AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet

Louis Martinez (Traducteur)
EAN : 9782213632667
680 pages
Fayard (28/03/2007)
4.21/5   219 notes
Résumé :
Le jeune diplomate Volodine a eu connaissance d'un piège tendu à un médecin de valeur, ami de sa famille, Doit-il le prévenir ? Sa conscience et son coeur disent oui, l'instinct de conservation regimbe. En 1949, sous Staline, il faut se montrer en tout d'une extrême prudence si l'on veut vivre ou simplement survivre, mais alors est-on encore un être humain ? D'ailleurs, il n'existe pas de technique permettant d'identifier les voix. En appelant d'une cabine publique,... >Voir plus
Que lire après Le Premier CercleVoir plus
Critiques, Analyses et Avis (10) Voir plus Ajouter une critique
4,21

sur 219 notes
5
5 avis
4
4 avis
3
1 avis
2
0 avis
1
0 avis
Les dirigeants communistes ne manquaient d'imagination pour réprimer leurs propres citoyens. Toutefois, comme certains le croient, les fameux goulags n'étaient pas toujours la seule solution. Comme dans l'enfer de Dante, le système pénitentiaire russe comportait quelques cercles, et parfois certains ne s'arrêtaient qu'au premier. Surtout ceux qui, malgré leurs opinions divergentes ou leurs faux pas (ou simplement la malchance d'une dénonciation mensongère), avaient une expertise à offrir à l'empire. C'est ce qu'Alexandre Soljenitsyne essaie de faire connaitre, plongeant dans des souvenirs surement douloureux, en racontant son histoire et celle de centaines, voire de milliers, autres compatriotes ou ressortissants de pays satellites voisins. Et c'est toute une histoire ! Avec ses 978 pages (dans l'édition Robert Laffont), ce pavé peut en intimider plus d'un.

Mais pas moi ! Alors je m'y suis lancé. Dès le début, Innokenti Volodine, un conseiller d'État de deuxième classe, prend le risque de contacter une ambassade « ennemie » d'un complot. le chapitre se termine sur cette conversation téléphonique terminée trop tôt lorsque la ligne fut coupée Voilà, j'étais happé !

Toutefois, ce Volodine disparaît aussitôt. Dans les chapitres qui suivent, je ne retrouve plus aucun repère, je suis confronté à des nouveaux personnages, Reutman, Nerjine, Roubine, Vereniov, Iakonov, etc. Qui sont-ils ? Des malchanceux qui ont atterri dans le premier cercle pénitentiaire : la charachka. Que de destins et de vies gâchées ! On apprendra peu à peu leur histoire (comment ils en sont arrivés là) et leur quotidien dans ces laboratoires russes ultra secrets. Après tout, pourquoi gaspiller le talent (scientifiques et techniciens émérites) dans des travaux physiques en Sibérie quand on peut lui trouver une utilité ? N'empêche, les têtes fortes, qu'elles se tiennent tranquille, sinon elles sont refoulées aux cercles suivants. D'ailleurs, certains du groupe finiront par rejoindre le goulag.

Tout cela, j'aurais dû m'en douter. Comme dans d'autres de ses romans (par exemple, L'archipel du goulag et La pavillon des cancéreux), Soljenitsyne ne s'intéresse pas qu'au sort d'un seul individu, il s'attaque à décrire, à dénoncer une situation érigée en un système (malheureusement) efficace. Et c'est tout à son honneur. Évidemment, la charachka, même si ce n'était pas aussi terrible que le goulag, ça restait tout de même un centre de détention. Au-delà des longueus heures de travail monotone et silencieux, il y avait les abus et harcèlements des militaires chargés de les surveiller mais également la situation pénible des proches des prisonniers, tout autant suspects, bien souvent victimes d'ostracisme et de discrimination. Cette monotonie que les personnages vivent, le lecteur la ressentira aussi. Impossible de passer à côté. Soljenitsyne a livré un témoignange très complet de la situaiton. Donc, ceux qui recherchent les péripéties et les émotions fortes, passez votre tour. Toutefois, si vous êtes fascinés par l'histoire et le régime communiste tout particulièrement, vous serez servi.
Commenter  J’apprécie          530
Volodine est un jeune diplomate soviétique destiné à une belle carrière sans tâche. Cependant, quand il apprend qu'un docteur, vieil ami de la famille, va être emprisonné pour avoir envoyé des médicaments en Occident, il tente de le prévenir d'une cabine téléphonique. La conversation sera enregistrée et brutalement interrompue.

