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Critique de Kirzy


Voilà un de ces romans dont l'entrée en immersion est déterminante afin d'en apprécier la magie et la poésie. J'ai raté ma première plongée. La deuxième me permit de pleinement apprécier cette symphonie pastorale emplie de lumière et de vitalité.

Je chante et la montagne danse raconte sur plusieurs générations l'histoire d'une famille frappée par la tragédie en s'inspirant de l'histoire, du folklore et de nature des Pyrénées catalanes espagnoles, quelque part dans la province de Gerone, tout proche de la frontière française.

Avec une énergie débordante, Irene Solà propose un récit kaléidoscopique tissé d'un dialogue permanent entre les hommes, le monde végétal, le minéral et le végétal. Et c'est totalement surprenant, insolite même de découvrir la voix de l'orage porteur d'un drame à venir, des champignons en pleine poussée, de la montagne éternelle, du chevreuil en fuite, à côté de la voix des femmes et hommes confrontés à leur destin, le cherchant ou le fuyant. Les bouches de l'auteure sont multiples et ouvrent énormément de possibilités dirigées vers un réjouissant panthéisme.

Le chant des champignons naissant ou plutôt renaissant sous la pluie m'a particulièrement charmé :

« La pluie nous réveille, un réveil frais, un renouveau. La pluie nous fait grandir, elle nous fait croître. Soeurs ! Amies ! Mères ! Moi qui suis vous toutes. Bonjour. Bon voyage. Bienvenues. Bien revenues. Nous sortons . Nous sortons comme nous sommes sorties tant de fois. Maintenant. Maintenant. Toute doucement, si nous tenons compte du petit trou, tout doux, délicat, sombre, que nous faisons dans la terre noire, dans la mousse verte . Notre toute petite excroissance. Minuscule. Tout doucement, si nous tenons compte des déambulations de la forêt, des millions et des millions de pluies qui nous sont tombées dessus, des millions de réveils, de petites têtes, de matins, de lumières, de bêtes, de jours. Bienvenues. Et nous nous souvenons de la forêt. Notre forêt. Et nous nous souvenons de la lumière. Et nous nous souvenons des arbres. Nos arbres, chacun d'entre eux. Et nous nous souvenons de l'air, et des feuilles, et des fourmis. Parce que nous avons toujours été ici et nous serons toujours ici. Parce qu'il n'y a ni début ni fin. Parce que le pied de l'une est le pied de toutes. le chapeau de l'une est la chapeau de toutes. Les spores de l'une sont les spores de toutes. L'histoire de l'une est l'histoire de toutes. Parce que la forêt appartient à celles qui ne peuvent pas mourir. Qui ne veulent pas mourir. Qui ne mourront pas, parce qu'elles savent tout. Parce qu'elles transmettent tout. Tout ce qu'il faut savoir. Tout ce qu'il faut transmettre. Tout ce qui est. Semence partagée. L'éternité, une chose légère. Petite, quotidienne. »

Chaque chapitre porte sa propre voix, très inclusive . Toutes se répondent pour élaborer une histoire brillamment construite, emplie de détails qui s'écoutent et s'emboîtent au fil des chapitres. le temps y est conçu comme une accumulation de couches comme si l'avenir se bâtissait sur le passé. La mémoire de la Retirada ( exil des Républicains espagnols après la guerre civile ) est ainsi très vivace. Les blessures résonnent dans le présent, les traumatismes trainent sur les années, les souvenirs vivent dans le paysage comme celui des Dones d'aigua ( sorte de naïades guérisseuses, les Dames de l'eau, les fantômes ont des voix persistantes.

Pour accompagner une telle ambition narrative, l'écriture se devait d'être à la hauteur. Elle l'est, hypnotique, pleine de textures créant des images superbes à la poésie contagieuse, souvent lyrique. Sa beauté formelle est éclatante de plasticité lexicale, visuelle et sonore. Il faut lire ce texte à voix haute car les mots sont gourmands et se savourent encore plus en bouche.

On ne quitte pas ce livre de la même façon qu'on y est entré.

Lu dans le cadre d'une Masse critique privilégiée.
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