », texte plus « sérieux », plus mélancolique, plus « poétique » peut-être, je dois dire qu'il m'a laissé totalement… froid. Si j'ose dire. Même s'il s'agit probablement d'un moment clef dans l'évocation du cataclysme destiné à emporter l'Hyperborée, ou du moins divers autres textes l'avancent-ils, mais, on l'a vu, sans toujours beaucoup de certitude. Bon, je suis sans doute passé à côté, ça arrive... Mais quoi qu'il en soit, dans ce registre, j'ai tout de même le sentiment que Smith a fait bien mieux – et un des textes de Poséidonis en fera d'ailleurs très bientôt la démonstration.

LE DERNIER HAVRE



Le cycle de Poséidonis, si c'est bien d'un cycle qu'il s'agit, est beaucoup moins développé que celui d'Hyperborée (sans même parler de Zothique). Il ne comprend que cinq nouvelles, généralement bien plus courtes au passage, et auxquelles il faut adjoindre trois poèmes, « L'Atlantide » au début, « Tolometh » à la fin, et aussi, en prose, « La Muse d'Atlantide » ; c'est probablement ce dernier qui m'a le plus séduit – je n'ose vraiment pas me prononcer pour les autres, et vais donc m'en tenir ici à l'évocation des cinq nouvelles.



Deux d'entre elles (la première et la dernière... comme pour Satampra Zeiros ?) accordent une place de choix à un même personnage, hors du commun, le sorcier Malygris – plus redoutable encore qu'Eibon, et davantage dans l'esprit des nécromanciens de http://nebalestuncon.over-bl..
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Toujours aussi enjoué par la plume de C.A Smith à la lecture de ce second tome. C'est toujours aussi poétique, toujours aussi prenant et captivant dans son introspection de la nature humaine.

Comme pour chaque recueil de nouvelles, je note une nouvelle fois que la lecture dépend énormément de la sensibilité que l'on porte à la nouvelle.
J'ai été happé par le poème introduisant Hyperborée, enjoué par ceux clôturant Poséidonis notamment. Pour le reste, c'était plaisant mais moins marquant que les mondes de Zothique et Averoigne, peut-être parce que l'ambiance en elle-même me plaisait moins dès le départ.
Je note juste les deux nouvelles autour du Malygiris - notamment celui sur sa mort qui est très prenant pour Poséidonis. Concernant Hyperborée, la nouvelle "La Sybille Blanche" a été l'un de mes coups de coeur sur l'ensemble de l'oeuvre de Smith lu actuellement. le récit dispose d'une force de pénétration dans l'imaginaire et son déroulement est, à mon sens, le mieux maîtrisé par l'auteur.

A noté, une nouvelle fois, l'excellent travail des éditions Mnémos pour l'objet-livre qui est de toute beauté. Les illustrations sont sublimes, notamment celle concernant la nouvelle des deux frères.

La lecture du troisième et dernier tome ne saurait tarder.
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Je remercie chaleureusement les éditions Mnémos de m'avoir fait parvenir ce magnifique recueil.
Clark Ashton Smith fait découvrir à son lecteur les continents perdus d'Hyperborée et de Poséidonis.
L'auteur dépeint des mondes en perdition, dont la fin est proche et au sein desquels les dieux et les civilisations les plus anciennes sont omniprésentes, dans des nouvelles souvent tragiques et dotées d'une certaine morale.
Les dieux mis en scène par Ashton Smith dans Hyperborée sont des Anciens (ou Grands Anciens), qui sont rattachables au Panthéon du Mythe de Cthulhu de H. P. Lovecraft, avec qui l'auteur était ami. Les Anciens d'Ashton Smith sont toutefois assez différents de ceux qui apparaissent dans les récits de Lovecraft, car ils font subir des horreurs à la fois physiques et psychologiques aux personnages qu'ils rencontrent.
Dans Poséidonis, l'auteur nous montre le continent perdu de l'Atlantide alors qu'il va bientôt sombrer, dans des récits empreints de mélancolie et dans lesquels la mort est omniprésente.
Lien : https://leschroniquesduchron..
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CIVILISATIONS ANTÉDILUVIENNES