La bande va être confiée à une charachka, premier cercle de l'enfer des goulags, qui ressemble des scientifiques dont la pensée n'est pas pleinement conforme aux dogmes du parti, mais dont les capacités sont trop précieuses pour être envoyés dans les camps de déportation.

Soljenitsyne nous entraîne dans ce récit dans toute la société soviétique et nous décrit des tranches de vie de plus d'une vingtaine de personnages : le prisonnier accusé de toutes les trahisons pendant la guerre alors qu'il a simplement cherché à sauver sa peau, le prisonnier arrivé là par hasard par la dénonciation d'un voisin qui lorgnait sur son appartement, le communiste convaincu qui est passé de héros de la révolution à traître antisoviétique sans avoir changé son comportement d'un iota. La surveillance est constante dans la charachka, les restrictions de plus en plus sévères et humiliantes. Il faut dire que l'administration voit dans chaque morceau de fer une puissante radio capable de communiquer les secrets d'état à l'Occident, et dans chaque prisonnier laissé seul cinq minutes un individu prêt à creuser un tunnel d'évasion.

Les épouses des prisonniers ont également un sort peu enviable : obligée de cacher leur situation d'épouse de déporté si elles veulent continuer à travailler, garder un logement et ne pas se faire cracher au visage par tout leur entourage.

On fait aussi un détour par les gens «libres» qui ne sont pas mieux lotis : pression constante, doctrine mouvante qu'il faut suivre cependant à la lettre pour éviter la «trahison», risque de dénonciation permanente, tâches impossibles à réaliser avec la menace de l'accusation de «sabotage» en cas d'échec,…

L'ambiance est assez pesante : on ressent tout le poids de la bureaucratie écrasante et paranoïaque, totalement coupée du monde réel, d'un système dans lequel personne ne peut rester innocent bien longtemps.
Commenter  J’apprécie          361
C'est le premier roman écrit par Soljenitsyne, entre 1955 et 1958, lorsqu'il se trouvait en déportation au Kazakhstan, après son passage au camp. Il était bien entendu impubliable à l'époque. Lors du bref dégel après la mort de Staline, Soljenitsyne parvient à faire paraître en revue « Une journée d'Ivan Denissovitch, et il espère faire paraître d'autres textes. Pour atteindre cet objectif, il allège quelque peu le texte du Premier cercle, en le raccourcissant, et surtout en l'expurgeant des éléments les plus virulents contre le régime soviétique. Mais le texte ne paraîtra pas officiellement, la version abrégée circulera en samizdat, puis paraîtra à Paris en 1968. Après son expulsion de l'URSS dans les années 70, Soljenitsyne reprendra le texte pour en donner une version définitive.

Le roman commence avec un diplomate soviétique, Volodine. Ce dernier, après de nombreuses hésitations, téléphone à l'ambassade américaine d'une cabine, pour une mise en garde : un espion soviétique est sur le point d'avoir accès à des informations qui peuvent permettre à l'URSS d'avoir la bombe atomique. Il a tenté de brouiller les pistes pour n'être pas découvert, en s'interrogeant tout de même sur la possibilité d'être reconnu rien qu'à sa voix.

Ce qui nous amène au centre du récit, qui est une « charachka », c'est à dire une prison-laboratoire. Une prison dans laquelle sont détenus des savants, des spécialistes, qui travaillent à des projets secrets et importants. Comme justement, le téléphone, et la question de la reconnaissance vocale. La bande sonore de la communication de Volodine sera analysée en ce lieu.

