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Citations sur 33 révolutions (38)

Pause déjeuner. La cantine déborde de techniciens et d’employés et la queue ressemble à celle du cinéma quand un nouveau film est à l’affiche. La nourriture est aussi bon marché que peu copieuse mais c’est mieux que rien et tout le monde s’en réjouit. “Qu’est-ce qu’il y a aujourd’hui ?” demandent ceux qui attendent à ceux qui sortent : “La même chose qu’hier”, répondent-ils d’un ton fatigué. Quand c’est enfin son tour, il observe avec résignation le plateau réglementaire : le cercle de potage, le carré de riz, le rectangle de patate douce, le verre dans son support circulaire et les couverts dans la rainure. Il mange en dix minutes et sort acheter des cigarettes. Les rares ombres de midi n’atténuent pas la chaleur, et encore moins l’humidité de cette jungle de constructions décadentes à la beauté séculaire. Au loin, on devine la mer, mais aujourd’hui sa brise est pure absence. Il grogne une plainte en direction du ciel et s’arrête devant le kiosque au coin de la rue : Ni cigarettes ni café, proclame un écriteau écrit à la main.
Comme un disque rayé, grogne-t-il une fois de plus.
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...voir passer le temps est le passe-temps favori du peuple. Non pas le perdre, ce qui impliquerait déjà une possession.
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Soir après soir il rentre dans son appartement solitaire qui retourne à la solitude chaque matin après son départ. Les voisins ? Un tas de disques rayés sans intérêt. Le comité ? Il suffit de faire profil bas, de lancer quelques “viva !” et on n’a pas d’ennui.
En fait, personne n’en a rien à fiche de personne.
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Il se dirige vers San Lazaro, s'enfonce dans une rue pour échouer dans un bar sombre qui sent l'urine masculine : long comptoir, tables sales, rhum bon marché : rien d'autre. Personne ne sourit ni ne dit bonjour.
Chacun pour soi.
Quatre types jouent aux dominos dans un coin, comme chaque jour de l'année et comme chaque année depuis la nuit des temps. Le défilé des rectangles blancs, des points noirs, des doubles neufs, des cris et des jurons ne varient pas. Posé à côté de chacun des joueurs, le sempiternel verre de rhum ; au centre, un cendrier rempli de mégots. Voilà, se dit-il, le disque rayé de la culture nationale.
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Rhum, cigarette, canapé. Il prend un livre au hasard, l'ouvre à n'importe quelle page, n'importe quel paragraphe, n'importe quelle ligne, et lit à partir de là, sans y prêter attention.
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...voir passer le temps est le passe-temps favori du peuple. Non pas le perdre, ce qui impliquerait déjà une possession.
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Le vent s'infiltre à travers les fentes, les tuyauteries sifflent, l'immeuble est un organe commun aux familles qui l'habitent.
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Il fume, allongé dans l'obscurité, à côté du dos nu de la femme - des fesses puissantes qui gonflent les draps et les rêves -, et il se dit que les métaphores sont inutiles à cet instant où la fumée se dissipe en montant vers le plafond, se mélangeant au parfum de la sueur, du sexe et des tropiques.
Elle dort et il en profite pour renifler son corps (l'odeur des aisselles velues lui brûle les fosses nasales et attaque violemment ses neurones. En douceur, il la fait se retourner - les seins pointent vers le plafond -, il enfouit le nez dans son pubis, s'emplit les poumons de l'acidité sans pareille de ce sexe exubérant et blond, plein de réalisme socialiste. Elle sourit dans son sommeil, - elle murmure quelque chose en russe (de retour à la steppe) - et il s'allonge pour en fumer une autre et se laisser entraîner par le disque rayé du plaisir et de la fatigue.
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Tout bouge de l’autre côté de la fenêtre : arbres en papier, machines jouets, maisons de brindilles, chiens de paille. Une tache d’écume envahit les rues, laissant au passage de l’eau, des algues, des objets cassés, jusqu’à la vague suivante qui balaye tout. La marée arrache ce que le vent ne parvient pas à abattre. L’immeuble résiste à l’assaut de la mer. À l’intérieur, les coursives sont remplies de visages effrayés et de gens qui récitent des instructions et des évidences (“restez calmes, camarades, ça ne va pas durer”). Tous s’expriment à la fois (vingt disques rayés tournant en même temps) : tous disent la même chose avec des mots différents, comme dans la file d’attente ou au meeting – manie de parler : douze millions de disques rayés qui piaillent sans cesse. Le pays entier est un disque rayé (tout se répète : chaque jour est la répétition du précédent, chaque semaine, chaque mois, chaque année ; et, de répétition en répétition, le son se dégrade jusqu’à n’être plus qu’une vague évocation méconnaissable de l’enregistrement original – la musique disparaît, remplacée par un incompréhensible murmure sableux). Un transformateur explose au loin et la ville est plongée dans l’obscurité. L’immeuble est un trou noir au milieu de cet univers qui n’en finit pas de s’effondrer avec fracas. Plus rien ne fonctionne, mais on s’en fiche. On s’en fiche toujours. Comme un disque rayé, qui se répète sans cesse…
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Il scrute à nouveau la mer et boit à la bouteille. Derrière lui, la ville sale et belle et cassée ; devant, l'abîme qui insinue la défaite. Ce n'est même pas un dilemme, encore moins une contradiction, mais la certitude que cet abîme, cet isolement, nous définit et nous conditionne. Nous gagnons en nous isolant et en nous isolant ce sont eux qui gagnent, se dit-il. Le mur est la mer, le rideau qui nous protège et nous enferme. Il n' y a pas de frontières ; ces eaux sont le rempart et les barbelés, la tranchée et le fossé, la barricade et le barrage. Nous résistons dans l'isolement. Nous survivons dans la répétition.
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