Il est bien temps (un an plus tard ?!) de revenir à « l'intégrale » (qui n'en est donc pas une, même au seul registre de la fantasy) de Clark Ashton Smith publiée aux éditions Mnémos, avec ce deuxième volume issu du financement participatif et consacré, nous dit-on, aux Mondes premiers que seraient Hyperborée et Poséidonis, après un premier volume consacré aux Mondes derniers Zothique et Averoigne. Notez que le contexte de publication est cette fois un peu différent, car ce volume précisément, au-delà du seul financement participatif, a connu une commercialisation sous une forme « normale », ce qui avait été à l'époque le cas pour Zothique, mais pas pour Averoigne (mais c'est prévu, je crois). Mais c'est bien de l'édition issue du financement participatif dont je vais vous parler aujourd'hui – et, répétons-le, c'est un travail admirable, des livres absolument superbes, magnifiques objets au contenu pas moins magnifique, textes et illustrations en couleurs, et qui laissent augurer du meilleur pour la future édition des oeuvres de Lovecraft financée pareillement par le même éditeur.



Mondes premiers, donc – même si cette appellation est peut-être là encore à débattre. L'Hyperborée et Poséidonis ont bien des traits communs, et tout d'abord, effectivement, celui d'être situés dans le passé de la Terre. Sur la base du mythe de l'Atlantide ou de ses déclinaisons, chères aux occultistes de la fin du XIXe siècle et du début du XXe, il s'agit de mettre en scène des civilisations littéralement antédiluviennes, et qui avaient atteint un degré de perfection largement supérieur à celui des tristes nations du temps de l'auteur, fades et « réalistes » – ce qui ne les a toutefois en rien prémuni contre l'entropie. le thème du continent perdu, et plus précisément englouti, était alors incontournable : à l'Atlantide classique, déjà fort malmenée depuis la lointaine fable de Platon dans le Critias et le Timée, théosophes et autres charlatans prétendument illuminés ajoutaient Mu ou la Lémurie – et l'Hyperborée antique pouvait prendre de nouvelles couleurs au travers de ce traitement particulier. Les auteurs tels Smith, Lovecraft, ou, tant qu'on y est, Howard, en ont d'ailleurs beaucoup fait usage – consultant les traités les plus grotesques, certes pas pour adhérer à leurs thèses farfelues, mais pour y trouver un matériau de choix, tout indiqué dans leurs entreprises littéraires respectives. À vrai dire, l'idée de ces civilisations antédiluviennes est une caractéristique essentielle de l'oeuvre de chacun des « Trois Mousquetaires » de Weird Tales, mais avec des connotations différentes chez les trois.



Chez Smith, cet appel des Mondes premiers débouche donc sur deux cycles, celui d'Hyperborée et celui de Poséidonis, rassemblés dans cet unique recueil. le terme de « cycle » est à vrai dire peut-être un peu hardi, surtout dans le cas de Poséidonis, ensemble somme toute assez bref, mais l'Hyperborée a été davantage développée, même sans atteindre aux proportions de Zothique. Au-delà, les deux mondes ont leurs singularités.



L'Hyperborée est donc une ancienne civilisation sise là où se trouve aujourd'hui le Groenland, et bien au-delà, mais qui connaissait à l'origine un climat tropical – las, la bascule du monde et les glaciations ont progressivement rongé ce continent très développé, jusqu'à sa disparition totale ; sans véritable chronologie interne, les divers textes se rapportant à l'Hyperborée décrivent ainsi une apocalypse molle et lente, pas moins saisissante – mais il faut noter également que ces histoires semblent présenter des versions contradictoires quant aux causes de ce phénomène global, ou en tout cas de son reflet microscopique : l'abandon de la vieille capitale de Commoriom.