La charachka est définie comme le premier cercle de l'enfer, en référence à Dante, qui mettait dans ce premier cercle les grands sages de l'antiquité. N'étant pas chrétiens, ils ne pouvaient accéder au paradis, mais compte tenu de ce qu'ils ont apporté à l'humanité, Dante leur a réservé un lieu à part, qui n'était pas tout à fait l'enfer. La charachka est bien plus confortable que le goulag : on y mange à sa faim, il n'y a pas de travail physique pénible, on peut même avoir quelques livres. Et les savants font un travail qui les intéresse. Sans oublier qu'ils sont entre eux, et que des échanges et discussions stimulants sont possibles. Mais tout peut être remis en cause du jour au lendemain, une libération est possible, à condition de faire une découverte essentielle, mais également le renvoi au goulag, avec ou sans raison.

La charachka est un monde à part, avec ses contraintes, ses règlements absurdes, mais aussi un côté cocon. le monde à l'extérieur, tel que Soljenitsyne le décrit, est presque plus dur. le monde que connaissent les femmes des prisonniers, marquées du seau de l'infamie, dans une société truffée d'espions et de délateurs, et de difficultés matérielles de toutes sortes. Mais aussi le monde des gens avec un plus ou moins grand pouvoir et une vie confortable : ils sont en permanence susceptibles de tout perdre, de se retrouver au camp ou avec une balle dans la tête. Parce qu'il y a toujours un plus puissant au-dessus d'eux, des exigences impossibles à satisfaire,un hasard malheureux. le seul maître, c'est Staline, qui peut tout, et qui inspire une peur totale, qui paralyse, rend bête et médiocre, pour essayer de survivre et garder ses privilèges. Et tout simplement sa vie.

Soljenitsyne en viendrait à suggérer, que la charachka est peut-être le seul endroit où il est possible de garder un peu de liberté. Où on peut, par moments, penser, se défaire des mensonges servis régulièrement à la population qui doit y adhérer. La question essentielle du roman est sans doute celle de savoir est-ce qu'il est possible, et comment rester libre dans un état totalitaire. La position des prisonniers de la charachka est ambiguë : d'une certaine manière, ils participent à l'édifice totalitaire, leurs découvertes seront utilisées autant que faire se peut à réduire la société. La question morale de collaborer se pose à certains prisonniers.

C'est évidemment un grand livre important, avec de nombreuses dimensions qu'il n'est pas possible de développer dans un commentaire de taille réduite. Néanmoins, à mon sens, malgré toute son ambition, il n'est pas aussi réussi qu'Une journée d'Ivan Denissovitch ou le pavillon de cancéreux. Peut-être, comme c'est souvent le cas des premiers romans, l'auteur a-t-il voulu mettre trop de choses, et j'avoue que par moments,j'ai trouvé les 1000 pages un peu longues. Les personnages sont très nombreux, différents aspects de leurs vies abordées, et parfois cela fait beaucoup. Il y a un côté un peu démonstratif aussi, le propos de l'auteur manque parfois d'ambiguïté, le portrait de Staline, même s'il est drôle, est tout de même un peu chargé, dans une forme de facilité. On entrevoit la construction, les symétries. Mais l'analyse du régime totalitaire, du fonctionnement qu'il induit chez les individus, est très puissant, très dense, et il n'a malheureusement pas perdu de son actualité.
Commenter  J’apprécie          285
В круге первом (V kruge pervom)
Traduction : Henri-Gabriel Kybarthi


Le titre de cet ouvrage, que d'aucuns trouveront moins prenant que "Le Pavillon des Cancéreux" ou "Une Journée d'Ivan Denissovitch", fait référence à la "Divine Comédie" et au système de "cercles" imaginé par Dante pour y caser l'intégrale de l'Enfer chrétien. Au-dessus de tous, le Premier cercle est de loin le moins terrible et, dans l'univers du goulag, cet Enfer soviéto-stalinien, il correspond au monde de la charachka (шара́шка), c'est-à-dire aux laboratoires secrets de l'URSS.

Y travaillaient coude à coude des "employés libres" et des prisonniers, les premiers chargés d'espionner les seconds, mais tous en principe techniciens, ingénieurs et scientifiques. Tout ce petit monde recevait des repas corrects et bénéficiait d'une certaine souplesse dans les horaires, ce qui était bien loin d'être le lot des zeks comme Ivan Denissovitch. A la fin du roman, Nerjine, l'un des héros malheureux de Soljenitsyne, repartant au goulag avec quelques autres fortes têtes, affirme avec force que, si imparfaite qu'elle soit, la charachka peut se comparer à une forme de Paradis et que c'est maintenant, en retournant vers les camps de travail "normaux", que leur petite troupe va retrouver l'Enfer.