L'Hyperborée a une autre particularité notable, tout spécialement au regard des passions de votre serviteur : des univers créés par Clark Ashton Smith, c'est sans doute celui qui établit le plus de passerelles avec l'oeuvre de H.P. Lovecraft, l'ami et correspondant. Mais il s'agit d'emprunts réciproques, comme en témoigne tout spécialement la nouvelle « Ubbo-Sathla », de longue date intégrée dans la version « canonique » des Légendes du Mythe de Cthulhu assemblée par August Derleth (et à vrai dire, elle ne se rattache que par la bande à l'Hyperborée ; j'avais déjà lu et relu, etc., cette nouvelle, du coup – mais c'est la seule dans ce cas, ici). Mais d'autres créations de Smith ont rencontré un écho plus particulièrement marqué à cet égard : la divinité Tsathoggua, notamment, ou encore le sorcier Eibon et son fameux livre ; et d'autres noms, outre celui d'Ubbo-Sathla, ont pu être croisés ici ou là, tels Abhoth, Atlach-Nacha ou peut-être Rlim Shaikorth. le jeu de rôle L'Appel de Cthulhu, comme de juste, en a fait un abondant usage. Notons au passage qu'il y a peut-être aussi, via Lovecraft le cas échéant, des passerelles avec l'oeuvre de Robert E. Howard – Smith met en scène des Hommes-Serpents qui font assurément penser à ceux qui hantent la Valusie, laquelle était d'ailleurs un autre exemple de ces continents perdus alors endémiques, faisant face à un plus célèbre, l'Atlantide, où était né le roi Kull…



L'Atlantide ? On y revient, sans faux-semblants, avec Poséidonis : il s'agit d'une île très isolée, le dernier fragment de l'Atlantide, dont tout le reste avait alors disparu sous les flots. On retrouve ici l'idée d'une apocalypse lente, l'engloutissement inéluctable de Poséidonis offrant un miroir à la glaciation de l'Hyperborée. Ce qui m'amène d'ailleurs à envisager ces Mondes premiers comme des Mondes derniers – tout dépend bien sûr du point de référence, mais, à cet égard, ces deux cycles ne sont pas forcément si éloignés de celui de Zothique



Le cycle de Poséidonis est bien plus bref que les autres (et plus concentré aussi dans les dates de composition) – en outre, il est composé de textes souvent courts ; il n'a peut-être pas développé, du coup, une mythologie aussi fouillée que les autres (en y incluant Averoigne), mais il faut tout de même accorder une place particulière à un personnage hors du commun et très récurrent, le sorcier Malygris, qui évoque pour partie Eibon, mais peut-être plus encore les nécromanciens de Zothique...



Sur ces bases, Smith livre des textes assez divers, même si quelques grands ensembles peuvent être distingués. Les récits d'Hyperborée et de Poséidonis me paraissent moins baroques, globalement, que ceux de Zothique, mais cette dimension n'est certes pas absente de ce recueil – qui développe régulièrement une forme d'onirisme dunsanien très saisissante. On trouve par ailleurs régulièrement des sortes de « contes moraux », même dans un contexte qui exprime la décadence, notion certes pas inconnue de l'auteur – les criminels sont châtiés, l'hybris tout autant sinon plus. Mais, si certains textes se montrent douloureusement mélancoliques, d'autres, et plus nombreux en fait, ont un caractère bien plus léger, et enjoué, à la limite de la fantasy humoristique, même s'il s'agit souvent plutôt d'ironie noire ou de cruelle satire.



À ces divers degrés, on perçoit bien l'importance de Clark Ashton Smith dans l'histoire de la fantasy et peut-être plus encore du registre sword and sorcery : si l'auteur, en définitive, a sa place qui lui est propre – et sa plume magique y est pour beaucoup –, certains de ses textes, ici, résonnent plus particulièrement avec ceux de Robert E. Howard, même si sur un ton délibérément plus léger, et peuvent aussi annoncer, ici Fritz Leiber et le duo constitué par Fafhrd et le Souricier Gris dans le « cycle des Épées », là Jack Vance et son Cugel dans La Terre mourante (qui résonnait déjà forcément avec Zothique). C'est qu'elle est riche, cette oeuvre de fantasy – et c'est peu dire !



Je vais tâcher maintenant de donner un aperçu des différents textes composant ces deux cycles, non pas dans l'ordre de leur présentation (qui est a priori l'ordre de leur composition, sauf le cas échéant pour les poèmes ?), mais en fonction de mon ressenti.

LA PATRIE D'EIBON



Hyperborée comprend dix nouvelles, un poème et un fragment en prose. Je ne me sens pas de dire grand-chose de ces derniers, respectivement « La Muse d'Hyperborée » et « La Maison d'Haon-Dor », mais il faut cependant préciser que le fragment, pour ce qui en subsiste, se déroule dans l'Amérique du XXe siècle, et à vrai dire rien ne le rattache au cycle d'Hyperborée au-delà du nom « Haon-Dor » dans le titre (on a plusieurs occasions de croiser ce personnage dans les autres nouvelles),



J'ai envie de commencer par mes deux nouvelles préférées de ce cycle. Ma préférée, dans l'ensemble du recueil à vrai dire, est probablement « Les Sept Geasa » (ce terme vient de la mythologie celtique irlandaise, et désigne des sortes d'injonctions magiques irrépressibles), un récit qui tient de la fable cruellement ironique, et qui narre le sort guère enviable d'un bourgeois arrogant de Commoriom, promené de Charybde en Scylla, mais trop insignifiant pour retenir vraiment l'attention de ses bourreaux successivement désignés. C'est très drôle en même temps que très noir, très baroque aussi, avec un vrai défilé de figures mythiques souvent intégrées, dès lors ou plus tard, dans le canon du Mythe de Cthulhu, et c'est très futé par ailleurs – comme une illustration déviante et narquoise des obsessions « cosmiques » du gentleman de Providence ; un texte vraiment excellent !



Mais, s'il en était un qui devait rivaliser dans ce recueil, je crois que ce serait « L'Avènement du Ver Blanc » (sous-titré « Chapitre IX du Livre d'Eibon »), récit plus sombre, dans lequel un sorcier se retrouve contraint de suivre une sorte de Grand Ancien qui ravage le monde au fil des pérégrinations d'un immense iceberg, son antre mobile, La teneur froidement (…) apocalyptique du récit s'accorde merveilleusement bien avec les doutes et les angoisses du sorcier réduit malgré lui au rang de sbire puis de subsistance d'une incarnation de la destruction, amorale en tant que telle, mais qui ne manquera pas d'évoquer pour le lecteur quelque figuration du mal à l'état pur. Brillant, très inventif, saturé d'images fortes.



Deux autres nouvelles m'ont vraiment beaucoup plu, si je crois qu'elles se situent tout de même un cran en dessous. La première est « Le Testament d'Athammaus », qui narre, à la première personne, les véritables raisons de l'abandon de l'ancienne capitale de Commoriom – un bourreau nous fait le stupéfiant récit d'un condamné à mort qui ressuscite sans cesse, et revient toujours plus redoutable… Ce qui est merveilleux, dans cette histoire, c'est la parfaite alchimie entre un dispositif ouvertement grotesque, et qui pourrait en tant que tel être avant tout drôle, et la manière de conter ces étranges événements, qui leur confère la noirceur et l'effroi du plus terrible des cauchemars. C'est une nouvelle vraiment remarquable d'équilibre.