Bien entendu, "Le Premier Cercle" n'est pas qu'un voyage au coeur de la charachka. Il s'ouvre sur un coup de fil donné, d'une cabine téléphonique, par le Conseiller d'Etat de seconde classe, Innokenty Volodine, à un scientifique surveillé par les services secrets - et mis sur écoutes depuis longtemps. Dès réception de l'appel, ordre est donné en haut lieu de déterminer quel est le "traître" qui a passé cet appel. Pour ce faire, quelques apparatchiks, chapeautés par le redoutable Victor Semionovitch Abakoumov - lequel sera fusillé l'année suivant la mort de Staline - ont recours à certains scientifiques de la charachka, parmi lesquels Nerjine, emprisonné quasiment depuis la fin de la guerre pour on ne sait trop quelle raison exacte, et Rubine, dont la conception très utopiste du communisme et le refus de dénoncer les membres de sa famille ont scellé le destin.

Avec d'autres techniciens, les deux hommes travaillent depuis déjà un certain temps sur un appareil dénommé "vocodeur", censé débarrasser la ligne téléphonique du Chef Suprême de Toutes les Russies en personne des plus infimes parasites et grésillements divers qui viennent parfois perturber ses entretiens avec un tel ou un tel à l'autre bout du pays. Leur équipe est donc toute désignée pour repérer, dans une liste de cinq suspects, la voix de celui qui a osé trahir ...

En dépit de tous leurs efforts de sabotage, Nerjine et Rubine ne parviendront qu'à sauver trois des suspects qu'on leur propose. Les deux autres - dont un innocent - seront raflés par le MGB et conduits à la sinistre Loubianka pour y être "interrogés". On apprendra très vite que Volodine a été condamné - sans aucun jugement - "à perpétuité."

Le drame qui se noue très lentement, et même avec paresse, un peu comme si Soljenitsyne se faisait plaisir en mettant en scène des personnages historiques comme Staline lui-même ou Abakoumov, tend en fait à prouver que, dans la société stalinienne, personne ne pouvait rester innocent. Pas même dans les charachki, où des prisonniers en quelque sorte "protégés" par leur statut de scientifiques et de techniciens émérites ne parvenaient pas toujours à éviter de servir efficacement le régime qui les avait déchus de leurs droits.

Au passage, Soljenitsyne dépeint avec vigueur la situation misérable qui était celle des épouses et des familles en général des prisonniers : stress perpétuel, pauvreté, discrimination à l'emploi et aux études, déportation éventuelle, etc, etc ... Signalons aussi certains passages sur la langue russe et son évolution - Rubine est en fait linguiste - qui passionneront ou ennuieront, selon les goûts personnels.

Tel quel, avec sa "chute" amère et ironique - que vous retrouverez dans les "Extraits" - "Le Premier Cercle" n'en reste pas moins un livre qu'il faut lire si l'on veut mieux comprendre la société soviétique. ;o)
Commenter  J’apprécie          150
Un véritable chef d'oeuvre.
A lire pour ceux et celles qui aiment que L Histoire avec un grand H soit en toile de fond du roman.
Bien meilleur qu'une journée d'Ivan D.
Commenter  J’apprécie          130

Citations et extraits (71) Voir plus Ajouter une citation
[...] ... Ils repartirent, franchirent les portes ; puis ils furent projetés sur la droite : le fourgon avait pris un brusque virage à gauche, vers la grande route.

La secousse précipita l'un contre l'autre Nerjine et Guerassimovitch. Chacun regardant, essayant de reconnaître l'autre. Ce n'était pas seulement la bousculade à l'intérieur du panier à salade qui les rapprochait ainsi.