Autre réussite marquée, finalement, et dans un registre pas forcément si éloigné, d'ailleurs, « Le Démon de glace ». À la base, il s'agit d'une nouvelle de plus dans laquelle la cupidité des hommes est sanctionnée par des pouvoirs qui les dépassent, C'est un schéma que l'on retrouve souvent chez Smith (y compris dans le présent recueil, et « L'Histoire de Satampra Zeiros » en est sans doute l'illustration la plus éloquente, mais il y en a d'autres), et je dois dire que ce procédé, le plus souvent, ne m'enchante guère – il débouche un peu trop souvent sur des textes « faciles », sans véritable enjeu, et manquant d'âme. Ce n'est pourtant pas le cas dans cette nouvelle, et là encore parce qu'elle décrit en définitive un très oppressant cauchemar – bien plus que la plupart des autres nouvelles jouant de ce thème ; l'idée de cette grotte vampire, dans un environnement glacé qui devient en lui-même un monstre, est brillamment traitée, pour un résultat très efficace ; typiquement, un texte qui n'a l'air de rien au premier abord, mais s'avère en fait étonnamment riche.



Mais revenons à « L'Histoire de Satampra Zeiros », du coup – la première nouvelle du cycle. Très honnêtement, cette histoire n'a pas grand intérêt en tant que telle : des voleurs vont dans un temple de Tsathoggua et font les frais de leur cupidité… Comme d'hab', quoi. Mf... Mais la nouvelle fonctionne – parce qu'elle est à la première personne, et que ce bouffon arrogant de Satampra Zeiros a du bagout, à défaut de sens moral (et ça aussi c'est tant mieux !). En cela, il se pose en référence du registre sword and sorcery au-delà de la seule badasserie howardienne, et il annonce vraiment le Souricier Gris ou Cugel ; c'est ce qui rend la nouvelle tout à fait charmante (bon, ce n'est peut-être pas le mot, vu la conclusion...).



Smith lui a concocté tardivement une « suite », qui est le dernier texte du cycle, « Le Vol des trente-neuf ceintures » : on y fait plus que jamais dans l'aventure sword and sorcery, assez réjouissante à vrai dire, dans un texte d'un ton très, très léger – et même un peu grivois, comme une parodie de certains récits de Conan voleur chez Robert E. Howard, dans un esprit qui évoque plus que jamais les libertinages de Fafhrd et du Souricier Gris, en même temps que Satampra Zeiros y vire plus que jamais au loser magnifique à la Cugel. Ces deux textes sont d'un niveau bien inférieur à ceux que j'ai cités jusqu'alors, mais ils sont assurément efficaces et divertissants.



Je citerais à peu près au même niveau deux autres nouvelles, bonnes en tant que telles, simplement moins bonnes à mes yeux que les premières citées, Et c'est ici que votre lovecraftophile serviteur situe « Ubbo-Sathla ». C'est clairement un très bon texte, mais tout de même d'un registre très particulier. À vrai dire, il fonctionne plus ou moins bien en tant que nouvelle – il m'a toujours fait l'effet d'une sorte de (long) poème en prose, genre qu'affectionnait l'auteur et dans lequel il brillait particulièrement. le lexique, et quelques références çà et là, renvoient sans doute à l'Hyperborée, mais tout de même plutôt par la bande – et ce récit qui débute à Londres (sauf erreur) du temps de l'auteur vire assez vite au périple philosophique, dans le temps plutôt que dans l'espace. Il débouche sur une version smithienne du sentiment « cosmique » cher à Lovecraft – et je ne suis pas bien certain (oserais-je ?) que l'éminent S.T. Joshi ait forcément le dernier mot quand il remarque que cette odyssée demeure terrestre plutôt que véritablement cosmique. Quoi qu'il en soit, « Ubbo-Sathla » développe un dispositif en même temps philosophique et onirique qui, au-delà du seul lexique cthulien, et au-delà de l'horreur, offre une lecture parallèle des principes philosophiques lovecraftiens ; et c'est sacrément intéressant.