Ilya Khorobrov, retrouvant un peu de courage, lança dans l'obscurité :

- "Ne vous en faites pas, les gars, ne regrettez pas de partir. Est-ce qu'on peut appeler ça une vie, l'existence à la charachka ? On prend le couloir et on tombe sur Siromakha. Un type sur cinq est un indicateur. On n'a même pas le temps de lâcher un pet aux cabinets que le "protecteur" est déjà au courant. Voilà deux ans qu'ils ne nous laissent pas de dimanche, les salauds. La journée de travail a douze heures ! On leur donne toute notre cervelle pour vingt grammes de beurre. Ils nous ont interdit de correspondre avec nos familles, eh ! bien, qu'ils aillent se faire voir ! Et le travail, c'est un véritable enfer, dans son genre !"

Khorobrov se tut, indigné.

Dans le silence qui suivit, dominant le ronronnement régulier du fourgon qui roulait sans heurts sur l'asphalte de la route, on entendit la réponse de Nerjine :

- "Non, Ilya Terentitch, ça n'est pas l'enfer. Ca n'est pas l'enfer ! L'enfer, c'est là où nous allons. Nous retournons en enfer. Et la charachka est ce qu'il y a de mieux, de plus élevé dans l'enfer, c'en est le premier cercle. C'était presque le paradis."

Il n'ajouta rien de plus car il sentait que ce n'était pas nécessaire. Ils savaient tous que ce qui les attendait était incomparablement plus dur que la charachka. Ils savaient tous qu'ils se souviendraient de la charachka comme d'un rêve doré. Mais en ce moment, pour soutenir leur courage et le sentiment qu'ils avaient que leur cause était juste, il leur fallait maudire la charachka pour qu'aucun d'eux n'eût de regret, pour qu'aucun ne se reprochât un pas trop précipité.

Et Khorobrov insista :

- "Non, les gars, mieux vaut du pain et de l'eau que du gâteau et des ennuis."

Toute leur attention concentrée sur les tournants que prenait le fourgon, les zeks restaient silencieux.

Oui, ce qui les attendait, c'étaient la taïga et la toundra, les records de froid d'Oimyakon, les mines de cuivre du Djezkazgan. Ce qui les attendait, c'étaient le pic et la brouette, les rations de famine de pain spongieux, l'hôpital, la mort. Rien que le pire.

Mais la paix régnait dans leur coeur.

Ils étaient habités par l'intrépidité de ceux qui ont tout perdu, une intrépidité qu'on n'acquiert pas facilement mais qui dure.

Trimballant sa cargaison de corps entassés, le camion gaiement peint d'orange et de bleu traversa les rues de la ville, passa devant une gare et s'arrêta à un carrefour. Une voiture marron aux chromes étincelants attendait elle aussi que le feu passât au vert. A l'intérieur se trouvait le correspondant du quotidien progressiste français "Libération" qui se rendait au stade Dynamo pour assister à un match de hockey. Le correspondant lut sur le camion :

Myaso
Viande
Fleisch
Meat

Il se souvint d'avoir déjà vu plus d'un camion semblable à celui-ci dans divers quartiers de Moscou. Il prit son carnet et nota avec un stylo marron, comme sa voiture :