« La Porte vers Saturne » est une autre nouvelle tout à fait sympathique, mais dans un registre tout autre – et le fameux sorcier Eibon n'en sort pas exactement grandi ! Mais ce périple très fantasque sur la planète Saturne, pour fuir quelque inquisiteur qui s'avérait surtout un magicien jaloux… et qui passe dans l'autre monde avec son rival, ce périple, donc, est riche de moments grotesques (avec une légère touche grivoise là aussi), au travers d'un imaginaire débridé, onirique et même surréaliste. C'est très drôle, en même temps que très coloré.



Reste deux textes, qui ne sont pas à proprement parler mauvais, mais m'ont tout de même paru bien inférieurs – disons un peu médiocres. C'est tout d'abord le cas de « L'Infortune d'Avoosl Wuthoqquan », qui est un autre de ces « contes moraux » où la cupidité est sanctionnée. Mais l'usurier Avoosl Wuthoqquan n'a pas le charme du voleur Satampra Zeiros, et tout ceci est finalement assez convenu, même si assez drôle, jusqu'à la scène ultime davantage cauchemardesque (mais sans l'ampleur du « Démon de glace », par exemple).



Quant à « La Sibylle Blanche », texte plus « sérieux », plus mélancolique, plus « poétique » peut-être, je dois dire qu'il m'a laissé totalement… froid. Si j'ose dire. Même s'il s'agit probablement d'un moment clef dans l'évocation du cataclysme destiné à emporter l'Hyperborée, ou du moins divers autres textes l'avancent-ils, mais, on l'a vu, sans toujours beaucoup de certitude. Bon, je suis sans doute passé à côté, ça arrive... Mais quoi qu'il en soit, dans ce registre, j'ai tout de même le sentiment que Smith a fait bien mieux – et un des textes de Poséidonis en fera d'ailleurs très bientôt la démonstration.

LE DERNIER HAVRE



Le cycle de Poséidonis, si c'est bien d'un cycle qu'il s'agit, est beaucoup moins développé que celui d'Hyperborée (sans même parler de Zothique). Il ne comprend que cinq nouvelles, généralement bien plus courtes au passage, et auxquelles il faut adjoindre trois poèmes, « L'Atlantide » au début, « Tolometh » à la fin, et aussi, en prose, « La Muse d'Atlantide » ; c'est probablement ce dernier qui m'a le plus séduit – je n'ose vraiment pas me prononcer pour les autres, et vais donc m'en tenir ici à l'évocation des cinq nouvelles.



Deux d'entre elles (la première et la dernière... comme pour Satampra Zeiros ?) accordent une place de choix à un même personnage, hors du commun, le sorcier Malygris – plus redoutable encore qu'Eibon, et davantage dans l'esprit des nécromanciens de http://nebalestuncon.over-bl..
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Heureusement ce volume 2 a un bien meilleur traducteur qui permet de lire et d'apprécier sans entrave les textes.
Bon, cela reste du Ashton Smith : structures narratives pauvres, linéaires et répétitives, personnages sans relief, histoires souvent trop simplistes ; il n'arrive globalement pas à exploiter ses quelques idées en récits dynamiques, les alourdissant à la place de descriptions convenues. Il est particulièrement maladroit à décrire la nature et le froid/la glace ou il y a de très nombreuses incohérences propres à quelqu'un qui ne connait pas vraiment ces environnements.
Il y a quand même quelques nouvelles agréables comme :

Ubbo-Sathla : une des meilleures nouvelles de l'univers lofcraftien ou un homme trouve une ancienne pierre qui lui permet de se plonger dans le passé.

Les Sept Geasa : texte humoristique caricaturant les quêtes de fantasy. Malgré sa structure pauvre et linéaire, l'humour rend le tout agréable.

Un grand cru d'Atlantide : ou un équipage trouve un vase d'un ancien vin. Une belle idée, de belles images, dommage qu'il n'y ait pas d'histoire.
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