"Dans les rues de Moscou, on voit souvent des camions bien astiqués et répondant à toutes les exigences de l'hygiène, qui vont livrer des produits alimentaires. Il faut bien reconnaître que l'approvisionnement de la capitale est excellent." ... [...]
Commenter  J’apprécie          110
Suffisamment malmené par la vie, [Gleb] savait que les choses et les événements suivent une logique inflexible. Dans le train-train de chaque journée, les hommes ne songent pas aux conséquences inverses qui pourront naitre de leurs actions. Ce Popov, en inventant la radio, pensait-il qu'il mettait au jour une omniprésente crécelle, la torture haut-parlante des penseurs solitaires? Ou encore les Allemands : ils avaient laissé passer Lénine pour abattre la Russie et devaient au bout de trente ans retrouver une Allemagne cassée en deux. Ou encore l'Alaska. Quel pas de clerc, cette braderie! Mais voilà, les tanks soviétiques ne pouvaient désormais déferler sur l'Amérique sans se mouiller les chenilles. C'est ainsi qu'un fait négligeable tranche le destin de la planète.
Commenter  J’apprécie          180
C'était la nuit qui était pour Staline la période la plus fructueuse.
Son esprit méfiant se déroulait lentement au matin. C'était dans ces ténébreuses dispositions d'esprit matinales qu'il réduisait les dépenses, qu'il ordonnait la fusion en un seul de deux ou trois ministères. La nuit, l'esprit vif et acéré, il décidait de la façon de les scinder, de les diviser et quels noms donner aux nouveaux. Il signait de nouveaux décrets et confirmait de nouvelles nominations.
Ses meilleures idées naissaient entre minuit et quatre heures du matin : comment remplacer de vieux bons du trésor par des nouveaux, de façon à ne pas avoir à payer ceux qui en possédaient ; quelles peines de prison infliger pour absentéisme au travail ; comment étirer la journée et la semaine de travail ; comment lier à jamais les ouvriers et employés à leurs places ; l'édit concernant les travaux forcés et la potence, la dissolution de la Troisième Internationale ; l'exil en Sibérie des populations traîtresses.
Commenter  J’apprécie          110
[...] "... Et comment se fait-il aujourd'hui que les gens ne repoussent pas les privilèges mais qu'ils les recherchent ? Que dire de moi ? Vous croyez vraiment que ça dépend de moi ? J'ai regardé mes aînés, je les ai bien regardés. J'habitais une petite ville du Kazakhstan et qu'est-ce que je voyais ? Les femmes des autorités locales, est-ce qu'elles allaient dans les magasins ? Jamais de la vie ! On m'a envoyé, moi, chez le premier secrétaire du comité régional du parti communiste pour apporter une caisse de macaronis, une pleine caisse. Pas ouverte. Alors il faut bien se dire que ça n'a pas été uniquement cette caisse-là et uniquement ce jour-là.

- Oui, c'est affreux ! Ca m'a toujours rendue malade ... Vous me croyez ?

- Bien sûr, que je vous crois. Pourquoi voulez-vous que je ne croie pas une personne vivante plutôt qu'un livre publié à des millions d'exemplaires ? Et puis, ces privilèges ... ils entourent les gens comme la peste : si quelqu'un peut acheter ailleurs qu'au magasin qui est réservé à tout le monde, il n'achètera jamais qu'ailleurs. Si une personne peut être soignée dans une clinique spéciale, elle ne se fera jamais traiter que là. Si quelqu'un peut circuler dans une voiture qui lui est personnellement affectée, il ne lui viendra jamais à l'idée de circuler autrement. Et s'il y a quelque part un endroit privilégié où on n'admet les gens qu'avec des laissez-passer, eh ! bien, les gens feront tout pour obtenir ce laissez-passer.

- C'est vrai et c'est épouvantable.

- Si quelqu'un peut bâtir une barrière autour de lui, soyez sûr qu'il le fait. Quand le salopard était gosse, il escaladait la clôture d'un marchand pour voler des pommes ... et il avait raison ! Maintenant il fait bâtir une grande et solide palissade à travers laquelle personne ne peut voir, parce que tel est son bon plaisir ... et il estime qu'il a encore raison. ... "[...]
Commenter  J’apprécie          50
Staline, qui avait digéré l'histoire universelle sous une forme assez frugale, savait bien qu'avec le temps les hommes pardonneraient tout le mal accompli, qu'ils en viendraient à l'oublier, qu'ils se le rappelleraient comme un bien. Des peuples entiers sont pareils à la Reine Anne du Richard III de Shakespeare : courroux sans lendemain, volonté vacillante, mémoire débile, ils seront toujours trop heureux de se donner au plus fort.
Commenter  J’apprécie          190

Videos de Alexandre Soljenitsyne (75) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Alexandre Soljenitsyne
Histoire de la conception, du parcours...jusqu'en France en 1968 du livre . Nombreux témoignages de personnalités en France et aussi en URSS.
autres livres classés : littérature russeVoir plus
Les plus populaires : Littérature étrangère Voir plus


Lecteurs (687) Voir plus



Quiz Voir plus

La littérature russe

Lequel de ses écrivains est mort lors d'un duel ?

Tolstoï
Pouchkine
Dostoïevski

10 questions
437 lecteurs ont répondu
Thèmes : littérature russeCréer un quiz sur ce livre

{* *} .._..